mardi 7 août 2018

Batman : "Un long Halloween" (Urban Comics ; janvier 2013)

"Un long Halloween" est un album cartonné d'approximativement trois cent soixante-quinze planches, sorti dans la collection DC Essentiels d'Urban Comics en janvier 2013. C'est la troisième édition de l'histoire, publiée dans les périodiques SEMIC entre 1997 et 1998 (quatre fascicules), puis par Panini Comics en 2009, en grand format. En VO, "Batman: The Long Halloween" est une série (treize numéros) publiée par DC Comics entre 1996 et 1997.
Cette histoire est signée par le scénariste Jeph Loeb et le dessinateur Tim Sale. Cette œuvre a beaucoup fait pour la réputation du duo, aux côtés de "Batman : Halloween", "Les Saisons de Superman" (1998), "Catwoman : À Rome" (2004), ou "Amère Victoire" (1999-2000). La mise en couleurs a été réalisée par Gregory Wright, primé par le Comics Buyer's Guide en 1990 et 96. Dave Stewart, le coloriste aux neuf Eisner, aide sur quelques planches.

Dans une pièce plongée dans la pénombre, Bruce Wayne, en smoking, gants blancs, feutre à la main, affirme solennellement qu'il croit en Gotham City. S'il est venu ce soir, c'est par respect pour ses parents, qui connaissaient la famille de son hôte et interlocuteur. Ce dernier avoue à Bruce que Thomas Wayne était plus qu'un simple ami pour son propre père. Bruce, qui observe l'extérieur du bureau à travers les lamelles du store vénitien, lui rétorque que tout cela s'est déroulé il y a bien longtemps. En lui-même, il ne voit que le mensonge, partout. Il assiste à la réception donnée par Carmine Falcone, alias le "Romain", en l'honneur du mariage de son neveu, Johnny Viti, alors qu'il avait, dans un passé récent, fait appel aux services d'un tueur à gages pour le supprimer, Viti étant prêt à passer aux aveux devant le grand jury et à tout balancer sur la corruption, les extorsions, les meurtres. Viti n'a finalement pas témoigné. Et Falcone paie l'intégralité de la réception de mariage. Bruce observe les invités. Railleur, il fait mine d'être impressionné par le nombre de nouveaux amis de Falcone. Des amis riches et influents, tels que Richard Daniel, cadre dirigeant de la Gotham City National Bank...

"Un long Halloween" est une œuvre incroyablement aboutie qui mérite toute l'attention du lecteur tant elle regorge de détails, et qui est plus exigeante qu'il n'y paraît. En treize parties, le scénariste déploie une intrigue policière qui associe fêtes calendaires (normalement sujettes à une certaine forme de joie populaire) et meurtres, en faisant intervenir de grandes figures du crime costumé de Gotham City. Loeb y parle de l'importance des secrets, car tout le monde en a (surtout dans ce monde où le costume de criminel masqué prend de l'ampleur, depuis l'apparition de Batman, curieusement, comme le pense Gordon), chacun à quelque chose à cacher, un besoin vital né de la corruption ambiante. Loeb évoque les non-dits entre époux (les Dent, les Gordon), entre amants (Bruce Wayne et Selina Kyle), entre parents et enfants (Bruce, et Alberto et Sofia Falcone). Les dialogues sont courts, ce qui renforce l'atmosphère introspective, en plus des cartouches qui retranscrivent les pensées des protagonistes. Le texte semble s'effacer devant le dessin, s'y fondre totalement, permettant la fusion entre les mots et l'image, d'autant que l'ouvrage compte plusieurs pleines, voire doubles pages. La partie graphique est d'ailleurs époustouflante. Faut-il parler d'illustrations ? Les cases de grandes dimensions sont des tableaux, des compositions, et les gros plans deviennent des portraits. Sale puise allègrement dans ses influences expressionnistes ou cinématographiques (le lecteur pensera immanquablement au "Parrain" de Francis Ford Coppola (1972) pour produire des scènes dans lesquelles l'importance de la symbolique est forte. Son Batman massif, imposant, drapé telle l'incarnation vivante de la justice dans une cape qui est le parfait prolongement de sa psyché, s'inscrit dans un découpage souvent séquencé avec soin, lorsqu'il n'est pas figé dans une pose esthétique étudiée. Les vilains (le Joker, l'Épouvantail) sont représentés dans un style proche de la caricature. Le travail sur les contrastes entre ombre et lumière est saisissant (y compris dans les pages en noir et blanc), et la mise en couleurs vient parachever cette réussite totale. Cerise sur le gâteau : Loeb, qui a sans doute pensé qu'une telle œuvre méritait davantage qu'une fin ordinaire, se permet de brouiller les cartes lors de sa conclusion. Thomas Davier effectue une traduction satisfaisante au texte soigné.

"Un long Halloween" est un chef-d'œuvre. C'est l'une des plus grandes histoires de Batman jamais produites. Elle offre une partie visuelle magistrale et unique. L'album apporte son lot de nouveaux éléments à chaque nouvelle lecture. À lire, et à relire.

Mon verdict : CHEF-D'ŒUVRE

Barbuz

2 commentaires:

  1. Un style proche de la caricature : 100% d'accord. C'est même très surprenant quand on commence à regarder un dessin dans de le détail de voir à quel point Tim Sale exagère les proportions et déforme les morphologies (à commencer par le visage de Joker), et pourtant ça fonctionne parfaitement. La mise en couleurs de Gregory Wright, à l'opposé d'une approche pyrotechnique, est également saisissante.

    Le texte semble s'effacer devant le dessin. - C'est impressionnant comment Loeb a su s'imposer de la retenue pour laisser les dessins transcrire l'atmosphère et porter la narration.

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    1. Oui. Cette œuvre regorge de qualités, et j’en découvre de nouvelles à chaque lecture.
      Un peu comme avec « Année un », sans vouloir ni pouvoir les comparer.

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