Intitulé "Day One", cet ouvrage paru en octobre 2018 est le premier tome de "Cyberwar", un triptyque publié chez Delcourt. C'est un volume relié (dimensions 24,0 × 32,0 centimètres ; avec couverture cartonnée) de quarante-six planches, toutes en couleurs. "Day One" avait été prépublié dans le défunt "L'Immanquable", du nº90 au nº92 (de juillet à septembre 2018).
Le scénario a été écrit par Daniel Pecqueur. Pecqueur, un vétéran de la bande dessinée, est connu notamment pour sa série "Golden City". La partie graphique - les crayonnés et l'encrage - est confiée à Denys Quistrebert, dit Denys. Il a travaillé sur plusieurs tomes de "Jour J". Jean-Paul Fernandez a composé la mise en couleurs. Les couvertures sont de Nicolas Siner.
États-Unis, Washington DC, dans un futur proche. Ce soir se joue un des matchs de la finale de la Major League Baseball, au Nationals Park. Les Washington Nationals y reçoivent les Los Angeles Dodgers. Pour l'instant, ce sont les premiers qui font le jeu. Le stade est comble. Le président, son épouse, leur fils et une équipe de collaborateurs rapprochés assistent au match en tribune, avec enthousiasme. Soudain, c'est l'obscurité, plus aucune lumière. Sans doute une panne de secteur ? Un agent des services secrets conseille le retour à la Maison-Blanche, car cette panne "risque de durer longtemps" ; de plus, dans ces conditions, il leur est "impossible" d'assurer la sécurité du président et de sa famille. L'hélicoptère est en approche, ils vont l'exfiltrer ; aussitôt, les forces de police ouvrent un chemin à travers la foule. L'hélicoptère se pose sur le terrain et évacue la famille présidentielle avec ses proches. Les haut-parleurs diffusent une voix qui invite les spectateurs au calme et assure qu'il ne s'agit pas d'un attentat terroriste, mais la foule commence à s'agiter. Jack guide sa compagne Lily en leur frayant un passage, le départ du président est "mauvais signe", il y a peut-être "une alerte à la bombe". La situation dégénère alors en panique et en bousculade généralisée : quelques personnes tombent à terre et une petite fille est séparée de sa mère...
Pecqueur évoque ce qui est déjà un fléau global et devrait continuer à l'être : le risque cyber. Sauf qu'à l'échelle d'un État, et c'est le cas dans "Cyberwar", cela devient une guerre cyber. À moins d'être un spécialiste dans le domaine, le lecteur ne dispose pas des connaissances nécessaires pour mettre en doute la plausibilité technique du scénario. Peu importe, le vocabulaire est facilement compréhensible et les conséquences de l'attaque que subissent les États-Unis paraissent réalistes. Mouvements de foule, actes criminels (vandalisme, vols, agressions, viols, meurtres) démultipliés par la panne des appareils de vidéoprotection, immobilisation des hôpitaux et des infrastructures. Un mélange hautement explosif d'anarchie, de loi du plus fort et de quasi-retour à l'âge de pierre. Le lecteur étant certainement aussi connecté que le permet la technologie de masse, il réalise sans difficulté l'ampleur des dégâts en les rapportant à sa personne. Donc ce thème captive et pas seulement malgré lui, car l'auteur ne traîne pas : les conséquences sur leur statut de première puissance (économique) mondiale présageant du pire, les États-Unis se lancent dans une chasse au terroriste aussi dense que nerveuse, à tel point que Pecqueur - il n'a que quarante-six planches - ne peut que compresser la narration. Cette vitesse d'enchaînement de l'action et les contraintes du format aboutissent à une forme de précipitation qui engendre des invraisemblances. Exemples, Jack et Lily qui sortent très vite du stade, Jack qui s'en va sans remords après avoir tué Marvin (en légitime défense, certes ; mais ce gaillard doit avoir un casier long comme le bras) ou l'astronaute qui panique et vole un avion. Il a néanmoins des scènes fortes qui compensent les maladresses narratives : l'efficacité froide et clinique de Lancaster (belle incarnation de la raison d'État) impressionne, et la séquence où les forces spéciales sont décimées est déconcertante (là aussi, le lecteur critique pourra questionner le peu de précautions que prennent ces militaires d'élite pourtant aguerris et triés sur le volet). Voici donc une série B percutante, vive et spectaculaire qui ne s'embarrasse pas du superflu.
