lundi 15 juillet 2024

The Authority (Les Années Stormwatch) : Volume 1 (Urban Comics ; octobre 2016)

Cycle en deux tomes, "The Authority (Les Années Stormwatch)" narre la dissolution de Stormwatch, suivie de l'émergence de The Authority des cendres de la défunte organisation. Ce premier volet, publié chez Urban Comics en octobre 2016 dans la collection "DC Essentiels" de l'éditeur, comprend les versions françaises des #37-47 du volume un de "Stormwatch" (parus en VO entre juillet 1996 et mai 1997 chez Image Comics). Cet ouvrage relié (couverture cartonnée), de dimensions 17,5 × 26,5 centimètres, compte deux cent soixante planches (hors couvertures), toutes en couleurs. Une préface de deux pages raconte la genèse du titre. 
Le Britannique Warren Ellis a écrit les scénarios de tous les numéros, sans exception. Tom Raney est le dessinateur titulaire, Pete Woods intervient sur quelques planches (#39), et Michael Ryan et Jim Lee réalisent chacun les crayonnés d'un numéro (les #41 et #47). Randy Elliott est l'encreur attitré, Saleem Crawford l'assiste sur un épisode (#39). Richard Bennett embellit les planches de Lee (son unique numéro). Enfin, Gina Going compose toutes les mises en couleurs, avec l'aide de Laura Martin dans le #45

Henry Bendix (nom de code Weatherman) est le contrôleur de Stormwatch : le groupe d'intervention spécialisée de l'Organisation des Nations unies. Bendix se voit comme le "gendarme du monde", et le nouvel ordre mondial est son "prochain dossier". Ailleurs, Père - un métahumain surpuissant dont le corps nu irradie d'énergie - se fraye un parcours sanglant dans la campagne allemande enneigée, où il se livre à un véritable carnage. Il massacre violemment tous les "hommes du commun" qui croisent son chemin : il leur fracasse le crâne, les éviscère ou leur arrache le visage. La jalousie les a détruits. Il leur pardonne : il vient leur "enseigner" ce qu'est le surhomme. Plus tard, Skywatch, le quarter général orbital de Stormwatch, accueille dix membres qui viennent de s'y téléporter. Vêtus de noir pour la plupart, ils rentrent de l'enterrement de Flashpoint (Foster McClane), un collègue que personne n'appréciait, et qui s'était même retourné contre deux équipiers de Stormwatch lors d'une mission. L'ambiance est morose... 

Ellis reprend Stormwatch, une équipe de super-agents (plus que de superhéros) rattachés à l'ONU, qui sont envoyés partout sur le globe (Amérique du Nord, Royaume-Uni, Allemagne, Japon) résoudre diverses crises impliquant des métahumains : tueurs, brutalités policières, attentats, sectes apocalyptiques, scandales politiques ou groupuscules extrémistes. Mais Stormwatch répond-elle vraiment à l'ONU ? Les lecteurs ignoreront tout de son leader, Henry Bendix, à moins d'avoir découvert des épisodes antérieurs. Son apparence austère et son charisme rappellent invariablement Charles Xavier. Bendix poursuit ses propres objectifs ; c'est un ambitieux qui souhaite imposer son agenda aux grands de ce monde. Il montre un orgueil sans limites, comme lorsqu'il défie le président des États-Unis ou ordonne froidement l'exécution de civils à Gamorra en application de la loi du talion. Cette volonté d'être impitoyable se retrouve dans le management de ses agents ; modèle d'efficacité, Weatherman dirige Stormwatch comme une entreprise et affecte les ressources selon les besoins de ses projets et promeut ou licencie comme il l'entend, façonnant ou cassant des destins. Il opère avec une fermeté que personne n'ose discuter - sauf Jenny Sparks. 

