jeudi 14 janvier 2016

Kersten, médecin d'Himmler (tome 2) : "Au nom de l'humanité" (Glénat ; septembre 2015)

"Kersten, médecin d'Himmler" est une histoire en deux tomes publiée aux éditions Glénat. Le second, "Au nom de l'humanité", compte quarante-six planches. Il est sorti en septembre 2015.
Ce diptyque a été écrit par Patrice Perna, ancien journaliste, scénariste de bande dessinée humoristique ("Joe Bar Team", "Dans la peau de Zlatan"), illustré par Fabien Bedouel, dessinateur ("L'Or et le sang", "Un long destin de sang") et réalisateur de films d'animation, et mis en couleur par Florence Fantini.

Le premier volume se concluait sur le lancement de l'opération Barbarossa, l'invasion de l'Union soviétique par les troupes nazies (le 22 juin 1941). Le second commence le 27 mai 1942. Le Special Operations Executive du Secret Intelligence Service a planifié l'assassinat du général SS Reinhard Heydrich ; c'est l'opération Anthropoid. Prague, 10h30. Trois agents sont en embuscade au coin d'un immeuble. Ils attendent le passage de la voiture de Heydrich, qui doit se rendre à son bureau. Le cabriolet immatriculé SS-3 arrive. Le premier agent, armé d'une mitraillette, surgit de l'ombre et tente d'ouvrir le feu mais son arme s'enraye. Le second jette une grenade sous la voiture de Heydrich et touche au but. Heydrich s'effondre ; il n'est que grièvement blessé mais mourra d'une septicémie le 4 juin 1942.
Stockholm, 1948. Peter Sichel, l'un des agents de l'opération Anthropoid, se rend au consulat des Pays-Bas. Il y est attendu par un certain Nicolaas Posthumus. Posthumus dirige l'Institut de documentation sur la guerre et a été mandaté par son gouvernement pour enquêter sur les faits et gestes de Kersten pendant la guerre. Cela fait plus de trois ans que Posthumus a ouvert le dossier ; il compte sur l'aide de Sichel pour établir la vérité.
Allemagne, 1943. Himmler fait venir Kersten à Munich. À l'issue d'un vol mouvementé lors duquel un chasseur de la Royal Air Force manque d'abattre le Junkers Ju 52 qui le transporte, Kersten atterrit sain et sauf. Le général SS Ernst Kaltenbrunner, le successeur de Heydrich, l'attend à l'aérodrome ; face à l'hostilité de celui-ci, Kersten opte pour une attitude condescendante avant de se rendre en voiture à la maison Lindenfycht. Il y est reçu par Himmler, qui l'informe qu'il a été dénoncé à Hitler pour entente avec les Britanniques et connivence avec Rudolf Hess (ce dignitaire nazi qui, le 10 mai 1941, s'envole vers le Royaume-Uni afin d'y négocier la paix). Himmler rassure Kersten ; il s'est porté garant de sa loyauté. Gêné, Himmler ajoute que le Führer lui a demandé s'il pensait que le Kersten pouvait traiter sa propre "pathologie"...

Des recherches sur Kersten ont depuis dévoilé une partie de la vérité ; l'homme serait un manipulateur ayant exagéré ses actes et son importance dans la libération des prisonniers juifs. Le titre de "Juste parmi les nations" ne lui a d'ailleurs pas été décerné. Perna (sans doute s'est-il inspiré du roman de Kessel ?) prend pourtant le parti de Kersten, ce qui ne l'a pas empêché pas d'avoir pleinement réussi l'écriture de ce diptyque.
Bedouel nous gratifie d'une autre superbe couverture. Deux scènes sont révélatrices de son talent : le cauchemar de Kersten, digne d'un film d'épouvante, d'horreur, qui glace le sang, et la séance de massage, lors de laquelle Kersten parvient à arracher à Himmler la vie de milliers de Juifs. Notons néanmoins une erreur de perspective (le moteur d'aile de l'avion en case 3 de la page 10). Fantini choisit ses couleurs avec soin.

À la lecture de "Kersten, médecin d'Himmler", les lecteurs ont deux possibilités. La première est de lire cette bande dessinée telle que Perna et Bedouel la définissent : une histoire inspirée de faits réels, dont certains personnages ou certaines situations sont le fruit de l'imagination des auteurs. De ce point de vue, ce diptyque est une indéniable réussite scénaristique et graphique qui permet de découvrir un acteur méconnu de la seconde guerre mondiale. L'autre possibilité est d'avoir une lecture critique du point de vue de la véracité historique, bien que ce ne soit pas le but de cette œuvre. Les libertés prises par les auteurs (par exemple, un agent du nom de Peter Sichel a bien existé, mais il n'a pas participé à l'opération Anthropoid, dont il n'y a d'ailleurs eu aucun survivant) encouragent à privilégier la première option. Malgré la qualité de l'ensemble, le manque de réponses pourra provoquer une certaine frustration ; quelle aurait été la dimension de cette œuvre si les auteurs avaient enquêté en profondeur et tenté d'apporter des réponses au mystère Kersten - Bernadotte ?

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

4 commentaires:

  1. J'aime bien cette façon d'établir qu'il n'y a pas qu'une seule façon d'envisager un ouvrage. Les libertés prises par les auteurs : voilà qui me ramène à Double Masque et aux libertés prises par Jena Dufaux, à commencer par l'ajout d'un élément surnaturel. Est-ce également une forme d'humilité ? Une façon de dire qu'on ne peut pas savoir ce qui s'est réellement passé.

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    1. Je ne sais pas s'il faut y avoir une forme d'humilité, mais je pense que nombreux (y compris les auteurs ? sont ceux qui ont confondu le roman de Joseph Kessel et la vérité historique (ou ce qui s'en approche).

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    2. Ta remarque m'a incité à aller consulter la page wikiedia sur le roman Les mains du miracle. L'article se termine par :

      En 2021, l'historien français François Kersaudy publie un ouvrage approfondi qui corrobore l'essentiel des actes attribués à Kersten et des affirmations de celui-ci. François Kersaudy, La liste de Kersten - Un juste parmi les démons, Paris, Fayard, 2021.

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Mains_du_miracle

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    3. Incroyable ; je n'étais pas au courant de ce développement récent. Merci ! Maintenant, est-ce que Kersten va être honoré comme Juste parmi les nations, telle est la question que je me pose.

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