mardi 9 août 2016

Blueberry (tome 1) : "Fort Navajo" (Dargaud ; septembre 1965)

"Fort Navajo" est le premier tome de la série "Blueberry", auparavant intitulée "Une aventure du Lieutenant Blueberry", puis "Lieutenant Blueberry". Cet album est sorti en septembre 1965. C'est le premier des cinq tomes de ce qui a été appelé le "Cycle des premières guerres indiennes" par l'éditeur et qui s'étale sur un peu plus de trois années de publication (le dernier tome du cycle sort en janvier 1969). Du point de vue de la chronologie de la série, l'intrigue narrée ici se déroule en 1867, c'est-à-dire deux ans après la fin de la guerre civile américaine.
"Blueberry" est une création de Jean-Michel Charlier (1924-1989), scénariste, et de Jean Giraud (1938-2012), dessinateur. "Fort Navajo" a été publié dans "Pilote" (nº210, 31 octobre 1963).

Une diligence de la Wells Fargo s'arrête dans une petite ville à la frontière entre Arizona et Nouveau-Mexique pour y changer son attelage. Un lieutenant de cavalerie descend de la voiture et, sur les conseils du cocher, va prendre un rafraîchissement au saloon du coin. L'endroit est enfumé et personnel et clients sont captivés par une partie de cartes. Un homme, que les locaux appellent "étranger", rafle la mise et souhaite prendre congé lorsque ses partenaires de jeu l'accusent de tricherie. Le ton monte ; le lieutenant, soucieux de calmer les esprits, intervient. La situation dégénère en bagarre, puis en échange de coups de feu et tourne au désavantage des mauvais perdants. L'étranger confisque leurs armes et les chasse, malgré leurs menaces. Le calme revenu, l'étranger offre un verre au lieutenant, qui vient de sortir de West Point et se rend à Fort Alamo, sa première affectation. L'étranger, à la grande surprise de son interlocuteur, répond qu'il y est affecté lui aussi, ce qui fait des deux hommes des collègues. Il se présente sous le nom de Mike Blueberry et explique qu'il a failli être chassé de l'armée suite à des entorses à la discipline. Son affectation à Fort Navajo est donc, en quelque sorte, une punition infligée par le général Craig, qui n'est autre que le père du jeune lieutenant qui vient de lui prêter main-forte. Craig, devant les moqueries de Blueberry, est sur le point de demander réparation. Une démonstration de tir tourne à l'avantage de Blueberry, qui s'excuse de bon cœur. Le cocher informe alors le lieutenant Craig que la diligence, qui compte deux nouvelles passagères, va partir...

Charlier, pour sa première histoire de "Blueberry", s'inspire largement inspiré d'un fait réel survenu en 1861, l'affaire Bascom, élément déclencheur des guerres apaches. Le scénario, linéaire, est particulièrement solide, sans longueur ni incohérence. D'emblée, la caractérisation du personnage de Blueberry est établie de façon durable. Joueur, moqueur, n'ayant rien contre un bon verre de gnôle, irrévérencieux, avec un sens de la contradiction à l'égard non pas de l'autorité mais de l'autoritarisme, avec à la fois un pragmatisme certain et un véritable sens de ce qui est juste, Blueberry apparaît immédiatement comme un héros fort en gueule, faisant parfois preuve d'une surprenante sagesse (notamment dans ses propositions de gestion du conflit apache), et qui est immédiatement attachant. Afin de mettre ces traits de caractère bien en avant, le scénariste le fait rencontrer le lieutenant Craig ; aussi blond que Blueberry est brun, bien élevé, tiré à quatre épingles, Craig est un véritable héros romantique qui aurait eu sa place dans les régiments de cavalerie napoléoniens. Évidemment, malgré le décalage évident, des valeurs communes vont faire naître une amitié  entre les deux hommes. Parmi les autres personnages, le major Bascom, dont la caractérisation est peut-être exagérée ; va-t-en-guerre, raciste, haineux au possible, fourbe, retors, autoritaire autant qu'on peut l'être mais sans charisme, ce vrai méchant n'a décidément pas grand-chose pour lui, d'autant que le complot qu'il a fomenté finit par déraper, tourner à la catastrophe et va générer de nombreux dégâts collatéraux.
Lorsqu'il dessine les planches de "Fort Navajo", Giraud n'a que vingt-cinq ans. Son style graphique n'est pas encore entièrement abouti et l'artiste est encore loin du sommet de son art, même si le lieutenant Blueberry (faut-il rappeler que Jean-Paul Belmondo lui a servi de modèle ?) est déjà reconnaissable entre tous. Son sens de l'action, son découpage classique et la lisibilité de l'ensemble sont déjà remarquables.

"Blueberry", c'est le grand Ouest américain dès la première planche, avec ses canyons, ses diligences, ses tuniques bleues, ses tribus indiennes, sa nature hostile et sa violence. La suite est contée dans le second tome, "Tonnerre à l'ouest" (janvier 1966).

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. En lisant cet article, je comprends mieux ta remarque sur le fait que la question indienne est au cœur de la série dès le départ. Visiblement, la sensation des grands espaces sauvages est également bien rendues dès le départ.

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    1. C'est curieux, d'ailleurs, parce que je n'ai jamais été un grand fan des affrontements entre Indiens et tuniques bleues et que pour moi, le western, ce sont surtout les duels au soleil, de type fusillade d'OK Corral, etc.

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