"Les Cobayes" est un album de quatre-vingt-onze planches sorti aux éditions Dargaud en 2014. Il s'agit d'une histoire complète en trois chapitres écrite par le romancier Tonino Benacquista ("Malavita"), illustrée par Nicolas Barral ("Les Aventures de Philip et Francis") et mise en couleur par Philippe de la Fuente (qui a déjà travaillé avec Barral comme coloriste à la série humoristique "Les Aventures de Philip et Francis").
Île-de-France, de nos jours. Le laboratoire pharmaceutique Scott-Dumaz vient de faire la découverte d'une nouvelle molécule. Trois médecins employés par l'entreprise, le docteur Mirmont, le docteur Legrand, une femme, et un autre homme sont en réunion. Mirmont estime que le temps est venu de déclencher la phase des essais cliniques. Il souhaite trois testeurs vierges de tout protocole. L'entreprise passe une annonce dans la presse locale, promettant une rémunération de trois mille cinq cents euros pour la participation aux tests cliniques.
Plus de vingt personnes répondent à l'annonce. Certains, des quasi-professionnels, n'en sont pas à leurs premiers tests cliniques ; ce n'est pas sans fierté qu'ils évoquent leurs participations passées, tels de hauts faits d'armes ou des performances sportives de haut niveau. Une rivalité puérile envenime progressivement les échanges, lorsqu'une infirmière entre dans la salle d'attente et annonce que trois volontaires ont été retenus ; ils vont subir toute une batterie d'analyses médicales et d'entretiens portant notamment sur leur vie professionnelle.
Daniel Martinez est un solide gaillard de quarante-quatre ans au crâne rasé, habillé comme un matelot. Marié, deux enfants, il est à la recherche d'un emploi. Ce que Daniel va taire, c'est que des troubles de la mémoire l'empêchent de garder ses emplois. Les factures s'accumulent. Romain Sanders est âgé de vingt-trois ans et vit en couple. Mince, la coiffure étudiée, il semble commun. Romain va dissimuler aux médecins qu'il prend du viagra en doses importantes afin d'améliorer des rapports sexuels aussi sporadiques que désastreux. Moïra Parchiby est une belle jeune femme de vingt-six ans. D'origine indienne, elle est arrivée en France il y a trois ans pour y suivre des cours aux beaux-arts. Moïra se garde bien d'avouer qu'elle a fui l'Inde à cause d'un conflit avec son père, qui enseigne à l'école des beaux-arts de Pondichéry. En réalité, Moïra n'a pas réussi les concours d'entrée et travaille dans la restauration rapide.
Les cobayes signent leurs contrats. Les tests commencent. Au programme, trois pilules par jour, un électrocardiogramme toutes les deux heures, une prise de sang toutes les demi-heures, une vérification de la tension toutes les heures et des analyses d'urine...
Benacquista met en scène trois êtres qui n'ont rien en commun mais dont le destin va être changé par un médicament qui leur permet d'atteindre leur Moi idéal. Il est d'abord difficile de ne pas éprouver une certaine pitié pour ces cobayes aux douloureux secrets. Le capital sympathie s'étiole lorsque les effets secondaires se manifestent : les personnages deviennent détachés, froids et cyniques. L'auteur développe la psyché des protagonistes en profondeur, y compris celle de Mirmont, un sage qui réalise qu'il a ouvert la boîte de Pandore, et nous offre des dialogues au ton juste.
Le style graphique de Barral est tantôt minimaliste (l'artiste omet souvent les fonds de cases des plans rapprochés, ce qui met en valeur les expressions des visages), tantôt détaillé (certaines cases fourmillent de détails : terrasses des cafés, paysages urbains, chambres d'hôtel). Ses dessins sont tantôt classiques (les physionomies des personnages), tantôt pleins d'inventivité (grande variété de plans et de perspectives différentes et large palettes d'ambiances : salle de réunion immense quasi vide, Moïra peignant à même le mur). Dommage que certaines cases aient été moins soignées.
Contrairement à ce qui a pu être affirmé çà et là, "Les Cobayes" n'est en aucune façon une œuvre qui dénonce les travers de l'industrie pharmaceutique. En avoir cette lecture relèverait d'ailleurs de l'erreur d'interprétation ; le médicament n'est ici qu'un moyen. Il s'agit d'un conte moral, d'une fable qui nous explique que nous sommes définis, entre autres, par les complexes, les frustrations et les souvenirs parfois refoulés qui nous habitent et qui peuvent nous empêcher de pleinement réaliser notre potentiel. Mais y renoncer ne serait-il pas aussi renoncer à une part de nous-mêmes ?
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
Un très bon article pour une BD qui franchement n'en mérite pas tant. La dénonciation de l'industrie pharmaceutique est très superficielle, et la dernière partie de l'histoire franchement bâclée....Bof...
RépondreSupprimerBruce Tringale
Merci Bruce.
RépondreSupprimerPour moi, la dénonciation de l'industrie pharmaceutique est un peu la fausse piste de cette œuvre ; j'ai néanmoins apprécié cette BD.
Bonnes fêtes et à bientôt !
Renoncer à nos complexes, frustrations et souvenirs refoulés qui peuvent nous empêcher de pleinement réaliser notre potentiel : je vois dans cette interrogation toute l'industrie du développement personnel, du questionnement sur ce qui fait notre propre personnalité, ce qui fait que l'on est soi, et en quoi le changement fait de nous quelqu'un d'autre. Passionnant comme thème.
RépondreSupprimerC'est un assez bon album, et j'en garde des souvenirs assez précis. En fait, il y a presque quelque chose de l'histoire de super-pouvoirs, là-dedans.
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