Intitulé "Imperium", cet ouvrage a été publié par Bliss Comics en octobre 2017 ; il contient les versions françaises des "Imperium" #1-16, soit l'intégralité du titre, à l'exception - c'est curieux - du prélude (février 2015). En version originale, "Imperium" est paru chez Valiant entre février 2015 et mai 2016. Cet album relié (de dimensions 17,5 × 26,5 centimètres, avec couverture cartonnée) compte approximativement trois cent soixante planches, auxquelles viennent s'ajouter vingt-six pages supplémentaires, en guise de bonus de fin de recueil : variantes de couverture, crayonnés, planches montrant l'évolution entre crayonnés et encrage.
Les numéros sont tous écrits par Joshua Dysart ; il a, entre autres, travaillé sur "Harbinger" (2012-2014), chez Valiant aussi. Doug Braithwaite dessine le premier arc, Scot Eaton le deuxième, CAFU et Juan José Ryp se chargent du troisième, Khari Evans réalise le dernier. Outre Braithwaite, CAFU, et Ryp, qui encrent leurs propres planches, l'embellissement est confié à John Livesay, Pere Pérez, Wayne Faucher, Sean Parsons et Victor Olazaba. Pour finir, les coloristes, Brian Reber, Dave McCaig et Ulises Arreola.
Précédemment, dans "Harbinger : Omégas" : Toyo Harada, philanthrope et psiotique de classe oméga voulant améliorer le monde à tout prix, s'empare d'un porte-avions de l'US Navy, l'USS Bush, et occupe un territoire en Somalie au nom de sa fondation.
Bombay, cent douze ans dans le futur. Darpan-sama repense à ce contre quoi la Fondation se bat, la faim, les entraves à l'action, la maladie, la pollution ou la mauvaise allocation des ressources. Voilà ce que les jeunes apprennent dans leurs livres d'histoire : l'espèce humaine "s'autodétruit lentement, pour le bénéfice d'une poignée d'hommes". Darpan-sama est né et a été abandonné à cet endroit, "dans les oubliettes du monde" ; aujourd'hui, "après des années à voyager", il revient sur les terres qui l'on vu naître. Il admire un paysage extraordinaire et radieux, où science et technologie semblent avoir éclos au milieu d'une nature florissante. Voilà ce pour quoi ils se sont battus. Une employée de la Fondation le tire de sa rêverie : un train Levvac est sur le départ...
Bien que "Imperium" suive "Harbinger : Omégas", la lecture de ce dernier n'est pas indispensable, surtout pour un familier de l'univers Valiant. Se renseigner un peu sur Toyo Harada et les évènements antérieurs suffira. Quel formidable personnage de comic book que ce Harada ! À cause de (ou grâce à ?) lui, le lecteur est confronté en permanence aux dilemmes les plus difficiles et poussé dans ses retranchements moraux : jusqu'à quel point faut-il respecter le droit international, les idées de nation, d'État et de territoire pour sauver la planète, l'humanité et l'environnement de la faim, la guerre, la pollution, la corruption, ou l'obscurantisme ? Question rhétorique, évidemment. Car avec Harada, la fin justifie les moyens. C'est la raison d'État, mais appliquée contre l'État (ici : les États). C'est l'émergence brutale, violente, et sans concession d'un nouvel ordre mondial, poussé par une partie du peuple, mais rejetée par les élites. L'homme est obsédé par sa mission et sa vision. Il est prêt à tout et joue avec le feu en permanence. Il provoque les superpuissances, pactise avec des extraterrestres, autorise une créature issue des champs quantiques à se livrer à des expériences médicales sur des femmes enceintes, engage des terroristes dans ses rangs, transforme des enfants en fanatiques, essaie de plier une entité cosmique à sa volonté. La liste est longue, l'ego démesuré, mais le charisme irrésistible. Dysart en fait l'un des personnages les plus fascinants, les plus captivants des comics actuels. Étourdissante de cohérence, son intrigue s'abreuve à plusieurs registres dont l'espionnage et l'anticipation. Le rythme est dosé avec une justesse remarquable ; l'auteur ne rogne par sur les retournements de situations. Outre Harada, la variété des protagonistes et la réussite de leur conception sont d'autres atouts de la série : un robot au sens de l'humour imparable, un extraterrestre à la soif de sang inextinguible, des enfants qui n'en sont plus vraiment, les rivaux, les ennemis, d'anciens alliés. Leurs caractérisations sont brillantes. Le lecteur sent que le scénariste maîtrise son sujet et qu'il sait dans quelle direction aller. Quant à la conclusion, elle est idéale.
