samedi 13 janvier 2018

Blake et Mortimer (tome 1) : "Le Secret de l'Espadon" ("La Poursuite fantastique") (Blake et Mortimer ; janvier 1950)

"Le Secret de l'Espadon" est le premier récit (du point de vue de l'historique de publication) de la série des "Aventures de Blake et Mortimer". Il a d'abord été prépublié dans la version belge du "Journal de Tintin", du 26 septembre 1946 (le tout premier numéro) au 8 septembre 1949. Les Éditions du Lombard rééditeront cette saga dans une version retravaillée par Edgar P. Jacobs, en deux tomes (1950 et 1953), puis en trois (contre l'opinion de l'auteur, d'ailleurs) - en ajoutant des pleines pages, aux Éditions Blake et Mortimer à partir de 1984.
L'histoire a été entièrement produite par Edgar P. Jacobs (1904-1987), véritable légende du neuvième art, hélas trop peu prolifique ; il ne réalisera que onze albums pendant ses quarante-cinq ans de carrière. Jacobs collabora aussi avec Hergé sur "Tintin au Congo", "Tintin en Amérique", "Le Sceptre d'Ottokar", "Le Lotus bleu", "Les Sept Boules de cristal", "Le Temple du Soleil" et y dessinera notamment des décors ou du matériel. 

Lhassa, au Tibet. Les troupes de l'empereur Basam-Dandu achèvent leurs préparatifs. Le Colonel Olrik, responsable du 13e Bureau et conseiller militaire de l'empereur, boucle l'inspection de l'arsenal de la capitale et écoute les explications du colonel Taksa, responsable technique. Bazookas, blindés, missiles atomiques, tout est présenté ; l'officier ne manque pas d'afficher un enthousiasme zélé. Olrik souligne que ces fusées ne seront utilisées qu'en cas de force majeure, Basam-Dandu voulant conquérir le monde et non pas le détruire. L'ingénieur s'empresse d'ajouter que le gaz GX3 est une arme qui permet d'anéantir l'adversaire sans endommager les infrastructures, avant de réaliser que l'heure passe et que pour le colonel, le temps est compté. Olrik se déclare néanmoins satisfait de sa visite d'inspection et le fait savoir à l'officier. Il quitte le site et fonce vers l'aérodrome. Il est minuit. Sur le tarmac, les bombardiers sont prêts. Les chefs d'escadrille attendent Olrik, qui doit leur communiquer les ordres de mission de l'empereur... 

Premier numéro d'une série légendaire, qui appartient au panthéon de la bande dessinée belge. Depuis 1984, cette histoire est découpée en trois tomes : "La Poursuite fantastique", "L'Évasion de Mortimer" et "SX1 contre-attaque". Dans ce volume, la célérité avec laquelle le monde est conquis est bien entendu invraisemblable ; il ne faut qu'une nuit et quelques planches aux troupes de Basam-Dandu pour l'envahir. Jacobs ne compose pas une bande dessinée de guerre, mais le récit de la résistance d'une poignée d'hommes, qui, grâce à la technologie, finiront par inverser le rapport de forces et prendre un ascendant définitif sur l'ennemi. Ce tome, c'est celui de la défaite et de la fuite. Blake et Mortimer sont traqués par le colonel Olrik, de la base de Scaw-Fell, en Angleterre, jusqu'en Iran, puis au Pakistan. Le scénario est déjà habilement bâti ; ce modèle de linéarité, qui comporte de nombreux retournements de situation, est riche en scènes d'action spectaculaires, avec une généreuse dose d'exotisme. Cruels et méprisants, les "Jaunes" cumulent les clichés de l'envahisseur ; Jacobs force le trait, mais n'a eu qu'à se pencher sur l'histoire récente pour caractériser l'ennemi (nous sommes en 1946 lorsqu'est conçue cette aventure ; on a écrit que l'auteur s'est inspiré de la Seconde Guerre mondiale et du Japon Shōwa). Il s'agit d'une guerre de civilisations, d'un conflit de cultures (Rome et Paris sont rasées, par exemple) ; du recul est nécessaire. Le scénariste dépeint une guerre avec ses collaborateurs, ses destructions, ses traîtres, et ses alliances. L'amateur y trouve tous les grands personnages de la série. Jacobs n'hésite pas à faire des clins d'œil à des références historiques, tel le "Nuts!" du général McAuliffe à Bastogne (dernière case de la trentième planche). Enfin, notons la méticulosité de la documentation et de la recherche, l'une des caractéristiques de l'œuvre de l'artiste. Au plan graphique, certaines cases ont été redessinées ; c'est flagrant (voir les visages), mais cela ne gêne pas le plaisir. Les silhouettes et les visages de Blake et de Mortimer ne sont pas arrivés à leur aboutissement visuel, encrage et contours sont encore trop gras. Dans cette édition figurent plusieurs pleines pages mal synchronisées avec le flux narratif. Les phylactères ne sont pas placés dans l'ordre optimal pour la lecture. Le texte présente quelques fautes de français (accentuation, majuscules/minuscules). 

