lundi 7 mai 2018

Alix Senator (tome 3) : "La Conjuration des Rapaces" (Casterman ; novembre 2014)

"Alix Senator" est un développement du titre "Alix" (toujours en cours à ce jour) qui voit le jour deux ans après le décès du "père" du personnage, Jacques Martin (1921-2010), figure majeure de la bande dessinée franco-belge qui aura présidé à la destinée de son héros pendant soixante ans (de 1948 à 2009) !
Casterman demande à Valérie Mangin (et Denis Bajram, son époux) des idées pour élargir l'univers du personnage. Mangin propose de le faire vieillir d'une trentaine d'années ; il occupe la fonction de sénateur de l'Empire romain, a un fils, Titus, de mère inconnue, et a aussi recueilli Khephren, le fils d'Enak.
Mangin (connue pour "Le Fléau des dieux", entre autres) signe le scénario. Elle a fait appel à Thierry Démarez pour la partie graphique ; ils ont déjà officié ensemble ("Le Dernier Troyen").

À l'issue du tome précédent, la pyramide creuse s'effondre. Césarion tombe aux mains des soldats romains ; la Conjuration des Rapaces veut qu'il prenne sa direction, et qu'il tue Auguste.
Rome, le bois des Furies, -12 av. J.-C., tard le soir. Deux silhouettes encapuchonnées devisent à la lueur d'une torche. L'une d'elles explique que ce sanctuaire est voué aux divinités infernales depuis longtemps, et que la malédiction des furies est présente partout autour d'eux. N'est-ce pas ici que le plus jeune des Gracques a trouvé la mort ? Qu'il a expié sa volonté de mettre fin à la République ? Tandis que l'individu continue sa réflexion à voix haute, lui et son camarade sont rejoints par plusieurs autres ; tous portent une cape et ont le visage dissimulé derrière un masque d'oiseau de proie. Celui qui parle ajoute que la République est à nouveau menacée et que c'est de ce bois que partira le châtiment divin pour s'abattre sur Auguste, ce tyran qui a fait assassiner son frère, Rufus, en Égypte. Auguste, qui a même osé profaner le temple de Jupiter. À ces mots, l'homme ôte son masque : c'est le Premier augure !...

"La Conjuration des Rapaces" est le troisième et dernier volet de ce qui est appelé "Le Cycle des Rapaces". Encore une fois, il sera utile de relire les deux tomes précédents, "Les Aigles de sang" et "Le Dernier Pharaon", afin de saisir toutes les finesses de l'histoire. La qualité de l'intrigue que Mangin a conçue est réelle. L'auteure maîtrise la tactique du coup de théâtre avec un indéniable brio, tout en sachant garder une part de mystère lorsque c'est nécessaire ; parmi les moments importants de cet album, notons la mésentente entre Auguste et Alix et la rancune, la méfiance du premier à l'égard du second, l'étrange attitude de Khephren, et, surtout, cette discussion particulièrement troublante entre Alix et Lidia (Octavie, sœur d'Auguste). Mais cette plongée dans les arcanes du pouvoir et dans l'exercice du compromis politique souffre, comme dans les deux volumes précédents, d'un rythme narratif trop décompressé et d'une action insuffisamment condensée. En résulte un suspense trop étiré, au crescendo pas assez compact pour avoir un impact sur l'œuvre ; la tension ne décolle pas, malgré toutes les surprises et les trouvailles imaginées par la scénariste. Assez curieusement, Mangin a fait le choix, depuis le début de la série, d'une technique narrative épurée qui ne repose que sur les dialogues et l'action mise en scène par son illustrateur ; l'auteure n'utilise ainsi ni bulles de pensées ni cartouches, techniques qui permettent généralement d'alimenter le processus narratif en ajoutant des éléments descriptifs ou en retranscrivant les réflexions introspectives des personnages principaux. Le style graphique du dessinateur est sans doute pour quelque chose dans le manque de rythme de cette série. En effet, Démarez opte pour une forme d'hyperréalisme, mais avec l'habituel ligne de contours des illustrations de bandes dessinées plus "classiques". Les expressions faciales de ses protagonistes et leurs langages corporels sont travaillés (voir notamment la scène du sacrifice du bœuf, ou encore celle de cette altercation entre Alix et Khephren lors d'un dînez chez le sénateur). Mais ce type de trait a tendance à rendre l'action statique et à réduire les sensations de mouvement. La mise en couleurs de l'artiste privilégie des teintes généralement neutres, voire ternes, générant ainsi un aspect froid, presque métallique ; cela permet de mettre certains contrastes en évidence.

"La Conjuration des Rapaces" propose un très bon scénario, une intrigue fouillée et recherchée, et offre son lot de retournements de situations et de surprises, sans hélas parvenir à contrebalancer la lenteur ou ce manque de rythme de la narration.

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. Pour l'instant, je n'ai lu que 2 récits écrits par Valérie Mangin, et je n'ai pas eu cette sensation de décompression. Mais à chaque, c'était sur la base d'un scénario de Denis Bajram, son mari, plus connu pour être l'auteur complet de Universal War. Je verrai bien pour cet Alix Senator.

    Ce qui m'avait attiré pour l'offrir à mon fils était la période, à savoir l'Antiquité romaine, sur laquelle l'auteure semble avoir réalisé de vraies recherches.

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  2. Par "décompression", j'entends ici manque de tension, d'action et de mouvement.
    J'ai commencé mon billet sur le quatrième tome (j'espère l'avoir fini cette semaine), ; ce sera mon dernier de cette série pour laquelle je ne parviens pas à m'enthousiasmer, malgré ses indéniables qualités.

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