dimanche 11 mars 2018

Adèle Blanc-Sec (tome 1) : "Adèle et la bête" (Casterman ; janvier 1976)

"Les Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec" est une série (a priori, toujours en cours) créée par le Français Jacques Tardi en 1976. Les deux premiers tomes ("Adèle et la bête" et "Le Démon de la tour Eiffel") sortent directement en albums chez Casterman la même année, en 1976. Les volumes suivants seront d'abord prépubliés dans "(À suivre)", magazine mensuel qui appartenait à l'éditeur, avant de sortir en albums.
"Adèle et la bête" est le premier épisode. Cet album à couverture cartonnée comprend quarante-six planches. Il est sorti en janvier 1976. On compte une quinzaine de rééditions à ce jour.

Paris, nuit du 4 au 5 novembre 1911, 23h45. Au Muséum national d'histoire naturelle, un œuf de ptérodactyle fait entendre quelques coups secs provenant de l'intérieur. Sa coquille se fissure et un jeune ptérodactyle finit par s'en extraire. Un peu pataud, il casse la vitre de l'armoire dans laquelle l'enveloppe était exposée, prend son envol, s'élève vers le plafond, en brise les carreaux et file à tire-d'aile. Au même moment, à Lyon, un homme vêtu d'un costume, hilare, mime les battements d'aile de l'oiseau dans une petite pièce submergée de recueils.
XIIe arrondissement, 01h03. Au poste de police, deux agents encadrent un individu d'apparence très modeste, qu'ils ont appréhendé parce qu'il hurlait et qu'ils le soupçonnent d'hébriété. Pourtant, ce dernier jure qu'il n'a pas bu et qu'il a bien été attaqué par un volatile rouge avec un long bec garni de dents. Le brigadier, agacé et incrédule, n'écoute pas les protestations du type, et ordonne qu'il soit enfermé en cellule.
Rue Vaugirard, le lendemain, 19h30. George Plot, pharmacien, est en train de fermer son officine. Alors qu'il baisse le volet roulant, le ptérodactyle fond sur lui dans un croassement. Le commerçant ne peut retenir un hurlement de terreur. Au même moment à Lyon, l'homme en costume crie d'impuissance...

"Adèle et la bête" est le premier tome d'une série encore en cours à ce jour, même si le rythme de parution des albums est de plus en plus espacé (il y a neuf ans d'écart entre les deux derniers !). Tardi place le début de ces aventures en 1911, trois ans avant la Grande Guerre - période au centre de son œuvre. En 1911, Armand Fallières (1841-1931) est président de la République depuis 1906 ; il le restera jusqu'en 1913. Ce premier album (c'est aussi le cas des les suivants) se déroule dans une atmosphère fantastique et surnaturelle unique à laquelle se prêtent si bien Paris et l'Europe du premier quart du vingtième siècle. "Les Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec" est un titre qui puise également dans le registre du grotesque et de l'absurde. L'auteur met en scène une histoire de monstre qui emporte autour de lui une valse de personnages aux comportements aussi étranges que leurs patronymes ; en plus de la belle et intrépide Adèle, on a l'inspecteur Léonce Caponi, besogneux à défaut d'être futé, persuadé que le "pierrodactyle" a poignardé un badaud, l'improbable tandem formé par Philippe Boustardieu et Robert Espérandieu, Justin de Saint-Hubert, aristocrate et chasseur qui représente la France du passé, la France coloniale, et bien d'autres. L'auteur raille la chaîne de commandement de notre bonne vieille administration française, du président au ministre, du ministre au préfet, du préfet au commissaire de police et du commissaire l'inspecteur. Tardi revient sur la peine de mort et sur la montée à l'échafaud en deux ou trois planches impressionnantes, dans un ciel rouge sang regroupant une assemblée sinistre (renforcée par des jeux d'ombres et les regards souvent masqués par les bords des chapeaux) dans une atmosphère particulièrement lugubre. Quant à la conclusion, la multiplication des retournements de situation ne manquera pas de faire sourire - ou d'agacer. Visuellement, la série se caractérise par un trait soigné que l'on qualifiera de semi-réaliste, par une narration graphique parfois décompressée à l'extrême (voir les trois premières planches, par exemple), et par des phylactères qui peuvent recouvrir l'entièreté du fond de la case. Le découpage, classique, présente la plupart du temps trois bandes à la hauteur variable, comprenant chacune deux ou trois cases. Il est évident que l'artiste s'est documenté sur la mode de l'époque.

Pour un coup d'essai, c'est un coup de maître. En un album, Tardi parvient à imposer son style et l'univers particulier de cette série : il situe son action pendant une période finalement peu visitée, et crée une héroïne unique, fraîche, et différente.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. Je garde un meilleur souvenir de lecture des aventures d'Adèle Blanc-Sec (quel nom ! comme tu le soulignes) que de XIII ou de Thorgal, certainement parce qu'elles sont plus truculentes et plus burlesques.

    Au fur et à mesure de ton commentaire, mon ressenti m'est revenu en mémoire, avec chacune des caractéristiques que tu pointes : la multiplication des retournements de situation, des pages consacrées à montrer les évènements, des phylactères qui occupent tout l'espace libre de la case. Je me souviens également avoir été très marqué par la qualité descriptive des dessins en ce qui concerne la reconstitution historique de l'urbanisme parisien. Vivement la suite de tes commentaires pour voir si la narration visuelle de Tardi évolue avec les années qui passent.

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    1. Je l'ai commencée à reculons, celle-là. Je me suis dit : "Allons bon, encore une série à rallonge qui ne fait plus l'actualité". Mais bon, soit. Il n'y a que neuf albums et je ne sais pas si Tardi en réécrira encore un. J'avais lu quelques tomes il y a des années ; je crois que j'étais allé jusqu'au cinquième. Je pense que je la continuerai au compte-gouttes.

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