Malgré quelques maladresses narratives et ses caractérisations caricaturales, "Le Secret de l'Espadon" est le premier volume d'une série mythique de la bande dessinée belge. Ces pages pleines d'énergie sont à savourer avec recul, mais sans modération. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

7 commentaires:

  1. Présence14 janvier

    Ton commentaire met bien en évidence l'importance de cette BD dans l'histoire de cet art, le thème de la résistance, ainsi que la méticulosité des traits et le sérieux de la documentation. Cependant voilà une bande dessinée que je n'ai pris aucun plaisir à lire du fait des pavés de textes, à la fois pour leur lecture, mais aussi par la manière dont ils masquent une partie significative des dessins, diminuant d'autant la qualité du spectacle. Je me rends bien compte que c'est paradoxal quand je considère la piètre qualité des dessins et des textes de certains comics, mais je n'y arrive pas.

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    1. C'est vrai que tu as du texte, mais je trouve qu'il est de qualité. En relisant ces premiers numéros, je m'aperçois que les repreneurs ont tous essayé de singer cette marque de fabrique de Jacobs, mais sans y parvenir.
      J'ai découvert "Blake et Mortimer" à l'âge de dix ans (j'avais eu le premier tome du "Mystère de la Grande Pyramide" à Noël !) et je ne m'en suis jamais remis.

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  2. Présence16 janvier

    En revenant sur mes lectures d'enfant ou de jeune adolescent, j'ai moi aussi constaté cet effet première fois, pour des œuvres qui le mérite, mais aussi parfois pour des produits qui soufrent d'une relecture.

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  3. D'autant que Jacobs a connu la BD franco-belge du temps où une case venait en appui d'un texte placé sous les cases et non l'inverse. Ce n'est qu'à la fin des années 20-début des années 30, qu'a commencé à se généraliser, en Europe du moins puisque aux USA elle existe déjà largement, la narration BD avec bulles et dessins qui racontent d'eux-même l'histoire. Quelque part, on peut dire que la BD franco-belge a découvert le parlant en même temps que le cinéma ! Ceci dit, je rejoins Barbuz, je trouve que ces textes sont souvent d'une qualité littéraire irréprochable et participent de la geste jacobsienne. Ils me paraissent dès lors superflus dans les reprises qui singent en effet ce style comme un film historique singerait une époque à coup de plans larges en extérieur.

    J'ai découvert Blake & Mortimer avec l’Énigme de l'Atlantide (l'un de mes albums de BD favori), et ce n'est que sur le tard que j'ai abordé cette trilogie de l'Espadon. En tant que récit d'aventure guerrière, j'ai beaucoup aimé le style et le souffle de ces albums. Le dessin n'est pas encore tout à fait de cette ligne qui se fixe dans La Grande Pyramide, mais déjà Jacobs est un grand dessinateur. Mon regret, c'est que je n'ai jamais trouvé que la saga s'intégrait bien dans la série. Il y a eu une Troisième Guerre mondiale (du moins à en croire les reprises), des villes détruites, des centaines de milliers de mort, un ordre géopolitique mondial changé en des proportions incommensurables ; mais dans l'aventure suivante, si l'on fait certes référence à l'Espadon, le monde semble s'être remis comme à la sortie de Yalta et les villes sont reconstruites à l'identique ! Je comprends tout à fait la volonté de Jacobs de vouloir ancrer sa série dans une certaine réalité, celle de son temps, comment lui en vouloir !, mais dès lors l'Espadon occupe une place singulière dans la série.

    Mister B. (Forum Comics)

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    1. Salut B. Quel plaisir et quel honneur de te lire sur ces pages !
      J'espère que tu vas bien.
      Je pense que Jacobs, marqué par le conflit, a souhaité revenir dessus, puis, par la suite, a voulu s'écarter du genre, peut-être par peur d'être étiqueté...

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    2. Il est vrai que la manière dont la série a évolué diffère fortement de ce qu'est cet Espadon, et ce dès la Pyramide en réalité (dont j'attends tes commentaires !). Cependant le thème de la guerre et de l'effondrement civilisationnel qui en résulte sera repris par Jacobs dans le Piège diabolique et dans une moindre mesure dans la succulente Énigme de l'Atlantide.

      Sinon, je vais bien. A défaut de les commenter, je lis autant que faire se peut tes articles. J'espère que toi aussi tu te portes bien. Ce qui est certain, c'est que sur ForumComics, on ne t'a pas oublié. :)

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    3. "Le Mystère de la Grande Pyramide", c'est pour mars ! Mais pour moi, comme toi, le sommet de la série c'est "L'Énigme de l'Atlantide" (et "Le Piège diabolique", que j'affectionne tout particulièrement).
      Ah, ForumComics... Faudra bien que je repasse y faire un coucou un de ces jours !...

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