mercredi 24 janvier 2018

Les Tours de Bois-Maury (tome 6) : "Sigurd" (Glénat ; janvier 1990)

"Les Tours de Bois-Maury" est une série de l'artiste belge Hermann (Huppen) dont le titre a été changé en "Bois-Maury" à partir du onzième tome ("Assunta", 1998). Bien qu'Hermann ait œuvré seul sur les onze premiers numéros, son fils Yves H. le rejoint comme scénariste au douzième tome ("Rodrigo", 1991).
"Sigurd" est le sixième tome du titre. Cet album cartonné comptant quarante-six planches est sorti dans la collection "Vécu" de Glénat en janvier 1990. Il y a eu, à ce jour, cinq rééditions.

À l'issue du tome précédent, Aymar et les autres donnent l'assaut au château d'Yvon de Portel, qui sombre dans la folie. Les brigands se défendent avec ardeur, mais le pont-levis est baissé et la porte enfoncée. Les cadavres des bandits sont dénudés puis pendus à la palissade. Germain, lui, s'en tire grâce à Alda.
La côte normande. Un ciel couleur de plomb. Le vent peine à dissiper la brume. Les rochers qui entourent les falaises de craie sont inlassablement recouverts par les flots. Plus loin, une petite troupe suit un chemin. Bois-Maury devise gaiement avec William, un jeune chevalier anglais ; ils ont été conviés à participer à un tournoi. Derrière, Olivier, son écuyer, éprouve des difficultés à convaincre son cheval de bât d'avancer ; est-ce le vent qui l'effraie ? Aymar et William reprennent leur conversation. Une chauve-souris piquant sur elle fait paniquer la bête de somme, qui descend la pente au galop et finit par chuter. L'écuyer se précipite à sa suite, mais ne peut empêcher que le bouclier de son maître soit projeté plus loin. Sous l'air contrarié du chevalier, Olivier récupère le bouclier. Il n'y a aucun dégât et rien n'a été égaré. Agacé, Bois-Maury n'a que faire d'excuses ; il rétorque à son compagnon qu'il est responsable de ce qui vient de se passer, et il lui ordonne de remonter en selle sans tarder. Olivier l'appelle à nouveau et le prie de regarder en direction de la mer ; la proue d'un drakkar, à peine visible à cause du brouillard, fend les flots derrière les rochers...

"Sigurd" est une plongée dans l'univers fantastique de la période médiévale : fantômes, créatures spirituelles ou démoniaques, malédictions, monstres formidables, etc. Hermann fait reposer cette matière sur le terreau des superstitions, qui sont ici d'autant plus vivaces que les victimes, qui vénéraient Odin et d'autres il y a peu encore avant de se convertir au christianisme, sont conscientes de leur proche passé païen, jusqu'à le regretter ou à vouloir l'oublier. La famille (car c'est aussi un drame familial) n'est-elle pas prisonnière d'une malédiction qu'elle a elle-même nourrie ? Forcément, l'intrigue est un peu plus complexe que cela. En ce qui concerne les caractérisations, ce qui est déroutant avec le personnage de Bois-Maury, c'est que le scénariste n'évoque guère les souvenirs des aventures précédentes. Il n'y fait aucune référence, et chaque album pourrait être considéré comme un récit indépendant sans continuité s'il n'y avait le fil rouge de Germain, ce maçon devenu brigand après avoir été torturé. La psyché de Bois-Maury se laisse découvrir au fil des tomes et Hermann lui donne une importance croissante ; il apparaît bien sûr comme digne, juste, équitable, l'incarnation même du chevalier, tout en étant susceptible et prompt à l'agacement ou à l'emportement (planches 3 et 13). Cet album très particulier, au dernier tiers entre rêve et réalité, tient une place à part dans la série.
"Sigurd" s'ouvre sur des planches de toute beauté représentant la côte normande, avec une structure en incrustations. Le découpage d'Hermann est très régulier ; on compte rarement plus de trois bandes par planche et pas plus de trois cases par bande. L'artiste montre à quel point il maîtrise la perspective, en témoigne la planche 31. Cette planche est étrange, d'ailleurs, car elle semble faire écho au château d'Yvon de Portel dans "Alda" ; l'auteur met-il son chevalier à l'épreuve, tel saint Antoine avec ses Tentations, en l'opposant à des représentations symboliques de ce qu'il désire le plus, c'est-à-dire son propre château, les tours de Bois-Maury ? La dernière partie permet à l'artiste de s'offrir une incursion dans le registre surnaturel ; si le découpage est toujours très maîtrisé, les cases sont riches, détaillées, pleines de mouvement et de contrastes, avec un remarquable travail sur l'ombre et la lumière.

"Sigurd" est un conte fantastique sur l'essence de la chevalerie aux faux airs de "Thorgal", sur fond de survivances du paganisme. Faut-il s'étonner que, suite à cette terrible épreuve, le sieur Aymar de Bois-Maury décide de partir pour la Terre sainte ?

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

3 commentaires:

  1. Ta description du début me rappelle quelque chose en particulier cette ambiance étrange dans la brume ; j'ai dû le lire celui-là. En progressant dans ton commentaire, je me souviens effectivement de cette impression très étrange d'histoire sans lien entre elles si ce n'est le personnage principal.

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    1. Pour moi, chaque épisode est terrain inconnu, car je n'avais jamais lu "Bois-Maury" et je n'étais pas familier de l'œuvre d'Hermann. J'ai sans doute lu quelques planches de "Bernard Prince" étant gamin.
      As-tu lu "Bernard Prince" ?

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    2. Non, je n'ai lu aucun album de Bernard Prince. Pour Bois Maury, je pense que j'ai dû aller jusqu'au tome 12 à la couverture si marquante, mais je ne garde aucun souvenir des histoires que j'ai lues il y a plus de 15 ans, peut-être même 20.

      Récemment, j'ai souhaité lire une BD d'Hermann, et mon choix s'est porté sur The girl from Ipanema que je n'ai pas beaucoup apprécié. A peu près dans la même période que Bois Maury, j'ai dû lire plusieurs tomes de la série Jeremiah, mais là encore je serais bien en peine de dire jusqu'à quel tome.

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