Jolie performance de Denys au dessin ; l'artiste présente un trait résolument réaliste. Le niveau d'expressivité est très satisfaisant. Sa mise en page n'est pas fixe ; elle oscille entre horizontalité et verticalité, tout en restant structurée de façon classique par un réseau de gouttières blanches. La densité de détail est remarquablement gérée ; certains éléments suggèrent que l'artiste s'est documenté. Pour la figuration du mouvement, Denys utilise de multiples lignes monodirectionnelles comme dans le manga. Il y a un effort sur les angles des prises de vues, moins sur les plans. La qualité des finitions est appréciable - exemple : la toute première case pourrait être une photo travaillée, à confirmer - malgré la propension à l'irrégularité. Les véhicules et les bâtiments sont soignés. En revanche, les visages sont à géométrie variable à cause d'un élément qui change de façon à peine perceptible (forme du crâne, lèvres, coiffure, etc.). Mention assez pour la mise en couleurs, elle évite le terne.
Malgré des faiblesses (dont une narration souvent trop compressée et plusieurs invraisemblances), il y a dans ce "Day One" un rythme et une urgence qui agripperont le lecteur à la gorge et ne le lâcheront plus jusqu'à la dernière planche. De la BD popcorn, peut-on dire, mais la découverte du second tome s'impose avec évidence.
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz
Cyberwar, Président Anderson, Winston Feller, Jack, Lily, Nora Parks, Lancaster, Anouchka Ivanova, Derek Smith, Washington DC, Pyongyang, Moscou, Paris, Cyberguerre, Delcourt
Je me souviens qu'une des couvertures de la série m'avait attiré l'œil, mais le feuilletage ne m'avait pas assez séduit pour déclencher l'envie de lecture. Content de pouvoir découvrir ce qu'il en retourne.
RépondreSupprimerÀ moins d'être un spécialiste dans le domaine, le lecteur ne dispose pas des connaissances nécessaires pour mettre en doute la plausibilité technique du scénario : voilà une question que je me pose également dans un récit d'anticipation, et encore plus quand ça concerne l'informatique au sens large. Je ne peux plus regarder sérieusement un film ou une série dans laquelle un écran explose suite à un dysfonctionnement, et même dans les comics ça me fait tiquer.
Le lecteur réalise sans difficulté l'ampleur des dégâts : pour avoir travaillé avec une entreprise victime d'un ransomware, j'avais été fortement surpris de sa capacité à continuer à travailler (exécution de tâches manuelles), y compris pour payer ses employés. Il est que cela ne concernait qu'une agence du groupe et que ce n'était pas généralisé.
Pecqueur n'a que quarante-six planches […] une série B percutante, vive et spectaculaire qui ne s'embarrasse pas du superflu : et parfois c'est exactement ce qu'il faut pour passer un bon moment.
Une fois encore, j'ai beaucoup aimé ton paragraphe sur les caractéristiques graphiques de la narration visuelle et leur analyse.
Merci, tu rassasie ma curiosité sur ce qui t'avais amené à cette lecture.
SupprimerCrime cyber : de ce que j'avais retenu (en très gros principe), c'est que la construction et la conception même d'internet se sont faites à partir de principe de libre circulation, avec une architecture ouverte, ce qui rend toute sécurisation très difficile.
Va savoir pourquoi, j'approche les deux cents vues pour cet article, ce qui est très inhabituel ; sans doute à cause de la combinaison de mots "critiques" et du sujet. Je me demande combien de ces clics sont le fait de robots.
Supprimer