Si Bendix est le personnage principal, les membres de Stormwatch ne sont pas des figurants pour autant. Plusieurs ont vécu des traumatismes à l'activation de leurs pouvoirs et en ont gardé des blessures psychologiques. Ils ont néanmoins réussi - pour la plupart - à s'adapter à leur nouvelle condition, comme Fuji et Hellstrike. Ces métahumains sont non seulement des agents de terrain qui répondent à divers problèmes sécuritaires, mais aussi les exécuteurs des basses-œuvres de Bendix, qui les envoie çà et là pour du nettoyage ou des représailles. Ici, presque personne ne garde les mains immaculées, car tous les moyens sont bons, même les pires : torture, emprisonnements illégaux et assassinats. Si les valeurs des superhéros sont en général considérées comme des acquis dans les comic books, la façon dont quelques agents s'accommodent de leurs dilemmes moraux pourra surprendre, presque choquer ; au fond, elle reflète une certaine adaptabilité du genre humain. 

Ellis insuffle de la substance à chaque personnage en plaçant l'un ou l'autre sous les feux de la rampe le temps d'un épisode, un mécanisme éprouvé ; de plus, son idée de structurer Stormwatch en quatre unités spécialisées permet des interactions et des confessions au fil des missions. Trois membres sont plus marginaux que d'autres. Jenny Sparks est aussi portée sur la bouteille qu'elle est allergique à l'autoritarisme. Jack Hawksmoor a été plusieurs fois enlevé par des extraterrestres qui l'ont opéré et lui ont greffé de nouveaux organes. Enfin, Rose Tattoo est une tueuse implacable et mutique qui se caractérise par son appétence pour la violence et ses pulsions sexuelles. Ce n'est pas un hasard si ce sont des créations de l'auteur. Concernant les ennemis, Ellis mélange ancien et nouveau. Il réutilise l'île de Gamorra et intègre la mythologie Khérubims-Démonites, mais évite le piège de l'ennemi juré surexploité. Le principe est simple et efficace : à chaque épisode sa menace. 


Chaque numéro comprend une histoire complète et tous les épisodes sont reliés entre eux par un fil conducteur plus ou moins flottant, bien qu'il y ait évidemment une continuité chronologique. Cette technique de saucissonnage à la manière d'une série télévisée permet une lecture aérée et divertissante, d'autant que les personnages utilisés varient souvent d'un chapitre à l'autre. Le niveau moyen de qualité des récits est très satisfaisant dans l'ensemble, à part le #44, dont le côté exercice de style est tellement poussé qu'il en est indigeste. Stormwatch se caractérise par une relecture plus réaliste (toutes proportions gardées) et plus violente (parfois gore) du genre super-héroïque ; en un mot, plus adulte. Le lecteur appréciera aussi la variété des genres abordés : enquêtes policières, thriller, action et science-fiction (le dernier numéro s'inscrit dans la mythologie de l'univers partagé Wildstorm). Ellis apporte souvent une touche originale. Par exemple, le #37 rappellera le fil narratif du "X-Men" #94 (août 1975), dans lequel le professeur Xavier part recruter ses futurs surdoués un par un. Et dans le #47, l'intégralité du texte prend la forme de cartouches extraits d'un rapport que Bendix remet à ses commanditaires. Ajoutons encore qu'Ellis parsème ses dialogues d'un humour caustique qui asperge tout le monde, des Nord-Américains aux Français (voir notamment la page 118). 

La partie graphique, moderne à l'époque, a subi le passage du temps. Raney a un style particulier, très typé années 1990, avec des personnages qui arborent toujours des faciès moroses. L'artiste évolue dans un registre plutôt réaliste. Son tour de force est d'appuyer certains traits sans franchir la ligne de la caricature. Par exemple, les torses de ses protagonistes masculins sont surpuissants et leurs bras parfois plus épais que leurs jambes. La bouche de Jenny Sparks est à peine plus large que son nez. La taille des yeux est généralement légèrement excessive ; et les expressions des visages sont souvent un peu exagérées. Mais tout cela ne gêne pas le regard pour autant. Le lecteur se laisse séduire par cette tentative expressionniste soutenue par un encrage généreux, d'autant que le découpage de Raney est limpide et que la densité de détail est suffisante (à défaut d'être vraiment satisfaisante). En outre, l'artiste n'est pas avare en scènes-chocs ; celles-ci offrent souvent aux histoires une atmosphère annonciatrice d'apocalypse qui convient parfaitement au titre. Les coups de crayon de Woods et Ryan sont un cran en dessous en matière d'originalité et de résistance au temps. Mais Lee et Bennett mettent tout le monde d'accord dans le #47. Les portraits saisissants de ce numéro incroyable entièrement réalisé en pleines pages relèguent leurs collègues loin derrière ; en refermant l'album, le lecteur se prend à rêver d'un recueil exclusivement crayonné par le Coréo-Américain. 

