"L'Île de Brac" est le premier tome de la série du Marquis d'Anaon, créée et réalisée par le scénariste Fabien Vehlmann (à qui l'on doit, entre autres, "Green Manor" et "Sept psychopathes"), le dessinateur Matthieu Bonhomme (qui a notamment travaillé sur "Esteban" et "Texas Cowboys") et la coloriste Delf.
La série, qui est actuellement en pause depuis quelques années, compte cinq tomes, publiés chez Dargaud entre 2002 et 2008. Dans un entretien de 2013 avec le site Actua BD, Bonhomme a néanmoins déclaré qu'il avait réalisé quelques croquis préparatoires pour le sixième tome.
Ce premier tome a déjà connu deux rééditions (donc trois éditions en tout), à chaque fois avec une couverture différente : la première en novembre 2004 et la seconde en juin 2008.
L'action se déroule vraisemblablement au début du règne de Louis XV. Jean-Baptiste Poulain, un jeune homme, est passager d'un voilier qui se rend à l'île de Brac, au large des côtes bretonnes. Poulain a été engagé comme précepteur par le baron de l'île, Gwenolé de Brac, pour son fils Nolwen. Durant la traversée, il confie à un journal les superstitions locales qu'il a pu entendre. Il poste quelques questions à un passager, mais celui-ci, à l'évocation du Baron, met poliment fin à la discussion. D'autres passagers murmurent alors que Poulain "travaille pour l'Ogre".
Le bateau arrive à destination. Les passagers en descendent. Poulain, élégant, attire l'attention des autochtones venus assister au débarquement des marchandises. Le jeune homme prend un enfant curieux dans ses bras. Un cocher à la mine patibulaire se fraye un chemin à travers la foule à coups de fouet. Ayant rapidement identifié Poulain, il l'informe devant tout le monde que le Baron l'a chargé de venir le chercher. Entendant cela, les parents de l'enfant sont horrifiés et la mère s'empresse de reprendre son garçon. Mais le gamin, dans la précipitation, arrache la manche du manteau de Poulain. Le cocher, armé de son fouet, descend de sa carriole et frappe le père de l'enfant devant la foule tétanisée. Après que l'homme s'excuse encore et promet de corriger son fils, Poulain, sous le choc, monte dans la carriole et le cocher le conduit à la demeure du Baron.
Gwenolé de Brac et les siens habitent une bâtisse qui tient davantage de la grosse ferme que du manoir. Poulain est reçu chaleureusement par le Baron, un homme d'une cinquantaine d'années, jovial, corpulent et portant la barbe. Celui-ci est confus ; il aurait voulu présenter son fils à Poulain, mais Nolwen a disparu avec son cheval depuis la matin et, malgré les recherches, personne ne semble l'avoir vu depuis...
Vehlmann met en scène tragédie, folie scientifique et démence humaine dans une Bretagne hantée par les superstitions et les croyances, superstitions et croyances qu'il utilise afin de renforcer l'ambiance fantastique de son histoire. Plusieurs cases sans paroles et une narration très décompressée à certains endroits renforcent la sensation d'une ambiance générale particulièrement pesante. L'atmosphère lugubre et la sensation permanente de danger pourra rappeler "L'Île aux trente cercueils", de Maurice Leblanc. Finalement, le scénario est prévisible, mais c'est le mobile va surprendre.
Pour chaque page, Bonhomme dessine en moyenne neuf à dix cases de formats différents. Celles-ci sont toutes soignées et proposent une belle variété de plans. La lisibilité de l'action est absolument irréprochable. L'artiste donne une physionomie propre et originale à chaque intervenant (le personnage d'Yvon est particulièrement inquiétant). Ses illustrations, enrichies par les couleurs de Delf, ne laissent rien au hasard : la lande bretonne, pluvieuse, le ciel nuageux, écrasant et couleur de plomb, les repas, qui se prennent dans une semi-pénombre, à peine éclairés par l'âtre, les marais sombres et brumeux et les forêts, inextricables. Et, surtout, Bonhomme a suffisamment de talent pour mettre en images des silences vraiment éloquents.
Ce premier tome est une réussite ; il a d'ailleurs été récompensé du prix Saint-Michel du festival de Bruxelles en 2002 et du prix Cori du festival de Maisons-Laffitte en 2003. Le lecteur n'y apprend pas encore grand-chose sur Jean-Baptiste Poulain, diplômé de la faculté de médecine. C'est cependant sur l'île de Brac qu'il gagnera son surnom, celui de Marquis d'Anaon, le marquis des âmes en peine.
Il faut que je vérifie : je crois que j'ai l'intégrale de Green Manor dans une pile, que je n'ai pas encore lue.
RépondreSupprimerUne narration très décompressée à certains endroits : visiblement, dans ce cas de figure précis, ça a l'air d'être un atout pour les séquences concernées.
J'ai beaucoup aimé le § sur la narration graphique : visiblement une belle densité de cases (9 à 10 par pages), la qualité des visages, l'ambiance rehaussée par la mise en couleurs, les silences éloquents.
Je suppose que c'est le fait que le lecteur n'y apprenne pas grand-chose qui t'a conduit à mettre 4 étoiles sur 5 ?
"Green Manor" : je dois également les lire.
SupprimerEt effectivement, la mèche vendue dès le départ coûte une étoile à cet album. De cette série, j'avais aussi retenu que Vehlmann ne donnait pas suffisamment de style à ses dialogues.