samedi 9 décembre 2017

Daredevil : "Renaissance" (Bethy ; janvier 1997)

"Renaissance" est un album cartonné (format 17,2 × 25,5 centimètres) à jaquette amovible d'approximativement cent soixante planches, sorti dans la collection "Culture Comics" des éditions Bethy. En VO, ces épisodes ont été publiés dans les numéros #228 à 233 de la série régulière "Daredevil", entre février et août 1986. Bethy aura été une maison d'édition à l'existence particulièrement fugace : vingt-trois albums recensés entre janvier 1997 et mars 1999, répartis entre "Daredevil", "Spider-Man", "Wolverine", ou encore "X-Men". Mais après cela, la faillite, hélas.
Frank Miller écrit les scénarios. David Mazzucchelli (le dessinateur fut réclamé par Miller lui-même) illustre les six numéros et encre son propre travail. Max Scheele réalise la mise en couleurs.

Un bureau enfumé, quelque part au Mexique. Il fait chaud. Karen Page fume. Assise sur une chaise, elle courbe l'échine. Son interlocuteur la raille ; il a vu ses "films", elle est connue dans les soirées privées. Il lui demande de lui rappeler son nom. Perdue dans ses pensées, elle tient une enveloppe. Elle tente de convaincre l'homme que son contenu, d'une valeur certaine, assurera sa fortune aux États-Unis. Goguenard, l'autre lui propose un verre de gnôle. Mais Page s'emporte. Elle prononce le nom de Daredevil ; elle ajoute que l'enveloppe contient un autre nom.
Six semaines plus tard, l'homme, Raldo, rend visite à Tonio, chef de la liaison avec la côte Est. Tonio le reçoit sèchement ; il n'a guère de temps à lui consacrer. Raldo déclare que ce qu'il est prêt à lui offrir à plus de valeur que son temps : l'identité secrète de Daredevil. Tonio est sceptique, mais Raldo lui tend l'enveloppe.
Quelque temps après, ailleurs, Fisk réunit ses lieutenants sur son yacht. Il reconnaît leurs efforts, mais juge les résultats insuffisants ; leurs activités légales doivent s'étendre plus vite et servir de fondements à son organisation. Il leur donne congé. Hésitant, l'un d'eux lui remet un courrier en provenance de Mexico...

Miller dynamite les codes de la BD super-héroïque. Karen Page, toxico, actrice ratée reconvertie dans les films pour adultes, vend l'identité secrète de Daredevil pour une dose et ouvre ainsi les portes de l'enfer sur la vie de Matt Murdock. Le héros suit une déchéance progressive jusqu'à un paroxysme brutal. Cela se traduit d'abord par l'importance des aspects "triviaux" du quotidien ; finances, factures, travail. Sa vie sentimentale s'effondre lorsque sa petite amie négligée se tourne vers Foggy, qui ne résiste pas. Viennent la déprime, la dépression, les tendances paranoïaques. Miller attaque le justicier par la souffrance mentale, affective, physique. Murdock, réduit à néant, côtoie la folie avant l'humiliation. Le super-héros est désacralisé pour permettre au scénariste de dépouiller le personnage de ses oripeaux iconiques avant d'en magnifier l'essence en le rendant désespérément humain et de le faire renaître tel un phénix. C'est un combat entre Bien et Mal au sens biblique ; le Caïd se réjouit de la déchéance et de la destruction du "seul homme honnête qu'il ait jamais connu". Fisk salit tout, froidement, sans remords, et souille jusqu'à l'idéal patriotique. Il intériorise la jouissance que lui procure la chute de Murdock. L'avocat, lui, est sauvé par des femmes qui ont voué leur existence au service de Dieu. Daredevil, héros à la psyché empreinte du poids du sacrifice, prend une dimension quasi messianique après son martyre et sa "mort". Les seconds rôles ne sont pas en reste ; Karen Page, accro à l'héroïne, "Nuke" Wilson, super-soldat psychologiquement instable, ou Ben Urich, journaliste dont la conscience finit par susciter une volonté vitale de résister. Miller maîtrise sa tragédie de bout en bout et évite la facilité. La narration en soliloques (sans bulles de pensée) renforce l'impact de chaque événement. Mazzucchelli, dans son style réaliste, imprègne cases et planches de l'atmosphère de roman noir de l'intrigue, bien qu'il n'atteigne pas encore les sommets de "Batman : Année un". Encrage, contrastes et couleurs sont néanmoins saisissants.
Jeanine Bharucha signe la traduction. Si l'éditeur Bethy fait un effort de rédactionnel, le texte, bien qu'il repose sur une traduction satisfaisante dans l'ensemble, n'a été ni soigné ni relu et il faut déplorer une demi-douzaine de fautes diverses, hélas.

"Renaissance" est une lecture irrésistible. C'est un indispensable. Tension, suspense sont menés de main de maître dans une histoire sombre, un polar qui sublime l'essence du héros et son humanité. S'il y a un récit de Daredevil à lire, c'est celui-ci. 

Mon verdict : ★★★★★

Barbuz

2 commentaires:

  1. Présence19 décembre

    Comme tu le dis : un magnifique mariage entre superhéros, polar hard boiled,avec une touche biblique.

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    1. Je dois avouer que cela faisait des années que je n'avais pas lu "Renaissance" ; là, c'est un peu comme si j'avais redécouvert l'œuvre, tout en m'en souvenant d'une bonne partie quand même.

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