jeudi 23 novembre 2017

Alix (tome 4) : "La Tiare d'Oribal" (Casterman ; août 1958)

"La Tiare d'Oribal" est le quatrième tome de la série créée par le Français Jacques Martin (1921-2010) en 1948. L'histoire est d'abord prépubliée dans l'édition belge du "Journal de Tintin", entre octobre 1955 et décembre 1956. Le Lombard attendra jusqu'en 1958 avant de rééditer ces pages en album.
Martin est également célèbre pour d'autres séries, telles que "Lefranc", ou "Jhen". En 1991, il est diagnostiqué d'une dégénérescence maculaire qui le rend quasiment aveugle et l'éloigne des tables de dessin dès l'année suivante. Il délègue alors le dessin à d'autres artistes et se fait assister à l'écriture.
Casterman reprend "Alix" à Le Lombard en 1965-1966 et réédite les cinq premiers albums progressivement (en 1966 pour "La Tiare d'Oribal". Ce volume compte soixante-deux planches. 

À l'issue du tome précédent, le volcan de l'île des Phéniciens entre en éruption, détruisant l'île elle-même. Alix, Enak et leurs compagnons parviennent à gagner leur navire, mais l'explosion provoque un raz-de-marée. Le bateau chavire, mais ils sont sauvés par des marins carthaginois et rentrent à bon port.
Syrie, 50 av. J.-C. Un convoi romain vient de traverser le désert et fait route faire une forteresse romaine. L'un des cavaliers aperçoit le bastion et se réjouit déjà ; une colonne de fumée s'élève de la place forte, signe que leurs camarades ont sans doute préparé un festin. Mais en approchant, les soldats, ne distinguant pas âme qui vive, commencent à s'inquiéter. Arrivant enfin sur place, ils réalisent avec appréhension que le fort a subi une terrible attaque, est abandonné et n'est plus que décombres. Ils progressent, toujours sur leurs gardes. Des vautours, perchés au sommet d'une tour, font entendre leur cri. L'un des cavaliers tend déjà son bras armé d'un pilum, mais l'officier l'arrête ; qu'il garde donc son javelot pour une meilleure occasion. L'officier (Varius) qui vient de parler se dirige vers un petit groupe de cavaliers restés en retrait. Parmi ces derniers, Alix. Varius estime qu'il n'y pas d'autre option que de demeurer sur place pour y passer la nuit. Alix acquiesce. Chacun se met à la tâche et le campement s'organise au milieu des ruines. Varius, Alix, Enak et un jeune homme tiennent conseil dans une tente. Varius est pessimiste ; si un fort de cette taille a cédé aux assauts des ennemis de Rome, qui sait ce qui les attend pendant la traversée de ces contrées hostiles ? Pour Alix, risquer la vie de ces soldats romains n'est pas raisonnable ; une poignée d'hommes résolus auront davantage de chances de franchir cette région qu'un régiment entier. S'adressant au jeune homme en l'appelant "Majesté", il lui promet qu'il accomplira sa mission, le reconduire dans son royaume...

Avec "La Tiare d'Oribal", l'auteur, malgré quelques ficelles scénaristiques, signe une intrigue spectaculaire et captivante, riche en retournements de situation, où aventure, politique et combats se mêlent avec équilibre. Le machiavélique et rusé Arbacès est ici la vedette ; arrogant, autoritaire, infatigable, colérique et cruel, il est sur tous les fronts. Enak, même s'il est courageux, demeure le "maillon faible". Visuellement, Martin revient à un style plus personnel (mais pas encore abouti) et moins influencé par les codes de la ligne claire tels qu'immortalisés par Hergé (1907-1983) ou Edgar P. Jacobs (1904-1987). Son trait s'oriente à nouveau vers le réalisme en vigueur dans les deux premiers albums, bien que les visages des nouveaux personnages (voir celui de l'espion parthe) restent parfois inspirés par le trait de ses mentors. Point important, Martin aère sa narration graphique et réduit considérablement sa densité de cases par planche à une douzaine (moyenne approximative), soit quatre à cinq de moins que dans les tomes précédents ; ses cases étant de dimensions plus grandes, le dessinateur en profite pour augmenter la variété de ses plans. Pour faciliter la lecture, car le texte est abondant, l'artiste colore ses cartouches en jaune, orange ou bleu afin de les distinguer des phylactères (blancs). Enfin, n'oublions pas le soin constant, cette minutie permanente et cet œil pour le détail qui caractérisent son travail, des qualités perceptibles et appréciées du lecteur, notamment lors des scènes de bataille et tous leurs figurants.

"La Tiare d'Oribal" est un volume important, car son histoire constitue la conclusion de ce que l'on pourrait aujourd'hui appeler la "tétralogie Arbacès". Et puis, surtout, ce tome marque un retour à un classicisme graphique à l'inspiration plus personnelle.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. Présence01 décembre

    Quand un méchant (Arbacès) vole la vedette au héros, c'est souvent un bon signe, car ça va obliger le héros à se surpasser. Je ne me doutais pas qu'Hergé et Jacobs avaient projeté une telle ombre sur leurs contemporains auteurs de BD.

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    Réponses
    1. Pour moi cette influence est très perceptible dans le tome précédent. À l'époque, ça ne m'avait pas marqué. Mais là, ça m'a sauté aux yeux comme une évidence.
      Arbacès est excellent dans ce tome.

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