C'est une excellente initiative que celle des éditions
Dupuis d'avoir réédité l'intégrale des aventures de Gil Jourdan, ce jeune
détective privé français inventé par l'auteur belge Maurice Tillieux (1921-1978). Cette
intégrale compte quatre tomes, chacun avec de nombreux bonus et une couverture et une maquette
superbes.
Ce premier tome couvre la période 1957 à 1960. Il cotient quatre albums (trois aventures) de Gil Jourdan, détective privé fraîchement diplômé de la faculté de droit et de sa fine équipe, composée
de l'inspecteur Crouton, de Libellule, un monte-en-l'air repris de justice et
de Queue-de-Cerise, sa sémillante secrétaire.
Ces quatre premiers albums de la série ont pour titre "Libellule s'évade" (publié dans le magazine "Spirou" en 1957, mais sorti en album en 1959 seulement), "Popaïne et vieux tableaux" (1959), "La Voiture immergée" (1960) et "Les Cargos du crépuscule" (1961). Ils ont été entièrement réalisés par Maurice Tillieux.
Dans "Libellule s'évade", l'inspecteur Crouton fait sortir Libellule de prison afin de procéder à la reconstitution d'un vol de bijoux très médiatisé, vol pour lequel Libellule a déjà purgé huit ans. Mais Gil Jourdan, se faisant passer pour un chauffeur de taxi, va faire échapper
Libellule à la barbe (ou plutôt à la moustache) et au nez de Crouton. Le jeune détective va révéler qu'il a des
projets très particuliers pour ce spécialiste des coffres-forts...
"Popaïne et vieux tableaux" est la suite directe
de l'intrigue amorcée dans "Libellule s'évade". Jourdan y enquête sur un gang international de trafic de drogue dont la France est le marché principal...
Dans "La Voiture immergée" (écrit comme un
véritable film policier), Jourdan est engagé par Henri Zix, le neveu de Nikita Zix, un
antiquaire qui a péri noyé en Bretagne après avoir été attiré dans un piège par une fausse lettre. Henri Zix demande à Jourdan de faire toute la lumière sur la mort de
son oncle. Une fois son client parti, Jourdan reçoit, à sa grande surprise, un appel téléphone du prétendu défunt, qui lui donne rendez-vous dans une petite rue de Paris...
Dans "Les Cargos du crépuscule", Jo la Seringue, un dangereux
criminel, s'échappe de la prison de Morbœuf. La Seringue estimant avoir été mal défendu lors de son procès, il avait publiquement menacé son avocat, maître Samson Loucq, de "le faire payer". Gil Jourdan et Libellule rendent visite à l'avocat et tentent de le persuader d'accepter leur protection. Mais Loucq refuse leurs services. Les autorités le placent sous protection
policière ; l'inspecteur Crouton est chargé de l'affaire. Jourdan ne s'avoue pas vaincu ; Libellule et lui vont se mettre en planque près du domicile de Loucq...
Les aventures de ce premier tome sont des réussites. "La Voiture immergée" se détache peut-être du lot. Tout fait mouche ici, que ce soit l'incroyable sens du
détail de Maurice Tillieux, les dialogues, les intrigues, l'humour, l'articulation de
l'action et la caractérisation des personnages. Ainsi, Gil Jourdan est un jeune
détective ambitieux, très sûr de lui et doté d'un certain flegme, bien que
parfois impatient (car poussé à bout par les Libellule et Crouton). Il est pragmatique et souvent sarcastique à l'égard de ses
compagnons d'aventures. L'inspecteur Crouton, un flic un peu soupe au lait,
n'est pas incompétent, mais il est souvent distrait, maladroit et
roulé dans la farine plus qu'à son tour. Libellule, un ex-taulard,
ex-monte-en-l'air repris de justice qui aide Gil Jourdan, est toujours à la
recherche du bon mot et du calembour, même s'il est lui-même son meilleur
public. Quant à Queue-de-Cerise, la jeune secrétaire de Jourdan, elle est fonceuse,
dynamique, débrouillarde, et son allure "à la garçonne" préfigure
sans doute une certaine forme de féminisme.
Les trente premières pages de ce premier tome, abondamment illustrées de photos et de dessins, sont consacrées
à une biographie de Maurice Tillieux écrite par le romancier, journaliste et
scénariste de bandes dessinées français José-Louis Bocquet.
Gil Jourdan, c'est un plaisir de lecture garanti, un véritable petit bonheur. C'est aussi le parfum et la saveur d'une certaine France de la
fin des années cinquante et du début des années soixante, une France qui était
alors en pleine période des "Trente Glorieuses".
Mon verdict : ★★★★☆
Barbuz
Je n'ai lu aucun album de cette série : ton article me la fait découvrir.
RépondreSupprimerOutre ton commentaire sur les personnages et sur le sens du détail de Maurice Tilleux, j'ai bien aimé la dernière phrase qui attire l'attention sur le contexte social qui transparaît dans la toile de fonds.
Une anecdote sur cette série dans l'article wikipedia :
Gil Jourdan lui vaut des ennuis avec la censure française, alors féroce à l'époque. Les deux premiers albums ont notamment été censurés pour sa façon de ridiculiser la police et de parler de drogue (le ministère français de l'Intérieur pensait que la popaïne était un stupéfiant qui existait réellement). Plus tard, Le Gant à trois doigts est lui aussi interdit pour racisme dans le contexte sensible post-guerre d'Algérie. Maurice Tillieux doit aller de nombreuses fois au ministère français de l'Intérieur pour défendre son œuvre et s'expliquer, dont une fois en état d'ivresse en compagnie de Morris.
Je crois que j'avais déjà lu cette anecdote sur la popaïne ; c'est presque digne des avions renifleurs.
SupprimerJ'aime beaucoup cette série, qui vaut vraiment le détour ; tôt ou tard, je vais la relire et écrire un commentaire par album, plutôt qu'un commentaire par tome de l'intégrale.