vendredi 27 janvier 2017

Lucky Luke vu par... (tome 1) : "L'Homme qui tua Lucky Luke" (Lucky Comics ; avril 2016)

Lucky Luke. Un monument de la bande dessinée franco-belge. Plus de soixante-dix ans de publication, trois cents millions d'exemplaires vendus depuis 1946, près de quatre-vingts albums, pas loin de cent vingt histoires depuis "Arizona 1880" (1946), en passant par "Des rails sur la prairie" (1955), l'album qui marque l'arrivée du scénariste français René Goscinny (1926-1977) aux côtés du Belge Morris (1923-2001), le créateur de la série.
En 2016, Lucky Comics, en partenariat avec Dargaud, annoncent le lancement de "Lucky Luke vu par...", à l'instar de ce que Dupuis fait pour Spirou avec "Le Spirou de...", c'est-à-dire une collection dont chaque volume est confié à un auteur différent et dont les histoires sont indépendantes de la série principale.
"L'Homme qui tua Lucky Luke", sorti chez Lucky Comics en 2016, est le premier tome de cette collection. C'est un album de soixante planches entièrement réalisé par Matthieu Bonhomme (scénario, dessin, encrage, mise en couleur). Bonhomme a, entre autres, travaillé au "Marquis d'Anaon" et "Texas Cowboys".

Froggy Town. Un coup de feu retentit. Une voix s'élève et exulte, celle de celui qui a tué Lucky Luke, dont le cadavre ensanglanté gît dans la boue, sous l'œil incrédule des habitants.
Quelques jours plus tôt, en soirée. Lucky Luke arrive à Froggy Town sous la pluie. Il se rend à l'écurie jouxtant l'hôtel et demande au vieillard et au gamin qui lui ouvrent la porte qu'ils s'occupent de Jolly Jumper pour la nuit, ajoutant qu'il pansera lui-même son cheval. Lorsqu'il décline son identité, ses hôtes sont soudainement apeurés. À l'hôtel. Luke commande à dîner au barman. Un inconnu, que les volutes de fumée de son propre cigare surplombent, est installé à la table voisine. Luke finit son repas et commande des carottes pour Jolly Jumper, lorsqu'un homme, venant d'entrer, planté derrière lui, le met au défi de prouver sa rapidité en lui demandant de dégainer...

Évidemment, il est toujours difficile de se prononcer sur la création d'une nouvelle série consacrée à un personnage mythique, d'autant que Bonhomme ne facilite pas les choses. Il serait faux et vain de dire que l'auteur n'a pas respecté le personnage et son univers, comme on a pu le lire sur certains sites ; Lucky Luke est le grand héros de son enfance. Le titre, une référence à "L'Homme qui tua Liberty Valance" (1962), traduit le souhait de Bonhomme d'écrire un vrai western, bien que l'intrigue n'ait pas grand-chose à voir avec le film de John Ford. Le Lucky Luke de Bonhomme est plutôt celui de Morris que celui de Goscinny. Bonhomme a voulu que son personnage soit un cow-boy, un vrai, bien que, curieusement, il n'utilise son six-coups qu'avec une certaine parcimonie (les tentations ne manquent pourtant pas). Le personnage n'a d'ailleurs ni son flegme ou sa désinvolture légendaires ; il a la mine renfrognée et ne sourit guère (peut-être parce que tout, autour de lui, semble s'appliquer à le faire arrêter de fumer ?). Assez curieusement, l'auteur ne fait appel qu'à un seul personnage de la mythologie de Lucky Luke : la danseuse Laura Legs, créée dans "Le Grand Duc" (1973) ; là encore, la caractérisation est différente, plus réaliste. L'auteur utilise un autre personnage, une véritable légende de l'Ouest, Doc Holliday (1851-1887), qui tient ici un rôle particulièrement important. Bonhomme, tout en utilisant les codes du genre, produit cependant une conclusion inattendue, surprenante, sans affrontement ni coup de feu, qui relève davantage du drame familial que du western.
Le découpage est classique et l'action extrêmement lisible. Mais on ne retrouvera pas, dans le trait de Bonhomme, celui de Morris. Ce n'est d'ailleurs pas le but de cette collection, mais plutôt celui de la série régulière. Le Lucky Luke de Bonhomme est très personnel ; l'auteur a voulu ancrer son histoire dans un univers semi-réaliste, dont l'inspiration est peut-être davantage nourrie du cinéma que de la série de départ. L'utilisation de cette technique de mise en couleur très particulière (des personnages entièrement colorisés dans des tons de gris, de rouges, de jaunes...), qui a participé à l'identité visuelle de la série, a été ici largement employée par Bonhomme. Notons, enfin, les clins d'œil des pierres tombales (Morris, Charlie Hutter).

Bien que cet album soit déroutant (ce n'est pas le Lucky Luke auquel des générations de lecteurs sont habituées) et la conclusion un brin décevante, l'entreprise est à saluer. Un second album, intitulé "Jolly Jumper ne répond plus", sortira en janvier 2017.

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbuz

4 commentaires:

  1. Présence02 mars

    D'un côté, seule une interprétation personnelle n'a de sens pour un autre auteur sur cette série, comme tu le décris dans ton article. D'un autre côté, en tant que lecteur, je n'ai aucune envie de découvrir une autre interprétation de Lucky Luke que celle des auteurs d'origine Morris & René Goscinny dont la version est tellement personnelle que ce personnage est pour moi une émanation de leur caractère. En fait pour ce cas très particulier, je comprends bien le principe d'un hommage, mais je ne comprends l'intérêt pour un créateur de faire un western finalement traditionnel à partir d'un personnage si spécifique.

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    1. Merci Présence.
      Oui, c'est aussi ce qui m'a laissé sur ma faim.
      Je trouve que l'exercice du "Spirou de..." est plus réussi, plus abouti ; sans doute parce qu'il est davantage fidèle au personnage ?

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  2. Présence03 mars

    Je partage ton avis pour le Spirou de..., tout en ayant conscience que mon ressenti sur ce personnage est très différent de celui pour Lucky Luke. En effet j'ai commencé par les tomes de Tome & Janry qui ne sont pas les auteurs originaux. Du coup, je n'ai pas le même ressenti sur une forme de version authentique du personnage.

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    1. J'ai découvert Spirou sur le tard.
      Par contre, Lucky Luke fait partie des premières bandes dessinées que j'ai lues ; et même si je n'en avais pas lu depuis un moment, j'ai vraiment été décontenancé par le travail de Bonhomme.
      Par contre, ça m'a vraiment envie de relire toute la série !

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