"La Marque jaune", troisième récit (du point de vue de l'historique de publication) des "Aventures de Blake et Mortimer", a été prépublié dans l'édition belge du "Journal de Tintin", du 6 août 1953 (nº31) au 10 novembre 1954 (nº45). Le Lombard l'éditera en un album de soixante-six planches (en avril 1956).
L'histoire a été entièrement produite par Edgar P. Jacobs (1904-1987), véritable légende du neuvième art, hélas trop peu prolifique ; il ne réalisera que onze albums pendant ses quarante-cinq ans de carrière. Jacobs collabora aussi avec Hergé sur "Tintin au Congo", "Tintin en Amérique", "Le Sceptre d'Ottokar", "Le Lotus bleu", "Les Sept Boules de cristal", "Le Temple du Soleil" pour dessiner notamment des décors ou du matériel.
Londres, lors d'une pluvieuse nuit de décembre. Il est une heure du matin. Tout paraît calme à la Tour de Londres. Une ronde du Royal Fusiliers termine une visite d'inspection, et les soldats, trempés, rejoignent le corps de garde où leurs camarades de régiment, au chaud, jouent aux cartes. Sirotant du thé, les gardes discutent des dernières actualités ; les journaux évoquent le récent tour de force de la Marque jaune, un criminel de génie qui n'hésite pas à prévenir la police londonienne vingt-quatre heures à l'avance qu'il réalisera un coup, quelque part, dans la capitale. Pour le moment, le malfrat a toujours tenu parole, poussant la provocation jusqu'à laisser sa signature sur le lieu du méfait. L'un des militaires se demande à voix haute quel sera le lieu du prochain exploit de la Marque jaune. Alors que son compagnon d'armes répond avec humour sur la sécurité du lieu où ils tiennent garnison, le courant est brusquement coupé, plongeant la pièce dans l'obscurité. Le sergent suppose qu'il s'agit d'un court-circuit et demande qui a des allumettes. L'un des hommes répond par l'affirmative et trouve une lanterne. Un lieutenant fait irruption ; tout s'est éteint chez lui, le téléphone est hors service. Il ordonne au sergent de regarder s'il s'agit d'une panne générale...
D'après la chronologie des aventures, "La Marque jaune" se déroule en décembre 1952. Le scénario se découpe en trois parties. L'atmosphère de la première rappelle qu'en 1953-1954, la Guerre froide bat son plein ; Staline est mort, mais la course à l'armement est une réalité et les deux blocs se consolident. L'intrigue commence avec une opération-choc de la Marque jaune : le vol de la couronne impériale britannique. En attaquant ce double emblème (pouvoir et empire) en son cœur, le malfaiteur affirme la nature anti-occidentaliste, iconoclaste, voire anarchiste de son action (en planche 4, un journal mentionne qu'il s'en est également pris à des symboles de l'économie, de l'art, et de la culture). Les choix graphiques de l'artiste (plans, lumière, couleurs) participent à la tension ambiante (en planche 5, la discussion entre Blake et Mortimer dans le fumoir du Centaur Club). Ces pages dignes des meilleurs romans d'espionnage sont rythmées par un suspense hitchcockien. Le second tiers est une longue et étonnante course-poursuite entre la police et un être insaisissable doté de capacités surhumaines dans le décor industriel des docks déserts, sombres et brumeux de Londres. L'auteur y déploie sa science de la cadence et de l'action dans des pages inoubliables du fait de cet incroyable travail sur le contraste, la couleur (et l'utilisation de la monochromie), et les jeux entre ombre et lumière (cela rappellera le deuxième tome du "Secret de l'Espadon"). Pour conclure, Jacobs connecte mystère et technologie (ici, celle du contrôle des masses) dans des dialogues fournis comme lui seul savait le faire, et découvre le visage de l'instigateur du complot : l'incarnation type du savant fou, autoritaire (jusqu'au fascisme), susceptible, cruel, dominateur (voir la relation avec son valet, rossé à la cravache), aussi génial que mesquin. Mais Jacobs force le trait et fait dériver le personnage vers l'infantilisme revanchard (planche 59). La partie graphique atteint un indéniable degré de maîtrise. L'artiste continue à s'y affranchir d'Hergé. En moyenne, il produit une douzaine de cases par planche dans une large variété de plans. Le découpage, classique, est limpide. La sensation de mouvement est présente. La méticulosité et le sens du détail (machine, paysages, maisons) suscitent l'admiration. Le travail de mise en couleurs du Studio Jacobs est fabuleux.
Le génie créatif de Jacobs prend toute son ampleur dans cet album plein de trouvailles, qui a depuis acquis (il a subi un peu de censure) le statut d'histoire culte par excellence. Et plus de soixante ans après, l'œuvre reste simplement exceptionnelle.
Mon verdict : ★★★★★
Barbuz
Hasard de la programmation : http://www.brucetringale.com/come-into-the-magma-la-marque-jaune/ à 1 jour de décalage.
RépondreSupprimerComme les autres albums de Blake & Mortimer, il s'agit d'un album que j'ai découvert sur le tard, et je n'y avais pas été sensible. Je crois que je n'arriverai jamais à me faire aux cellules de texte.
RépondreSupprimerHélas !... Pour moi, c'est après "La Marque jaune" que commencent les affaires sérieuses et arrivent les meilleurs albums. Mes préférés restent sans doute "L'Énigme de l'Atlantide" et "Le Piège diabolique".
SupprimerChose promise, chose due. Ne sachant pas si tu reçois à nouveau les courriels d'avertissement de nouveau post, je poste ça ici : le lien vers mes articles sur les 3 premiers tomes d'Alix Senator.
Supprimerhttps://les-bd-de-presence.blogspot.com/search/label/Alix%20Graccus
Tu avais un blog ?!?!?!? J'y cours ! Mais pourquoi diable ne pas l'avoir dit avant ! Ta discrétion me scotche et m'épate !
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