samedi 29 septembre 2018

Blake et Mortimer (tome 8) : "S.O.S. Météores" (Blake et Mortimer ; septembre 1959)

"S.O.S. Météores" est le cinquième récit (du point de vue de l'historique de publication) de "Blake et Mortimer". Il fut prépublié dans la version belge du "Journal de Tintin", du 8 janvier 1958 (nº2) au 22 avril 1959 (nº16). En septembre 1959, Le Lombard le réédite en un album de soixante-deux planches.
L'histoire a été entièrement produite par Edgar P. Jacobs (1904-1987), véritable légende du neuvième art, hélas trop peu prolifique ; il ne réalisera que onze albums pendant ses quarante-cinq ans de carrière. Jacobs collabora aussi avec Hergé sur "Tintin au Congo", "Tintin en Amérique", "Le Sceptre d'Ottokar", "Le Lotus bleu", "Les Sept Boules de cristal", "Le Temple du Soleil" et y dessinera notamment des décors ou du matériel.

Une vague de froid tombe sur l'Europe occidentale. Les journaux font état de graves dégâts aux récoltes en France, en Grande-Bretagne, et en Italie. De violents orages se sont abattus sur la France. Les îles Baléares ont été frappées par des rafales de neige. Les conséquences économiques sont importantes. Pour certains, les taches solaires seraient à l'origine du mauvais temps. Pour d'autres, c'est la bombe H la responsable. Une tempête balaie Paris, perturbant la circulation. Un taxi se faufile adroitement parmi les autres voitures et se dirige vers la place de la Madeleine. À son bord, le professeur Philip Mortimer. Il échange quelques banalités avec le chauffeur sur la météo. Le feu de circulation passe au rouge, ce qui n'empêche pas une berline bleu ciel de continuer, et de foncer à travers le carrefour. Un agent de police siffle, mais le conducteur de la Ford 1957 ne s'arrête pas, et rétorque à son passager que le patron les attend. Au même instant, une Renault 4 CV sort de la rue du Faubourg-Saint-Honoré ; la Ford la percute violemment, mais parvient à prendre la fuite, tandis que la 4 CV fait un tonneau et télescope un autobus. Les badauds sont choqués. Le chauffeur du taxi informe l'agent qu'il a aperçu une partie de la plaque minéralogique, "8 CL 75"...

En 1958, le gouvernement cubain est renversé et Fidel Castro s'empare du pouvoir. En Europe, c'est le début de la seconde crise de Berlin, dont la construction du mur en 1961 sera le point culminant. "S.O.S. Météores", l'un des sommets de la série, est une captivante intrigue d'espionnage dont l'enjeu n'est ni plus ni moins que l'invasion de l'Europe occidentale par les forces du bloc de l'Est ; le reflet d'une époque. Tandis que les populations d'Europe de l'Ouest s'inquiètent de la course aux armements et des essais de bombes H, c'est une tout autre arme que les Soviétiques ont l'intention d'utiliser pour parvenir à leurs fins : la manipulation du climat. Jacobs découpe son scénario en trois parties ; dans la première, développée sur une ambiance de mystère, Mortimer, dont il est précisé plus tard qu'il n'est pas venu en France par hasard, enquête sur sa folle virée nocturne dans les Yvelines, espérant lever le voile sur ce mystère et retrouver le chauffeur de taxi porté disparu. Ces pages permettent à Jacobs d'étoffer son propos et de faire entrer en scènes un premier groupe de protagonistes. La seconde partie, haletante, rythmée, est centrée sur Blake ; Jacobs déploie ici les éléments de l'intrigue d’espionnage classique, techniques de dissimulation et d'échange d'informations (codes secrets, micropoint), filature, mise sur écoute, course-poursuite, ou fausses identités. Enfin, les deux personnages se croisent dans la conclusion. "S.O.S. Météores" est une œuvre qui aura demandé une grande préparation, un important travail de documentaliste à son auteur, qui aura parcouru la région en long, en large et en travers, afin de retranscrire correctement la topographie pour son histoire (à ce sujet, consulter l'excellent blog d’Emmanuel Mailly). La structure narrative est inhabituelle ; les deux héros ne se croisent qu'à la fin (l'album a d'ailleurs pour sous-titre "Mortimer à Paris"). Ensuite, les scènes sont relativement longues : dix planches pour la première, ou dix-neuf pour la course-poursuite avec Blake. C'est peut-être la longueur de ces segments d'action qui donne cette sensation de stabilité, d'équilibre et de profondeur de l'intrigue. La partie graphique, remarquablement aboutie, parachève cette réussite complète. Jacobs, dont l'art est en pleine maturité, produit des planches serrées qui comptent, en moyenne, de onze à treize cases, détaillées, soignées. Un bonheur.

Cet album captivant, l'un des meilleurs moments de la série, est à lire absolument. Le lecteur y cherchera les clins d'œil, et y retrouvera l'ambiance des grands films d'espionnage, avec, en plus, pour décor, Paris et sa région. Un vrai plaisir de lecture.

Mon verdict : ★★★★

Barbuz

2 commentaires:

  1. L'invasion de l'Europe occidentale par les forces du bloc de l'Est - Merci pour cette observation car je suis passé complètement à côté de cet élément de contexte qui donne une tout autre saveur au récit. L'observation sur la structure du récit (longueur des scènes, enquête en parallèle des 2 héros) éclaire la spécificité de la narration pour une meilleure compréhension, un point de vue intéressant.

    J'ai lu ce weekend le dernier numéro du magazine DBD et j'ai pensé à toi en lisant l'interview d'Olivier Grenson sur le tome 17 de XIII Mystery. Il évoquait justement le nombre de cases par page, exigé par le scénario, en indiquant qu'il était assez élevé.

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    1. Oui ; c'est intéressant, parce que Jacobs, à partir du numéro suivant, réduira légèrement le nombre de cases par page.
      "S.O.S. Météores" est un fabuleux roman d'espionnage, malgré une conclusion très spectaculaire (les escadrilles qui partent à la rencontre de l'ennemi) et un poil superflue.

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