lundi 8 octobre 2018

Les Tours de Bois-Maury (tome 7) : "William" (Glénat ; décembre 1990)

"Les Tours de Bois-Maury" est une série de l'artiste belge Hermann (Huppen) dont le titre a été changé en "Bois-Maury" à partir du onzième tome ("Assunta", 1998). Bien qu'Hermann ait œuvré seul sur les onze premiers numéros, son fils Yves H. le rejoint comme scénariste au douzième tome ("Rodrigo", 1991).
"William", septième volet du titre, est un album cartonné comptant quarante-six planches, sorti dans la collection "Vécu" de Glénat en décembre 1990. Il y a eu, à ce jour, cinq rééditions.

À l'issue du tome précédent, Bois-Maury aide le fantôme de Sigurd à retrouver son cheval et à mettre la main sur le joyau. Après ces événements, Aymar décide de partir en Terre sainte.
Un village en Angleterre. Des oies fuient en se dandinant et en gloussant, prenant garde à protéger leurs petits. S'abritant derrière elles, un être difforme (ses jambes atrophiées n'ayant pas atteint leur taille normale, il doit se déplacer avec une béquille) et au visage disgracieux tente tant bien que mal d'éviter les jets de pierres des garnements du coin. Il parvient à se glisser sous une masure. L'un de ses poursuivants essaie déjà de le piquer du bout de son bâton pour le faire sortir lorsqu'un cri retentit et ordonne que place soit faite. Les gamins fuient sans exiger leur reste, tandis qu'Aymar de Bois-Maury - car c'est lui - retient les rênes de sa monture. Derrière lui, une troupe de cavaliers. L'un d'eux, William, se gausse de lui, plaisantant sur le fait qu'ils sont toujours en Angleterre, et que ces enfants, même crottés, n'ont point l'apparence d'Arabes. Lorsque Bois-Maury lui demande s'il comprend le grec, William fait mine de ne pas saisir, mais en profite pour glisser un reproche au sujet du comportement taciturne du chevalier, soudain bien bavard. Il ajoute que sa mère parle le grec, et que le chevalier pourra discuter avec elle aux vêpres, après la visite du port. Plus tard, sur le pont d'un navire, un Bois-Maury bien mélancolique partage un souvenir poignant avec William...

"William", c'est le départ de Bois-Maury et Olivier pour la Terre sainte. Bois-Maury et son écuyer Olivier sont  accompagnés de William, un jeune chevalier anglais rencontré dans "Sigurd". La série étant censée se dérouler au début du XIIe siècle, la campagne menée par Bois-Maury est sans doute une expédition tardive dérivée de la première croisade, qui s'achève en 1099 avec la prise de Jérusalem. Bien que l'humour n'en soit pas entièrement absent, cet album est celui d'un voyage maudit qui commence mal et qui finit dans le sang et la douleur. Assez curieusement - ou pas, il n'est guère question de foi dans ces pages, à l'exception du miraculeux rétablissement d'Aymar, pour qui son écuyer prie avec sincérité, oubli de soi, et reçoit un signe divin. Pour le reste, c'est la nature de l'homme qui l'emporte, cet homme qui est un loup pour son prochain et qui néglige bien vite le côté sacré du pèlerinage lorsqu'il y a des richesses en jeu. Ces croisés-là se rendent en Terre sainte à pied et vont devoir traverser une contrée hostile où ils finiront par être assiégés, les autochtones tenant à les punir pour les outrages qu'ils ont subis lors du passage du convoi précédent - celui que William avait rejoint. Comme avec Reinhardt von Kirstein, Hermann met une nouvelle fois Bois-Maury face à un reflet déformé de lui-même ; certes, le chevalier hollandais Hendrik ne brille ni par courtoisie, ni par son empathie ni par sa probité chevaleresque, mais il a au moins pour lui d'être pragmatique, expérimenté, courageux, et sans aucune pensée naïve au sujet du genre humain. Le travail sur les dialogues est particulièrement important ; Hermann en soigne non seulement le fond, c'est-à-dire la qualité, mais aussi la forme, puisqu'il emprunte à l'ancien français, ici encore plus que dans les albums précédents. Le texte reste néanmoins tout à fait compréhensible. Graphiquement, la partie est réussie, bien que les sensations de mouvement ne soient pas suffisamment présentes. Hermann produit, en moyenne, entre sept et neuf cases par planche, dans un découpage généralement traditionnel avec quelques insertions. Le travail d'encrage et de mise en couleurs est fameux, notamment la double page de la sortie (sans paroles - cela aurait d'ailleurs été superflu). Enfin, remarquons quand même la dernière case de la planche 29, où les proportions et à la posture sont complètement loupées.

"William" est un très bon album, qui indique le retour - après le fantastique "Sigurd" - à un certain classicisme. L'expédition en Terre sainte de Bois-Maury et Olivier commence dans le sang et l'incompréhension. William, lui, est dépouillé de son aura.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. Entre 7 et 9 cases par planche : décidément on n'en sort pas de cette question de densité narrative. Tes remarques sur le sujet me font prendre conscience à quel point les comics comprennent des caractéristiques narratives implicites, nées d'un mode de production industriel dont l'objectif est de produire vite.

    Il n'est guère question de foi. - Je n'ai pas souvent lu de bande dessinée dont les auteurs soient capables de parler de foi avec pertinence. Celle qui m'a le plus marquée dans le genre (il s'agit d'un manga) est Ikkyu d'Hisashi Sakaguchi.

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    1. Je garde toujours ce point à l'esprit, car pour moi, la densité de cases par page est un point aussi important que le type de découpage ; il représente la capacité du dessinateur à déployer sa narration avec plus ou moins d'efficacité ou de facilité. C'est un véritable travail d'équilibriste. Il est moins "visible" en soi que la qualité du trait de l'artiste, mais il est - à mon avis - au moins aussi important.
      Je ne sais pas si Hermann voulait parler de foi ; je crois surtout qu'il a évité la difficulté en la contournant.

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