samedi 11 février 2023

Man-Thing : "Le Monstrueux Homme-Chose" (Panini Comics ; mars 2013)

Intitulé "Le Monstrueux Homme-Chose", ce recueil est paru en mars 2013 chez Panini Comics, dans la collection "Marvel Graphic Novels" de l'éditeur. Il s'agit d'un volume anthologique qui propose trois histoires complètes de l'Homme-Chose ("Man-Thing"). Il a la forme d'un album relié - avec une couverture cartonnée - de dimensions 19,0 × 28,3 centimètres. L'ouvrage comprend quatre-vingt-onze planches imprimées sur papier glacé, dont quatre-vingts sont en couleurs, l'une de ces trois histoires étant en noir et blanc avec des nuances de gris. Au sommaire : les versions françaises des "Infernal Man-Thing" #1-3, une minisérie publiée entre septembre et octobre 2012, ici intitulée "Le Scénario du mort-vivant", du "Man-Thing" #12 de décembre 1974 ("La Complainte du mort-vivant") et un extrait intégral du "Savage Tales" #1 de mai 1971 ("L'Homme-Chose"). Le responsable éditorial Ralph Macchio signe la préface. En bonus : onze pages de couvertures et de croquis, et de succinctes biographies de Gerber et de Nowlan. 
"Infernal Man-Thing" est écrit par Steve Gerber (1947-2008). Kevin Nowlan réalise la totalité de la partie graphique : les dessins, l'encrage, la mise en couleurs. Le "Man-Thing" #12 est scénarisé par Gerber aussi, et la partie graphique confiée à John Buscema (1927-2002) pour les dessins, Klaus Janson pour l'encrage, et Glynis Wein (Oliver) pour la mise en couleurs. Le "Savage Tales" #1, pour terminer, a été coécrit par Gerry Conway (au script) et Roy Thomas, et dessiné et encré par Gray Morrow (1934-2001). 

Floride, dans les Everglades ; un brouillard moite et oppressant a recouvert le marais. La torpeur a envahi l'esprit de Man-Thing. Sans but, incapable de penser clairement, de réfléchir, la formidable créature est debout dans l'eau, comme figée. Jadis il était un homme. Aujourd'hui, "tas de boue maintenu par des racines et des lianes", il appartient au marais. Bien qu'étant dépourvu de sensibilité, il est "doué d'empathie" et "ressent les émotions d'autrui" : la joie, la colère, le chagrin, la peur, la mélancolie, ou la confusion. Une enclume s'abat brutalement sur son crâne ! La douleur n'est rien à côté du chaos qui s'empare de son esprit... 

Curieusement, ces trois histoires sont présentées dans l'ordre chronologique décroissant ; s'il préfère la cohérence, le lecteur aura soin de commencer par la dernière. Passionnant, "L'Homme-Chose" est un récit de onze planches qui conte les origines de Man-Thing ; c'est un chef-d'œuvre, un joyau qui réunit brillamment des éléments de roman noir et des ingrédients du genre horrifique. Ted Sallis - un scientifique travaillant au développement d'applications militaires, déjà hanté par le remords - est persuadé de commettre une nouvelle erreur, à laquelle il est sournoisement poussé par sa compagne Ellen, une beauté affriolante. Man-Thing y naît en véritable force brute par un accident tragique et s'impose en instrument de châtiment, qui exécute les coupables ou les marque à vie malgré lui, comme les criminels du temps jadis. En deçà, "La Complainte du mort-vivant" est un bon épisode, nonobstant le côté hystérique et le texte bavard qui nuisent à l'ambiance. Man-Thing y est un personnage secondaire, un moyen de désamorcer le drame (par la force). Gerber crée ici le personnage de Brian Lazarus, dans une histoire aux relents autobiographiques. Comme Lazarus, Gerber a été concepteur-rédacteur dans la publicité ; comme Lazarus, Gerber a cru que cet univers le rendrait fou. Il le mentionne dans une lettre à Thomas en 1972, à qui il demande de l'aide pour intégrer les rangs de Marvel. Ainsi, cet "asile désaffecté à la lisière des marais" pourrait figurer l'agence où travaillait Gerber. Enfin, "Le Scénario du mort-vivant" est une farce macabre et grotesque avec de nombreux thèmes sous-jacents, dont par exemple le dédoublement de la personnalité, le délire créatif non contrôlé, le manque d'inspiration, le sentiment d'échec par rapport à la vie et aux réalisations. Gerber fait revenir Lazarus et glisse des clins d'œil à "Star Trek", "Rambo", ou encore "Hulk", sur lequel il avait travaillé. Man-Thing est cantonné à un rôle de deus ex machina ambulant, qui doit être là lorsque le besoin se fait sentir. L'absurdité débridée de ces pages pourra s'avérer réellement rédhibitoire, surtout si le lecteur recherche un récit horrifique de facture classique. 
Pour "Le Scénario du mort-vivant", Nowlan trace les contours de ses silhouettes d'un trait noir, fin, continu, et régulier avant de terminer ses planches à la peinture. Le rendu est froid - presque numérique. L'artiste utilise beaucoup la technique de l'idéogramme, à la manière des vieux dessins animés. Bien que difforme comme jamais, son Man-Thing est moins effrayant et moins brut. Il y a des planches épatantes, dans "La Complainte du mort-vivant". Le style de Janson étant aussi perceptible, sinon plus que celui de Buscema, il est envisageable que ce dernier ait fourni des crayonnées hâtifs à l'encreur. Enfin, "L'Homme-Chose" bénéficie du talent incomparable du trop rare Morrow ; l'illustrateur produit là un travail admirable, presque photoréaliste, d'autant plus remarquable que la sensation de mouvement est présente. 
La traduction des trois histoires est effectuée par Nicole Duclos. Son texte est parfaitement clair en plus d'être presque impeccable : aucune faute, juste une coquille.

