mercredi 1 novembre 2017

"Kingdom Come" (Urban Comics ; mai 2012)

"Kingdom Come" est un album cartonné de trois cent vingt pages (cent vingt de bonus), sorti dans la collection "DC Essentiels" d'Urban Comics en mai 2012. L'intégrale avait déjà été publiée chez SEMIC (mai 2004) et chez Panini Comics (novembre 2010). En VO, c'est une mini-série en quatre numéros (mai-août 1996).
"Kingdom Come" est un "Elseworlds", un récit qui s’inscrit hors continuité et propose une version alternative des personnages DC Comics. Le scénario est signé Mark Waid (entre autres, "Superman : Droit du sang"). Alex Ross (entre autres, "Justice") a réalisé toute la partie visuelle, illustrations, encrage, mise en couleur.

Wesley Dodds, alias Sandman, est mourant. Le vieillard est hanté par les visions de l'Apocalypse. À son chevet, Norman McCay, ami et pasteur, l'écoute patiemment et tente de le calmer. Dodds ne veut rien savoir. Il est sur le point de quitter son lit d'hôpital pour empêcher la catastrophe qui, selon lui, doit se jouer. Le ministre de Dieu appelle le personnel médical pour l'aider à maîtriser le vieux héros. Malgré des hallucinations cauchemardesques, Dodds trouve la force de demander à McCay de lui lire la Bible. Le pasteur commence alors la première épître aux Corinthiens, sans prêter attention aux cieux annonciateurs de mauvais augure, et dans lesquels pullulent les méta-humains.
Wesley Dodds dit adieu à notre monde. McCay préside la cérémonie funéraire. Le service est bref et l'assistance peu nombreuse. Le pasteur se remémore quelques instants en compagnie de son vieil ami. Dans son bureau, la une d'un Daily Planet posé en vrac affirme que l'ONU a rédigé plusieurs nouvelles lois anti-méta-humains. McCay quitte l'endroit et sort dans la rue, une rue qui porte les stigmates de combats titanesques, dont les graffitis traduisent la méfiance des hommes à l'égard des super-héros, dont les vitrines proposent toute une palette de produits dérivés...

Qui dit univers alternatif dit versions différentes des héros ; les icônes ont vieilli ou sont marquées par les coups reçus pendant leurs activités de justiciers. "Kingdom Come" se lit sous plusieurs angles et regorge de références. D'abord, l'angle religieux (certains protagonistes ne sont-ils pas des demi-dieux ?). L'histoire s'inspire de la mythologie chrétienne, entre le titre, écho au troisième vers du "Notre Père" ("Thy kingdom come", c'est-à-dire "Que ton règne vienne"), prière enseignée par le Christ aux apôtres (pourquoi ce titre n'est-il jamais traduit ?), les extraits de l'Apocalypse évoquant les sept anges (les membres de la Ligue de Justice recomposée), provocateurs de catastrophes, et Magog, incarnation des forces du Mal dans la Bible. "Kingdom Come" est aussi un exercice de style sur la nature du justicier (de papier). Au début des années quatre-vingt-dix, certains lecteurs souhaitent des héros plus expéditifs. Les personnages de l'Âge d'or ou d'argent ont-ils encore un rôle à jouer ? Superman, dans "La Mort de Superman" (1992-1993), est remplacé par quatre versions de lui-même, dont deux qui ne font pas dans la dentelle (Superman Cyborg et Eradicator). En 1993-1994, Batman est remplacé par Knighfall, un justicier violent et psychologiquement instable. Ici, Superman, déçu par le genre humain, a cédé la place à Magog et ses acolytes brutaux qui ne prêtent guère attention aux conséquences de leur bestialité. Waid évoque la déresponsabilisation de cette nouvelle génération et le fossé abyssal avec l'homme de la rue. Enfin, deux conceptions de l'ordre s'affrontent, celle de Superman, égal à lui-même, et celle de Wonder Woman, prête à trancher le nœud gordien au risque de faire couler le sang, avec, en outsider, un Batman vieilli, mais qui a toujours une longueur d'avance ; à l'intrigue s'ajoute une lutte fratricide terriblement émouvante. Malgré l'ambiance apocalyptique et la peur des hommes devant ces êtres incroyables, l'humour n'est pas absent. Waid livre un récit fort, cohérent, profond, ambitieux, écrit avec talent.
Ross peint à la gouache. Son art force l'admiration. L'artiste déjoue les pièges avec brio : l'abondance de personnages (le "bestiaire" DC Comics, revu et corrigé, figure ici dans sa quasi-intégralité), la pléthore de scènes d'action (elles restent parfaitement limpides), la beauté plastique pour elle-même (qui n'exclut pas l'émotion qui se dégage de certaines planches), ou la négligence du détail (mais Ross polit ses cases).

"Kingdom Come" est un chef-d'œuvre. Captivant, construit sur une intrigue complexe, il se révélera plus aux amateurs de l'univers DC Comics. Les bonus sont précieux. Jean-Marc Lainé soigne sa traduction, mais le texte compte deux fautes de français.

Mon verdict : CHEF-D'ŒUVRE

Barbuz

2 commentaires:

  1. Présence04 novembre

    De que j'en ai lu, Alex Ross a également fortement contribué au scénario, voire l'a coécrit. Cela semble cohérent avec ce qu'il avait précédemment apporté à Marvels, (co)écrit par Kurt Busiek, et avec ce qu'il a construit dans Earth X, Universe X, et Paradise X. Quoi qu'il en soit, je me joins à ton jugement de valeur : chef d’œuvre.

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    1. Pour moi, "Kingdom Come" est un peu comme un excellent vin qui bonifie avec le temps ; je le trouve encore meilleur à chaque nouvelle lecture.

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