En 2013, Panini Comics obtient la licence Valiant pour la France et édite "Bloodshot", avant de renoncer à Valiant en 2015 pour cause de ventes décevantes. En décembre 2015, Bliss Comics récupère les droits, et publie "Bloodshot Reborn" (la suite de "Bloodshot") à partir d'avril 2016. "La Traque" ("The Hunt" en VO), le second tome, compte cent planches (sans les bonus), et compile les numéros VO 6-9 (septembre-décembre 2015) du titre.
Le Canadien Jeff Lemire écrit le scénario. Butch Guice illustre les quatre parties et encre ses dessins dans les (deux ou) trois premiers chapitres, Tom Palmer se chargeant du dernier (ou des deux derniers). David Baron (un ex-DC Comics) effectue la mise en couleurs. Enfin, le Philippin Mico Suayan signe les couvertures.
À l'issue du tome précédent, Bloodshot résiste à Kay et Bloodsquirt, qui lui imposent de supprimer Magic. Il finit par "abattre" Bloodsquirt, puis réveille Magic et lui demande de lire son dossier.
Pendant qu'un inconnu, présentant les mêmes symptômes que Bloodshot, attire un chat errant dans une ruelle déserte pour le tuer par strangulation, Ray, dans un restoroute, se confie à Magic et répond à ses questions autour d'un déjeuner. Il lui confirme qu'il reste encore quatre individus infectés par les nanorobots. Il déclare à la jeune femme qu'il doit les retrouver avant que le massacre de Broomfield ne se reproduise. Ray tente de rassurer Magic afin qu'elle n'ait pas de remords au sujet de la mort de son ex-petit ami, puis il replonge le nez dans son assiette. Sa compagne de route lui demande finalement s'il a envie qu'elle lui parle de ce qu'elle a lu dans son dossier ; elle avoue n'avoir pas tout saisi, mais peut-être Ray souhaite-t-il savoir qui il était ? Décontenancé, Garrison répond par la négative et finit son café. Devant l'étonnement de Magic, il explique qu'il avait besoin que quelqu'un soit au courant ; pour l'instant, cela lui suffit. Elle ne le comprend pas ; il réplique par une boutade, et commande un énième steak spécial, les nanites exigeant leur dose de protéines...
Bloodshot, dans cet arc noir et violent, traque ses pareils dans le but illusoire d'empêcher le pire. Comme lui, les autres individus "infectés" sont issus des classes laborieuses de la société américaine ; un employé sous pression d'une boîte de télémarketing, un fermier, et un gamin perturbé chez qui l'abus de jeux vidéo a été le terreau de la violence. Autant de facettes d'un rêve américain corrompu, ou qui n'existe pas dans ces contrées du Midwest, où les immenses champs alternent avec les petites villes anonymes et leurs centres commerciaux. Selon la coutume, l'amour s'invite dans ce road-movie, sans en être à l'origine ; l'amour, c'est peut-être cet état fragile qui distingue Garrison des autres. Lemire parvient à escamoter les oripeaux de super-humain du personnage (qui n'oublie pas les valeurs universelles du héros pour autant) et le met en scène tel un homme ordinaire, un peu fruste, presque banal, qui finit par s'éprendre d'une fille qui traîne son rimmel grossier et ses collants craqués comme une marque d'appartenance sociale. De l'autre côté du miroir, la situation se duplique chez les agents du FBI, avec moins de grâce cependant, la fraîcheur naïve faisant place au cynisme. L'auteur livre un récit équilibré, accrocheur, au rythme maîtrisé, qui se lit comme un roman noir, pas comme une aventure super-héroïque. Guice prête son trait réaliste à ces épisodes. Les contours des silhouettes sont fins, et l'encrage est détaillé. L'artiste produit entre cinq et sept cases par planches, présentées dans un découpage généralement classique, voire en gaufrier, qui fait souvent appel à la technique de l'insert. Pour les moments qui laissent présager une action imminente, Guice opte pour une case unique par bande, ce qui a pour effet de renforcer l'aspect cinématographique de l'action par un "effet pellicule". Pour les scènes violentes ou émotionnellement chargées, sa préférence va à une structure en oblique avec quelques gros plans, des vignettes de dimensions différentes, et l'utilisation parfois étonnante de la plongée et de la contre-plongée.
La traduction est signée Mathieu Auverdin, des studios MAKMA ; comme dans le premier tome, il produit ici un travail de qualité et un texte soigné. La maquette est nickel : table des matières, couvertures originales insérées entre les chapitres, etc.
"La Traque" transforme l'essai du volume précédent. À la fois représentant de la classe ouvrière, homme ordinaire, super-héros, et machine à tuer, Bloodshot alias Ray Garrison force l'empathie du lecteur par son sens du sacrifice et des responsabilités.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbuz
Lemire parvient à escamoter les oripeaux de super-humain du personnage. - C'est également ce qui m'avait séduit dans ce tome auquel j'ai aussi mis 4 étoiles. J'avais été moins convaincu que toi par la prestation de Butch Guice, parce que j'espérais le retour de l'impressionnant Mico Suayan, et parce qu'il abuse un peu des cases de la largeur de la page (certes avec un effet pellicule), mais aussi avec une densité d'information assez faible. Du coup, la consistance du récit devient beaucoup plus faible que pour une BD franco-belge (à commencer par celles d'EP Jacobs).
RépondreSupprimerLa version courte de mon commentaire d'alors : Jeff Lemire confirme que sa façon de penser le personnage de Bloodshot lui permet de le rendre original, différent d'un simple ersatz du Punisher, ou d'un comics d'aventure de plus à la manière de Wolverine. Il développe la psychologie du personnage, à la fois lors des dialogues avec Magic, mais aussi par les décisions qu'il prend et sa volonté de ne pas se plier aux diktats des circonstances. Face à ce spécimen viril, il installe 3 femmes qu'il ne réduit pas au stade de demoiselle en détresse, mais qui sont tout aussi autonomes et courageuses que Ray Garrison. Il réussit le pari de reconstruire le personnage après sa transformation dans The Valiant exactement comme le lecteur l'avait prédit, mais dans un récit original. Les dessins de Jackson Guice sont moins séduisants que ceux de Mico Suayan, tout en restant dans une tonalité réaliste adaptée au récit. Ils perdent un peu en finesse dans la deuxième moitié du tome. 4 étoiles pour un bon thriller auquel il manque un peu d'un deuxième niveau de lecture.
C'est marrant, cette discussion sur la densité d'information et la consistance du récit me rappelle les premiers albums de la série "Alix" !
Supprimer