mardi 19 septembre 2017

Le Grand-Duc (tome 1) : "Les Sorcières de la nuit" (Paquet ; octobre 2008)

"Le Grand-Duc" est un triptyque publié par l'éditeur suisse (genevois) Paquet dans sa collection aviation "Cockpit" entre 2008 et 2010, au rythme d'un volume par an. Le premier de ces trois tomes, intitulé "Les Sorcières de la nuit", est sorti en octobre 2008. C'est un album cartonné de quarante-six planches qui a connu trois couvertures différentes (deux tirages de luxe, dont un au grand format limité à cinq mille exemplaires).
La trilogie a été réalisée par le scénariste Yann (Le Pennetier) et le dessinateur Romain Hugault. Auteur prolifique, Yann a travaillé notamment sur "Dent d'ours", "Lucky Luke", "Le Marsupilami", "Les Mondes de Thorgal" ("Louve" et "La Jeunesse de Thorgal"), "Sambre" ou "Spirou et Fantasio". Hugault s'est spécialisé dans la bande dessinée d'aviation et n'a publié que chez Paquet (entre autres, "Le Dernier Envol"). "Le Grand-Duc" est leur première collaboration, mais ce n'est pas la seule ; le tandem a récidivé avec "Le Pilote à l'Edelweiss" (2010-2013), puis avec "Angel Wings" (2014-2016), deux autres triptyques également sortis dans la collection "Cockpit" de l'éditeur suisse.

1943, à Kouban, sur le front de l'Est. Un hibou en vol amorce une descente et évite une colonne de fumée avant de se percher sur une branche enneigée. Au pied de l'arbre gît le corps d'une femme en tenue de pilote de chasse, les yeux grands ouverts. Devant elle, un officier de la Luftwaffe (Wulf) se tient debout. Le visage dur, il l'observe un instant, puis s'agenouille près d'elle pour lui clore les paupières. Plus loin, son camarade l'attend ; installé à l'arrière d'une autochenille "Kettenkrad", il interpelle le pilote pour savoir s'il a récupéré des cigarettes sur le cadavre. Lorsque le pilote répond par l'affirmative, il lui demande si elle avait un briquet. Wulf n'en a pas trouvé. L'autre lui rétorque qu'il s'agissait d'une sorcière de la nuit. Selon un conte pour enfants, elles n'ont qu'à claquer trois fois dans leurs mains pour que surgisse une flamme. Suivis par le hibou, les militaires prennent le chemin du retour.
À la base, Wulf se tient à côté de son monoplace monomoteur de chasse Focke-Wulf 190. La gouverne de direction de l'empennage affiche vingt et une victoires. Le pilote, en proie à ses remords, est interrompu par Günther, le caporal-chef, qui le prévient que les bleus sont arrivés et attendent son discours. Tout en se dirigeant vers le tarmac, il peste contre la présence des photographes du service de propagande et contre Göring, dont il espère de nouveaux appareils et des tenues d'hiver. La cigarette aux lèvres, il souhaite aux quelques recrues la bienvenue au Nachtjagdgeschwader 3 (escadron de chasse nocturne) et les informe que d'ici un mois, les deux tiers d'entre eux seront morts tandis que les survivants seront devenus des vétérans...

Il serait réducteur de limiter "Le Grand-Duc" à une bande dessinée sur l'aviation. Certes, les avions sont magnifiques et soignés avec le sens de l'exactitude historique. Mais cette trilogie relate les affrontements entre deux camps, deux idéologies et deux personnes que tout éloigne et tout rapproche à la fois. Pour Wulf, Yann s'inspire d'Ernst Schäfer, pilote de la Luftwaffe (Jagdgeschwader 300) et antinazi. Père d'une petite fille restée à Berlin, Wulf méprise la facilité de certaines missions. Pour Lilya Litvasky, il s'inspire des Sorcières de la nuit du 588e NBAP, une formation de bombardement nocturne qui volait sur des coucous dépassés, mais qui finit la guerre comme l'unité la plus décorée des forces aériennes soviétiques. Wulf et Lilya ont les adversaires que la guerre leur oppose, mais aussi des ennemis au sein de leurs propres camps ; Wulf, qui a masqué les croix gammées du volet de direction de la dérive de son avion, doit composer avec les nazis, les vrais, tandis que Lilya, dont l'oncle est un Russe blanc exilé en France, doit affronter le machisme de la machine de guerre soviétique et se montrer méfiante à l'égard d'une commissaire politique jalouse et sans compassion. Wulf jouit d'une aura certaine, tandis que la pulpeuse Lilya n'hésite pas à faire jouer ses atouts pour parvenir à ses fins. Si l'extrême difficulté des conditions du front de l'Est est sous-représentée, les tragédies inhérentes à la guerre ne sont pas oubliées (camarades tombés au combat, exécutions et viols). La somptueuse partie graphique participe à la réussite de ce premier volume.

"Les Sorcières de la nuit" est un très bon premier tome. Le scénario est fluide, cohérent, avec un véritable sens du détail historique. Les deux personnages sont attachants et les scènes de combat aérien sont impressionnantes, de jour ou de nuit.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. Présence25 octobre

    Tornado m'a offert une autre BD de type Aviation : Baron rouge, en 3 tomes de Pierre Veys & Carlos Puerta. C'est vraiment un genre en soi les récits d'aviation. Je suis épaté par ces dessinateurs qui savent construire des prises de vue qui permettent de suivre les évolutions aériennes, ainsi que le placement respectif des avions.

    De Yann, j'avais bien apprécié la série Spoon & White.

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    1. C'est vrai que c'est un genre en soi ; et pour le scénariste, c'est toujours un piège, celui de tomber dans le prétexte pour montrer de belles machines.
      Je n'ai pas lu "Baron rouge", mais tu m'as donné l'envie !
      De Veys, j'avais lu le premier tome de "L'Escadrille des Têtes brûlées", mais, déçu par le dessin, je n'a pas continué.

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