jeudi 18 janvier 2018

Alix (tome 6) : "Les Légions perdues" (Casterman ; janvier 1965)

"Les Légions perdues" est le sixième tome de la série créée par le Français Jacques Martin (1921-2010) en 1948. Cette histoire est d'abord prépubliée dans l'édition belge du "Journal de Tintin", entre novembre 1962 et juin 1963. Casterman l'édite en album en 1965. Cette maison a repris "Alix" à Le Lombard la même année et a déjà réédité les cinq premiers albums. Cette bande dessinée compte soixante-deux planches.
Martin est également célèbre pour d'autres séries, telles que "Lefranc", ou "Jhen". En 1991, il est hélas diagnostiqué d'une dégénérescence maculaire qui le rend quasiment aveugle et l'éloigne des tables de dessin dès l'année suivante. Il délègue alors le dessin à d'autres artistes et se fait assister à l'écriture.

À l'issue du tome précédent, Alix revient à temps d'Afrique pour administrer le remède au poison de la Griffe noire au jeune Claudius, neveu du vieux Gallas, le soustrayant ainsi au projet de vengeance, bien que son choix ne fasse pas l'unanimité. Les responsables du complot sont condamnés aux galères à vie.
Rome, la nuit. Alix est soudainement réveillé par le tonnerre. Gêné par la chaleur et la moiteur de l'atmosphère, il comprend qu'il lui sera difficile de se rendormir aisément. Il se dirige vers la terrasse afin de profiter du spectacle. Son regard est attiré par une bien étrange scène : un homme armé d'une épée saute de toit en toit, poursuivi par des gardes en uniforme. L'homme bondit, mais trop court ; il se rattrape néanmoins aux tuiles du toit de l'immeuble suivant. Il puise dans les forces qui lui restent pour se rétablir, puis monte au sommet. Les autres, profitant de ce retard, sont déjà sur lui. L'inconnu est acculé et ne peut que se résoudre à frapper. Les deux premiers soldats tombent, victimes des coups portés. Mais l'homme, cerné, doit finir par reculer. Alix est sur le point d'intervenir, mais son domestique, Heliodor, le retient. Le fuyard, sur le point d'être capturé, hurle alors le prénom d'Alix...

Sixième album d'Alix. Après l'Afrique, retour à Rome - et en Gaule. Et après une quasi-enquête policière et une affaire de vengeance, Martin revient au complot. L'instigateur ? Pompée. La cible ? Jules César. Ce dernier compte un allié discret et efficace en la personne d'Alix. Alix, en quelque sorte, agit dorénavant en tant qu'agent spécial de César. Ici, le défi est de taille : empêcher une union entre Gaulois et Germains, projet fomenté par Pompée en vue d'affaiblir César (les débuts de la guerre civile approchent). Pour y parvenir, Alix doit défendre dans l'arène et sauver la vie de l'esclave Agérix - sans oublier de défendre la sienne. L'auteur prend soin de nous rappeler la légende de la terrible épée et du fameux "Vae victis !" du chef gaulois Brennus. Enak, comme dans les épisodes précédents, fait toujours office de maillon faible de l'équipe, et met plus d'une fois Alix dans une situation difficile. Le scénario est cohérent, articulé avec science, et équilibré ; des marques de fabrique de Martin. Par contre, le scénariste utilise la meute de loups comme deus ex machina trop souvent, au point d'en devenir prévisible. Autre choix qui pourra rendre le lecteur perplexe, le discours de Vanik à l'égard de l'envahisseur romain ; quelle sagesse ! Le cousin d'Alix estime en effet que les Romains sont "des vainqueurs nobles et généreux qui transforment miraculeusement" leur patrie. Laissons-lui la "responsabilité" de ses propos ; selon Plutarque, l'écrivain grec, la Guerre des Gaules aurait fait un million de morts et un million d'esclaves (estimations à considérer avec le recul nécessaire). Cette aventure est importante, car le style graphique de Martin a évolué depuis "La Griffe noire", un progrès peut-être dû, en partie, au premier tome de la série "Lefranc", qui s'intercale entre "La Griffe noire" et "Les Légions perdues". On pourra prétendre qu'il s'agit de l'album du début de la maturité artistique de Martin. La minutie que le dessinateur apporte à son œuvre est admirable ; personnages, animaux, vêtements et armes, paysages, bâtiments, etc. Tout est dans le détail ; par exemple, les proportions d'Alix (un adolescent à l'âge inconnu) par rapport à des personnages adultes. Les planches chargées des débuts appartiennent au passé. Désormais, Martin produit, pour chaque planche, trois, quatre bandes de trois à quatre cases chacune. Le découpage est impeccable.

Bien que "Les Légions perdues" pêche par certains artifices narratifs ou choix scénaristiques, il s'agit néanmoins d'une aventure grand format dans laquelle Alix est, une fois de plus, confronté à un complot visant l'Empire romain - et le consul Jules César.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

3 commentaires:

  1. C'est sympathique de retrouver ainsi la suite des aventures avec tes commentaires. La scène que tu décris avec le fuyard sur le toit me rappelle vaguement quelque chose. Il est donc possible que j'ai lu ce tome, mais sans en garder aucun souvenir.

    Je dois avouer que je ne dispose pas des connaissances nécessaires pour pouvoir, comme toi, porter un jugement de valeur sur la véracité historique, ou du moins sa vraisemblance concernant le discours de Vanik.

    J'ai bien apprécié le développement sur l'évolution des qualités des dessins de Jacques Martin, à la fois parce qu'il met en évidence une progression, à la fois parce que ce n'est pas facile de se renouveler dans une suite de commentaires sur une série réalisée par un même créateur.

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    1. C'est trop de connaissances que tu me prêtes ! J'avoue que lorsque j'écris un article, surtout pour cette série, c'est avec Google ou Wikipédia d'un côté et l'encyclopédie Larousse en ligne de l'autre ! J'essaie toujours de me documenter un minimum avant d'insérer quelques informations çà et là. Certains articles me prennent plus de temps que d'autres.
      D'ailleurs, question : pour tes articles, comment t'y prends-tu ?

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    2. Pareil, en encore plus laborieux : google, wikipedia, des sites spécialisés comme comicbookdb.com pour les comics, parfois des sites spécialisés dans une série (altaplana.be pour Les Cités Obscures, de Schuiten & Peeters), et parfois la lecture d'autres articles si je ne suis pas sûr de moi (par exemple pour la Brigade Chimérique, de Serge Lehman & Gess), parfois le site de l'auteur pour les écrits de Pat Mills... Tout dépend de la complexité de la BD.

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