"Iorix le Grand" est le dixième tome de la série créée par le Français Jacques Martin (1921-2010) en 1948. L'aventure est prépubliée dans l'édition belge du "Journal de Tintin" entre février 1971 (nº5) et mars 1972 (nº13). Casterman (la maison reprend "Alix" à Le Lombard en 1965 et réédite les cinq premiers tomes entre 1965 et 1973) l'édite en album en janvier 1972. Cette histoire d'Alix compte cinquante-quatre planches.
Martin est également célèbre pour d'autres séries, telles que "Lefranc", ou "Jhen". En 1991, il est hélas diagnostiqué d'une dégénérescence maculaire qui le rend quasiment aveugle et l'éloigne des tables de dessin dès l'année suivante. Il délègue alors le dessin à d'autres artistes et se fait assister à l'écriture.
À l'issue du tome précédent, Alix jette la statue à la mer du haut d'une falaise. Apollonia est abandonnée. Il promet aux Cyrénéens de garder le silence sur l'emplacement de leur ville.
Rufus Septer, le proconsul de Thrace, accueille Alix et Enak, venus sur place suite à son invitation. Septer lui présente deux gouverneurs de province qui sont de passage, puis le mène à travers de somptueux jardins pour l'entretenir d'une affaire importante. Arrivé au bout d'une allée, il attire l'attention du jeune homme sur le campement d'une légion située de l'autre côté de son domaine. Cette unité-là, selon Septer, pose problème, car elle est composée exclusivement de Gaulois, des mercenaires qui se sont battus pour Rome aux quatre coins du monde, jusqu'à la défaite de Crassus à Carrhes (en 53 av. J.-C.). Lors des pourparlers de paix qui suivirent, les Parthes exigèrent le départ de leur pays de ces soldats gaulois, et promirent un sac d'or à tout militaire valide s'engageant à plier bagage. Les Romains acceptèrent et le Sénat marqua son accord. Mais le temps a passé et il faut maintenant trouver un volontaire pour guider ces mercenaires vers la Gaule. Alix commence à comprendre ; Septer lui propose un tour du camp...
Cet album conte le parcours d'une tribu qui chute de la gloire au statut d'indésirable. Ces mercenaires gaulois, arrachés à leur terre pour servir Rome sur un autre continent, sont renvoyés chez eux, chacun avec un peu d'or. À leur tête, Iorus et Hortalus. Très vite, le premier s'oppose à Alix, chargé d'accompagner le convoi. En plus de cela, des officiers romains corrompus ont pour projet de s'emparer de leur trésor. Iorus - puis Iorix - est tout ce que l'auteur sait condenser en matière de "méchant" : le lecteur trouvera en celui-ci, à l'instar de la plupart des adversaires d'Alix, un zeste de folie, de la fierté à outrance, beaucoup d'ambition, un véritable sens de la démesure, une bonne pincée de passion, une forte dose de charisme, une poignée d’autoritarisme, des amours contrariées et une compassion quasi inexistante. Mais Iorix est plus complexe que ses prédécesseurs : il est recouvert du vernis de la civilisation romaine, qui, malgré la légendaire discipline militaire, l'uniforme d'officier, les campagnes pour Rome et le prénom romanisé, finit par s'écailler inexorablement au point de disparaître à l'approche des terres d'origine, qu'accompagnent délires et fantasmes grandissants. Ce n'est pas seulement une régression, c'est un revirement progressif, irrémédiable, forcé par la manipulation, les événements et la malchance jusqu'à devenir l'opposé - dans la forme, car le fond reste démence - du personnage à son départ. "Iorix le Grand" est également la toute première fois que la sexualité du jeune Gaulois est abordée, sans détour, par son ennemi (planche 38, case 9). Enfin, l'album commence avec un clin d'œil au premier tome de la série, "Alix l'intrépide", sans que le voile soit levé sur les origines de notre héros ; le mystère demeure. Graphiquement, le trait de Martin révèle une maturité croissante, avec quelques scènes à l'originalité travaillée (planche 27, bandes 3 et 4), démarche qui rappellera "Le Dieu sauvage". Les planches comptent entre sept et onze cases aux formats variés ; le découpage reste néanmoins classique. Le dessinateur fait intervenir de nombreux personnages aux costumes différents dans un volume riche en paysages divers (jardins, montagne, grottes, forêts), mais il parvient à maîtriser l'ensemble avec minutie. Les dernières pages, crépusculaires, sont celles de l'abandon. Elles sonnent le glas des velléités d'indépendance gauloise.
"Iorix le Grand" est l'une des autres grandes réussites de la série "Alix". Un guerrier gaulois charismatique perd son identité de substitution au fur et à mesure qu'il s'éloigne de Rome. La folie guidera ses actes avant de le mener à un destin tragique.
Mon verdict : ★★★★★
Barbuz
C'est étonnant : à lire ton résumé, j'ai l'impression d'une histoire beaucoup plus engagée que les précédentes, en particulier sur le thème de l'individu utilisé puis jeté (les indésirables) et sur la fragilité d'une société quand il n'y a plus de cadre pour contraindre les individus. J'ai bien aimé également les exemples concrets sur la richesse graphique de ce tome, à commencer par les tenues vestimentaires et la diversité des environnements. Un magnifique commentaire.
RépondreSupprimerVenant de toi, ça fait franchement chaud au cœur. Merci !
SupprimerEt oui, c'est vrai qu'en arrière-plan, Rome est suggérée comme une machine pragmatique à l'extrême, qui n'hésite pas à renvoyer des auxiliaires gênants chez eux.
Je vais écrire un billet sur le tome suivant, "Le Prince du Nil" ; après je ferai une pause avec "Alix", mais je continuerai avec "Alix Senator".
Je suis très curieux de découvrir ton avis sur Alix Senator, car c'est une série que j'ai offerte à mon fils et dont la lecture me tente bien.
RépondreSupprimer"Alix" étant un peu ma "série du moment" et étant arrivé à la fin de la collec' de mon père, je me rabattrai sur "Alix Senator" en mai (avril sera consacré aux comics).
SupprimerJ'ai déjà lu un tome : http://les-bd-de-barbuz.blogspot.be/2017/07/alix-senator-tome-1-les-aigles-de-sang.html