Braithwaite a produit des planches remarquables, imaginatives, détaillées, expressives, finies avec goût et soin, auxquelles la mise en couleurs de Reber donne encore une autre dimension. L'originalité descend d'un cran avec Eaton ; c'est moins brillant, mais l'efficacité du trait ne peut être remise en question, d'autant que la densité de détail reste satisfaisante. CAFU est un peu à mi-chemin entre les deux, tandis que Ryp présente un style fouillé et travaillé qui tend à exagérer l'expressivité. Evans a un coup de crayon un brin plus rond dont le rendu rappellera un peu ce que fait Yanick Paquette ; ça tranche un peu celui de ses collègues, sans jurer pour autant. Il n'y a donc guère d'homogénéité de la partie graphique, mais cela ne se ressent finalement pas trop, notamment grâce au découpage en quatre parties distinctes.
Traduction de Mathieu Auverdin. De bonnes choses, mais trop de fautes, d'orthographe, de mode, de langue, des coquilles, un mot oublié et des incohérences diverses.
Bénéficiant d'une écriture haletante, d'une intrigue formidable, à la croisée des genres, et d'une partie graphique robuste, "Imperium" est une révélation. Le lecteur se passionnera pour la lutte de ce messie en costume-cravate qui dissimule son âge, et dont les projets représentent un idéal pour certains, un enfer pour d'autres.
Mon verdict : ★★★★★
Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz
Barbüz
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Toyo Harada, Fondation Harbinger, Projet Rising Spirit, H.A.R.D. Corps, Vignes, Divinity, Livewire, Joshua Dysart, Doug Braithwaite, Valiant, Bliss Comics
Un choix de lecture inattendu : qu'est-ce qui t'a amené à ce tome ?
RépondreSupprimerJoshua Dysart : un excellent scénariste à mes yeux. Une fois n'est pas coutume, Bruce avait publié un article pour chacun des tomes 6 tomes de Harbinger sur son site. Par exemple celui pour le tome 6 :
https://www.brucetringale.com/changement-de-paradigme-harbinger-6/
Imperium : une très belle mise en scène de plusieurs maximes sur le pouvoir.
Le chemin qui mène aux enfers est pavé de bonnes intentions.
Le pouvoir absolu corrompt absolument.
On est seul au sommet.
La fin justifie les moyens.
Un choix de lecture inattendu ? Peux-tu élaborer ? Parce que ton étonnement me surprend.
SupprimerAprès tout, j'ai lu plusieurs albums de l'univers Valiant, l'intégrale d'Archer & Armstrong, des albums de Bloodshot, Faith, deux périodes éditoriales de X-O Manowar, Ninjak, le Guerrier éternel, Dr Mirage, et je lis actuellement Divinity ; donc pourquoi pas Imperium ? Il est vrai que je n'ai pas lu "Harbinger" entièrement. J'ai commencé, mais ça m'a saoulé (je ne me suis pas attaché aux personnages) et j'ai abandonné en cours de route. Je devrais peut-être donner une seconde chance à l'intégrale, mais à 65 euros j'ai peur de me planter à nouveau.
Je crois que la vraie question est : pourquoi avoir attendu si longtemps. Après tout, un vendeur de ma libraire habituelle à l'époque me l'avait recommandé sans réserves. Ce qui m'a refroidi, c'est de me farcir à nouveau un pavé, c'est pourquoi j'en ai sans cesse postposé la lecture.
Références sur le pouvoir, oui. Sur les super-pouvoirs, aussi. Car avec le recul, ce qui me surprend le plus, c'est qu'aucun personnage de fiction du genre n'a été aussi loin que Harada dans la réalisation concrète d'un projet censé amener le bien à l'humanité : l'énergie propre, etc. Les Tony Stark, Reed Richards, Charles Xavier, Superman et autres sont à des années-lumière du travail de Harada, aussi imparfait et sujet à polémique soit-il.
Mon étonnement provient de mon chemin de lecture : Imperium a été pour moi l'aboutissement de la saison de Harbinger écrite par Joshua Dysart. Du coup, j'avais du mal à envisager qu'on puisse s'y intéresser sans avoir lu Harbinger, ou sans éprouver une inclination particulière pour le scénariste.
SupprimerUn précurseur à Harada : MiracleMan. Avec une réalisation moins aboutie : Emperor Doom (1987, Michelinie, Gruenwald, Shooter, Hall), Squadron Supreme (1985/86) par Gruenwald & Ryan.
J'ai également "Vie et mort de Toyo Harada" en stock ; c'est écrit par Dysart aussi. Je suppose que tu l'as lu.
SupprimerJ'ai lu Vie et mort de Toyo Harada. Je guette la parution de ton article sur ce comics.
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