Entre deux et trois étoiles pour "Infernal Man-Thing". Quatre pour "La Complainte du mort-vivant". Et cinq pour "L'Homme-Chose", car c'est une véritable réussite. Que le lecteur ne cherche pas d'atmosphère uniforme dans ce recueil, car il n'y en a pas. Juste le plaisir de retrouver ce personnage, trop rare en version française. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Man-Thing, Homme-Chose, Theodore Sallis, Ted Sallis, Ellen Brandt, Brian Lazarus, Steve Gerber, Kevin Nowlan, John Buscema, Gerry Conway, Gray Morrow, Roy Thomas, Marvel Comics, Panini Comics

7 commentaires:

  1. A l'époque de la parution de Infernal Man-Thing, j'avais sauté dessus car j'aimais beaucoup les œuvres du scénariste Steve Gerber, en particulier Man-Thing, pas vraiment un superhéros, tout juste une machine empathique sur pattes, avec un superpouvoir généralement qualifié d'idiot par de nombreux scénaristes. Comment ne pas avoir peur en voyant arriver ce monstre devant soi ?

    Une histoire aux relents autobiographiques : merci pour cet éclairage, je n'y avais même pas pensé en le lisant.

    Je rejoins complétement ton avis sur les dessinateurs, que ce soit l'approche personnelle et interprétative de Kevin Nowlan, les crayonnés rapides de John Buscema, ou le travail minutieux de Gray Morrow.

    Mon article sur Babelio :
    https://www.babelio.com/livres/Nowlan-Man-Thing/796185/critiques/933949

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. "Comment ne pas avoir peur en voyant arriver ce monstre devant soi ?" : Effectivement, je m'étais fait la réflexion, mais je me suis dit qu'il y avait "peur" (dans le sens "peur d'être pris/puni") et "peur" (dans le sens impressionnable), d'autant que le bougre est sacrément impressionnant, nettement plus que Swamp Thing, je trouve.

      Gray Morrow - J'adore son travail. Je l'ai découvert dans le "Captain America" #144, dont il n'illustre que la moitié.

      Merci pour le lien. Tu as été bien plus enthousiasmé que moi, notamment par la mini.

      Supprimer
  2. D'autres propositions de collaborations : le tome 1 de la série Marshal Bass de Macan & Kordey, le tome 1 de Zombillénium d'Arthur de Pins, Le troisième œil tome 1 d'Olivier Ledroit, Degas la danse de la solitude d'Efa & Salva Rubio, Lone Wolf & Cub tome 1, La venin tome 1 de Laurent Astier, Vénus à son miroir de Jean-Luc Cornette & Matteo.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah, voilà une liste qui me parle beaucoup, merci pour ses suggestions !

      "Marshal Bass" : Non, car j'ai encore "Durango" en cours, sans compter que "Comanche" et "Jerry Spring" figurent aussi sur ma liste. Sans oublier "Bouncer", qui n'est pas fini, a priori. Donc pas de nouveau western pour le moment.

      "Zombillénium" : Tu es bien plus fan d'Arthur de Pins que moi.

      "Le Troisième Œil" : Ça me tente terriblement, j'avoue. Je ne l'ai pas en rayon, mais pourquoi pas ?

      "Degas, la dans de la solitude" : Il est dans ma PAL, mais assez loin. Peut-être pas assez symbolique pour que j'envisage un article à quatre mains.

      "Love Wolf & Cub", tome 1 : Sans doute celui qui me tente le plus.

      "La Venin" : Ça ne me dit trop rien.

      "Vénus à son miroir" : Ça ne parle pas suffisamment.

      Ma proposition : "Love Wolf & Cub" au premier semestre, "Le Troisième Œil" au second, et "Degas" sous la main pour 2024.
      Qu'en penses-tu ?

      Supprimer
    2. Lone Wolf & Cub tome 1 : c'est vendu. Il est dans ma pile avec les tomes suivants, il faut juste que je prenne le temps de le lire.

      Souhaites-tu que je t'envoie un premier jet comme pour Le prince de la nuit ?

      Supprimer
    3. Oui, on peut faire comme, ça, mais je voudrais juste qu'on commence à le lire en même temps, sinon je vais prendre trop de retard.
      Tu me confirmes qu'il s'agit du premier tome de l'édition "Prestige" ? Parce que c'est celle que j'ai.

      Supprimer
    4. Je confirme : Lone Wolf & Cub T01 - Édition prestige parution le 8 décembre 2021.

      https://www.amazon.fr/Lone-Wolf-Cub-T01-prestige/dp/2809498997/ref=cm_cr_srp_d_product_top?ie=UTF8

      Supprimer