En 2013, Panini Comics obtient la licence Valiant pour la France et publie les trois (en fait, quatre) tomes de "Bloodshot" avant de renoncer en 2015 pour cause de ventes décevantes. En décembre 2015, Bliss Comics récupère les droits puis sort le premier volume de "Bloodshot Reborn" en avril 2016. "Colorado" est un album de cent trente planches (sans les bonus), qui compile les numéros VO #1-5 (d'avril à août 2015) du titre "Bloodshot Reborn".
Le Canadien Jeff Lemire écrit le scénario. Le Philippin Mico Suayan dessine et encre les quatre premières parties ; la cinquième et dernière est confiée aux Espagnols Raúl Allén et Patricia Martín. David Baron réalise la mise en couleurs des quatre premiers numéros. Borja Pindado assiste Allén et Martín dans le cinquième.
Ray Garrison se souvient de Bloodshot. De ces yeux rouges. De cette peau d'albâtre. De toutes ces armes. Bloodshot, la machine à tuer idéale, devenue loyale grâce à l'implantation d'une fausse mémoire par les scientifiques du projet Rising Spirit. Bloodshot, la mort incarnée, sans état d'âme pour les victimes, cibles ou dommages collatéraux. Le projet Rising Spirit récupéra un soldat blessé au combat et lui injecta des nanorobots dans le sang ; ces machines microscopiques permirent à Bloodshot de développer une force, une agilité et une vitesse surhumaines, en plus de lui conférer un facteur auto-guérisseur, le rendant ainsi presque indestructible. Bien entendu, les savants de Rising Spirit utilisèrent également ces nanites pour contrôler les pensées de leur cobaye, qui réussit pourtant à se libérer de l'emprise du projet et put même envisager une autre vie, mue par d'autres idéaux. Garrison rencontra ensuite Kay McHenry, la Géomancienne, avec qui il eut une liaison. Il échoua à la protéger et elle tomba au combat. Avant de mourir, elle trouva néanmoins la force de retirer les nanorobots du corps de Bloodshot, lui rendant ainsi son humanité. Ray Garrison se souvient de Bloodshot. Mais ça n'a plus d'importance. Aujourd'hui, il travaille comme employé à tout faire dans un motel, le Red River Inn. Bloodshot, lui, n'existe plus...
Ray Garrison est un soldat que la technologie sort de l'anonymat afin de le transformer en machine à tuer au profit d'une organisation au sujet de laquelle peu est dévoilé (pour en savoir plus, il faudrait lire les trois premiers tomes de "Bloodshot" publiés dans la collection 100% Fusion Comics de Panini Comics entre novembre 2013 et septembre 2014). Garrison a eu son heure de gloire en tant que héros, mais depuis que les nanorobots ont été expulsés de son corps, il est redevenu un individu ordinaire. Il paie aujourd'hui le prix de cette normalité ; celui que la science avait rendu invincible, voire immortel, est l'homme à tout faire d'un motel peu reluisant. La patronne le charge du nettoyage, du débouchage des sanitaires, de sortir les poubelles, et de travaux de peinture. Cette existence, contre toute attente, ne déplaît pas à celui qui a été le compagnon d'armes de Ninjak ou de Livewire. En tout cas, en journée. Parce que la nuit, c'est le cauchemar ; pour oublier, Garrison sniffe et picole dans sa chambre crasseuse, tremblant à l'idée d'ouvrir son dossier personnel. Autour de lui, la violence omniprésente (télévision, jeux vidéo), le renvoie à des visions de son passé et lui oppose deux démons intérieurs sous la forme d'hallucinations : Bloodsquirt, caricature cynique du sidekick, volcan d'humour noir obsédé par la frénésie, et Kay, fausse femme aimante qui incite Ray à l'héroïsme et à la reprise du combat. Ça et les tueries mises en scène par Rising Spirit le poussent à céder au chant des sirènes, au chant des nanites. Lemire déploie une intrigue captivante, rythmée, violente, dans lequel les oubliés du rêve américain s'entre-tuent sur l'échiquier des élites, représentées par Rising Spirit. Les seconds rôles sont intéressants : le duo formé par les agents Festival et Hoyt, et Magic, jeune fille paumée. Le style réaliste et expressif de Suayan fait des merveilles. L'artiste effectue rarement plus de six cases par page ; son découpage est classique. Dieu merci, il abandonne ce torse nu narcissique puéril et vêt le personnage décemment.
La traduction est signée Mathieu Auverdin. Auverdin, des studios MAKMA, produit ici un travail de qualité et un texte soigné. La reliure est solide, et la maquette est impec : table des matières, couvertures originales insérées entre les chapitres, etc.
"Colorado" est une indéniable réussite qui laisse deviner une réflexion sociale encore en filigrane, car Ray Garrison est homme exploité, dont le seul moyen de quitter cette vie sans issue est de redevenir la machine à tuer qui ne pose aucune question.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbuz
Je suis surpris que tu n'ais pas commencé par The Valiant qui avait été mis en avant (à la fois par Valiant, à la fois par Bliss) comme le point d'entrée pour tout nouveau lecteur. D'un autre côté, ce récit (The Valiant) n'était pas très réussi, à mon goût.
RépondreSupprimerJ'étais parti sans grandes attentes vis-à-vis de ce récit et de ce personnage un peu monolithique et dérivatif. J'ai été très agréablement surpris pas des visuels de grande qualité (Mico Suayan), donnant corps à des personnages intenses et des lieux consistants. Lemire a l'art et la manière pour provoquer la compassion du lecteur devant les tourments de Ray Garrison, sans que le personnage ne devienne un héros lisse et générique, par sa situation : un présent étant déterminé par ce qu'il a été et par ses compétences.
Je te cacherai pas que j'ai fait assez peu de recherches avant de m'attaquer à cet univers ; j'ai donc tout simplement zappé "The Valiant". De ce que j'ai lu ici et là, cet univers est largement accessible (et c'est vrai) et cette porte d'entrée ne nécessite pas forcément une autre lecture. J'ai eu le même sentiment avec le premier tome de l'intégrale "X-O Manowar".
SupprimerJe dispose pas de ce recul car j'avais déjà lu plusieurs séries de la première version de Valiant en 1992. Donc j'avais déjà une connaissance préalable des principes fondateurs de cet univers partagé.
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