"Balade au bout du monde" est une série en quatre cycles de quatre tomes chacun, conclue par un épilogue. Cette somme a été publiée chez Glénat entre 1982 et 2012, dans la collection "Caractère". Le premier cycle (1982-1988), dont les albums ont reçu plusieurs prix, Grand prix de la Ville de Paris (1983), Prix du meilleur premier album au Festival de Hyères (pour Vicomte) en 1983, Grand prix du Festival d’Aix-en-Provence (1983) ou Prix TF1 au Festival d’Angoulême (1985), est l'une des œuvres phares de la bande dessinée des années quatre-vingt.
L'intégrale du premier cycle est sortie aux éditions Glénat en octobre 1991. Elle comprend les quatre albums, "La Prison" (janvier 1982), "Le Grand Pays" (mars 1984), "Le Bâtard" (octobre 1985), et "La Pierre de folie" (octobre 1988). C'est un volume cartonné, qui compte cent quatre-vingt-cinq planches.
Ce premier cycle a été réalisé par le duo français formé par Pierre Fournier, alias Makyo, et Laurent Vicomte. Le scénario est de Makyo. Outre "Balade au bout du monde", l'auteur est également connu pour avoir créé le personnage de Jérôme K. Jérôme Bloche. Les dessins sont signés Vicomte, artiste rare, extrêmement précieux, mais lent à force de perfectionnisme et de méticulosité (pas plus de dix albums en trente-cinq ans).
Paris, sous la pluie et le vent. Un homme remonte une rue déserte. Une Jaguar s'arrête à sa hauteur. La conductrice, Anne, le reconnaît : Arthis, un photographe avec qui elle a récemment travaillé. La belle jeune femme blonde sort de sa voiture, se précipite vers lui et l'abrite de son parapluie, tout en lui reprochant de ne pas donner signe de vie. Arthis lui répond d'un ton cassant, appuyant sur la superficialité du mannequin. Il regrette de suite la dureté de ses propos et lui explique que son esprit est envahi d'images brumeuses. Devant le scepticisme d'Anne, le photographe lui révèle qu'il a découvert un endroit fabuleux, un marais, et qu'il va se balader "au bout du monde"...
Makyo écrit un conte cruel d'amour, de folie, de sacrifice, de guerre, agrémenté d'une fine couche de fantastique. Cette œuvre immense se distingue par ses trouvailles scénaristiques. D'abord, il y a ce pays entièrement perdu, mystérieux, caché dans un entrelacs de forêts et de marécages, complètement isolé du reste du monde, contrée choisie, sous le règne de Louis XI (1461 à 1483), par des mystiques pour la fusion parfaite qui s'y opérait entre eau, air et terre. Ces érudits, influencés par les théories du philosophe grec Empédocle, estimaient que, des quatre éléments, le feu était source de corruption, de haine et de désir. Ils choisirent l'endroit pour y vivre en harmonie et se retirer du monde. Point de feu, point de progrès technologique ; ce pays est resté au Moyen Âge (cela renforce l'impression de lire un conte). Replié sur lui-même, il est sur le point de sombrer, tiraillé par les superstitions, la folie et les ambitions. Finalement, le feu n'est-il pas viscéralement ancré en l'homme, l'empêchant d'atteindre la sagesse ? L'auteur fait preuve d'une intarissable créativité et évoque quantité de thèmes : passion des hommes pour les chimères, amour charnel et amour fou, nature de l'homme, vieillesse et dégénérescence mentale, horreur de l'univers carcéral, régression de la société, conflit générationnel avec le pouvoir pour enjeu, possibilité d'un "ailleurs" et d'une autre vie, loin de tout.
Vicomte a vingt-cinq ans lors du premier album ; son trait n'est donc pas encore arrivé à maturité. "La Prison" regorge déjà de talent, dans un registre ultra-expressif qui caricature les personnages secondaires, surtout. Le dessinateur opte pour de belles héroïnes, très minces, avec de grands yeux expressifs, tandis qu'Arthis subira une décrépitude physique progressive. Le style graphique peut être considéré comme "féminin" de par sa finesse, son élégance. Avec "Le Grand Pays", Laurence Quilici remplace Jacky Robert à la mise en couleur, point faible d'une "Prison" qui manquait de contraste. La maturité de Vicomte se précise : trait plus réaliste, découpage limpide, sens accru du mouvement, de la perspective, variété des plans, travail sur l'ombre et la lumière, minutie de l'encrage et soin des fonds de case. Les lecteurs ont ainsi le privilège d'assister à l'éclosion en papillon en quelques albums magiques.
Ce premier cycle de "Balade au bout du monde" est une œuvre unique, dense et riche, mise en scène par un artiste précieux, trop rare, dont le style évolue au fil des tomes. Ces albums font partie des indispensables de la bande dessinée franco-belge.