C'est Alex Nikolavitch qui signe la traduction. Bien qu'elle soit solide, notons quelques boulettes dans le texte, dont une faute de conjugaison (page 12), deux de genre ou encore un joli faux sens ("troufion" est utilisé à tort pour "fion", semble-t-il). 

Avec Ellis, les agents de Stormwatch sont utilisés sans vergogne afin de remettre en question l'impérialisme nord-américain et de favoriser l'instauration d'un nouvel ordre mondial imaginé par Bendix, un homme d'une ambition insolente. Les superhéros sont ici dépouillés de leurs oripeaux de boyscouts ; place au cynisme et aux dilemmes moraux. Malgré quelques faiblesses passagères et un coup de crayon très ancré dans les années 1990, le résultat est plutôt efficace. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz 

Henry Bendix, Jackson King, Christine Trelane, WinterFuji, Hellstrike, FahrenheitFlint, Rose Tattoo, Jenny Sparks, Jack Hawksmoor, Swift, Kaizen Gamorra, Démonites, Image Comics

2 commentaires:

  1. C'est très intéressant de découvrir cette série par les yeux de quelqu'un qui, me semble-t-il n'a pas lu les épisodes initiaux de la série.

    Les lecteurs ignoreront tout de son leader, Henry Bendix, à moins d'avoir découvert des épisodes antérieurs. - En effet, Warren Ellis reprend la série avec sa continuité un peu embrouillée, ses relations avec les Wildcats (la guerre entre les Daemonites et les Kherubims), les différentes itérations de Team 7, et une pléthore de superhéros disparus depuis (Battalion, Cannon, Comanche, Nautika, Sunburst, Synergy, Undertow, Union etc.). Il y a donc des sous-entendus et des références qui semblent être clairs pour les personnages et totalement incompréhensibles pour la majorité des lecteurs.

    Comme toi, j'avais été plutôt contenté par le travail de Tom Raney : il effectue un travail méritoire, même s'il reste marqué des tics des comics estampillés Image dans les années 1990, il réussit une bonne imitation du style de Dave Gibbons pour l'évocation de Watchmen (tout en mettant en évidence que faire du Gibbons n'est pas donné à tout le monde).

    En revanche pour l'épisode 47, j'avais trouvé que le principe de pleines pages dessinées par Jim Lee n'est pas une pépite dans la mesure où il s'exonère également de la tâche fastidieuse de dessiner des décors, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'une narration visuelle.

    J'avais également attribué 4 étoiles à ce tome. Je me demande si Global Frequency est dans ta pille de lecture ?

    https://www.babelio.com/livres/Ellis-Stormwatch-tome-1/811288/critiques/965896

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    1. N'étant pas un mordu d'Ellis, je ne sais pas si je lirai Global Frequency - je ne me souvenais même plus de ce titre, dont j'avais peut-être vaguement vu les couvertures des volumes au coin d'un rayon. Cela étant, tu attises ma curiosité, donc à réfléchir, même si je n'apprécie guère le modèle qui consiste à changer de dessinateur à chaque épisode. Je regarderai si je peux mettre la main sur les éditions Panini ; si non, il me faudra attendre qu'Urban Comics les réédite (d'ailleurs, ça m'étonne qu'ils ne l'aient pas encore fait, étant donné que c'est du Ellis et que ça remonte déjà à quinze ans).

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