Mon verdict : CHEF-D'ŒUVRE
L'intégrale du premier cycle est sortie aux éditions Glénat en octobre 1991. Elle comprend les quatre albums, "La Prison" (janvier 1982), "Le Grand Pays" (mars 1984), "Le Bâtard" (octobre 1985), et "La Pierre de folie" (octobre 1988). C'est un volume cartonné, qui compte cent quatre-vingt-cinq planches.
Ce premier cycle a été réalisé par le duo français formé par Pierre Fournier, alias Makyo, et Laurent Vicomte. Le scénario est de Makyo. Outre "Balade au bout du monde", l'auteur est également connu pour avoir créé le personnage de Jérôme K. Jérôme Bloche. Les dessins sont signés Vicomte, artiste rare, extrêmement précieux, mais lent à force de perfectionnisme et de méticulosité (pas plus de dix albums en trente-cinq ans).
Paris, sous la pluie et le vent. Un homme remonte une rue déserte. Une Jaguar s'arrête à sa hauteur. La conductrice, Anne, le reconnaît : Arthis, un photographe avec qui elle a récemment travaillé. La belle jeune femme blonde sort de sa voiture, se précipite vers lui et l'abrite de son parapluie, tout en lui reprochant de ne pas donner signe de vie. Arthis lui répond d'un ton cassant, appuyant sur la superficialité du mannequin. Il regrette de suite la dureté de ses propos et lui explique que son esprit est envahi d'images brumeuses. Devant le scepticisme d'Anne, le photographe lui révèle qu'il a découvert un endroit fabuleux, un marais, et qu'il va se balader "au bout du monde"...
Makyo écrit un conte cruel d'amour, de folie, de sacrifice, de guerre, agrémenté d'une fine couche de fantastique. Cette œuvre immense se distingue par ses trouvailles scénaristiques. D'abord, il y a ce pays entièrement perdu, mystérieux, caché dans un entrelacs de forêts et de marécages, complètement isolé du reste du monde, contrée choisie, sous le règne de Louis XI (1461 à 1483), par des mystiques pour la fusion parfaite qui s'y opérait entre eau, air et terre. Ces érudits, influencés par les théories du philosophe grec Empédocle, estimaient que, des quatre éléments, le feu était source de corruption, de haine et de désir. Ils choisirent l'endroit pour y vivre en harmonie et se retirer du monde. Point de feu, point de progrès technologique ; ce pays est resté au Moyen Âge (cela renforce l'impression de lire un conte). Replié sur lui-même, il est sur le point de sombrer, tiraillé par les superstitions, la folie et les ambitions. Finalement, le feu n'est-il pas viscéralement ancré en l'homme, l'empêchant d'atteindre la sagesse ? L'auteur fait preuve d'une intarissable créativité et évoque quantité de thèmes : passion des hommes pour les chimères, amour charnel et amour fou, nature de l'homme, vieillesse et dégénérescence mentale, horreur de l'univers carcéral, régression de la société, conflit générationnel avec le pouvoir pour enjeu, possibilité d'un "ailleurs" et d'une autre vie, loin de tout.
Vicomte a vingt-cinq ans lors du premier album ; son trait n'est donc pas encore arrivé à maturité. "La Prison" regorge déjà de talent, dans un registre ultra-expressif qui caricature les personnages secondaires, surtout. Le dessinateur opte pour de belles héroïnes, très minces, avec de grands yeux expressifs, tandis qu'Arthis subira une décrépitude physique progressive. Le style graphique peut être considéré comme "féminin" de par sa finesse, son élégance. Avec "Le Grand Pays", Laurence Quilici remplace Jacky Robert à la mise en couleur, point faible d'une "Prison" qui manquait de contraste. La maturité de Vicomte se précise : trait plus réaliste, découpage limpide, sens accru du mouvement, de la perspective, variété des plans, travail sur l'ombre et la lumière, minutie de l'encrage et soin des fonds de case. Les lecteurs ont ainsi le privilège d'assister à l'éclosion en papillon en quelques albums magiques.
Ce premier cycle de "Balade au bout du monde" est une œuvre unique, dense et riche, mise en scène par un artiste précieux, trop rare, dont le style évolue au fil des tomes. Ces albums font partie des indispensables de la bande dessinée franco-belge.
Mon verdict : CHEF-D'ŒUVRE
Barbuz (À Émilie, avec tout mon amour)
Si mes souvenirs sont bons, j'ai dû lire ce premier cycle. Je garde en mémoire la surprise de la découverte de ce pays isolé du temps, ainsi que la folie que tu évoques.
RépondreSupprimerOui, pour moi ça a été une surprise aussi.
SupprimerJ'avais dû le lire il y a des années, mais je n'avais pas autant accroché.