jeudi 1 novembre 2018

Batman : "Silence" (Urban Comics ; mai 2013)

"Silence" ("Hush" en VO) est un album cartonné d'à peu près deux cent soixante-dix pages (bonus inclus) paru dans la collection DC Essentiels d'Urban Comics en mai 2013. "Hush" est un récit consacré à Batman comprenant les "Batman" #608-619 (décembre 2002 à novembre 2003), soit douze numéros de la série régulière.
L'équipe artistique est composée de Jeph Loeb (scénario), Jim Lee (dessins), Scott Williams (encrage) et d'Alex Sinclair (mise en couleurs) ; ces deux derniers ont travaillé plusieurs fois avec Lee.

Gotham City, le chantier naval, un peu avant minuit. Batman ouvre un cadenas à l'acide. Il soulève un rideau de fer et s'engage sans tarder dans un couloir obscur ; il lui reste une minute et treize secondes avant de trouver l'otage. Le FBI et le DEUS ont coupé le courant du site. Il tombe sur un premier malabar, Nathan Les-Doigts-de-Fée, un ex-CIA, qu'il neutralise à l'aide de quelques Batarangs recouverts d'un poison paralysant. Le second est Tommy Harper, trafiquant d'armes pour le compte de l'IRA. Batman sait qu'Harper a une prothèse métallique dans le crâne ; un simple aimant lui suffit à mettre le sbire hors d'état de nuire. C'est ensuite au tour de Carlos Valdez, un mercenaire chilien, que Batman immobilise avec une Bat-corde. Le dernier, Hancock l'Araignée, est un truand de Gotham City à qui Batman a cassé deux côtes il y a trois jours. Le Chevalier noir appuie là où ça fait mal, ficelle son ultime adversaire et le pend par les pieds afin de l'interroger. Le justicier lui demande où est le petit. L'autre lui jure d'abord qu'il l'ignore, mais peur et superstition le poussent à lâcher le morceau. Batman trouve le garçon, retenu dans une pièce fermée d'une porte étanche avec volant ; le vengeur masqué en plastique l'encadrement, ordonne à l'enfant, par le hublot, de se tenir au sol et de se boucher les oreilles, puis fait exploser son plastic. Le gamin, intimidé, se laisse emporter par son sauveur. Il reste trente-sept secondes. Batman utilise son Bat-grappin pour les hisser, lui et le petit, au sommet de cet entrepôt. Il se demande comment Superman gérerait la situation...

Loeb conçoit une intrigue menée tambour battant, dans laquelle Batman est confronté aux ennemis habituels, le Joker, Killer Croc, Poison Ivy, l'Épouvantail, le Sphinx, Ra's Al-Ghul, etc. Outre cette belle galerie de super-criminels, l'auteur l'oppose également à son rival symbolique, Superman. Loeb creuse l'enfance de Bruce Wayne - peu exploitée, au fond - et en dévoile un pan nouveau pour développer son histoire. Il sème un peu de distraction dans la vie privée de Wayne-Batman avec la sémillante Selina Kyle alias Catwoman, et fait considérablement avancer leur relation. Enfin, il emprunte aux événements tragiques du passé pour enrichir le récit et déboussoler le lecteur, pour qui il est difficile de résister à l’efficacité de ce scénario généreux en retournements de situations, d'autant que le texte (surtout les soliloques de Wayne) est soigné. Graphiquement, c'est l'univers de Lee, c'est-à-dire celui du culte du corps et de la beauté autant que celui de l'action. La plupart des protagonistes (les héros, en tout cas) sont plastiquement idéalisés. Les femmes présentent des tailles de guêpe, de longues jambes, des poitrines proportionnées et saillantes, de grands yeux en amandes ; le trait de Lee expose un archétype fantasmé de beauté finalement "commune" car commerciale, mais sans être vulgaire. Les hommes ne sont pas en reste. Leurs corps sont sculptés, sans excès afin d'éviter toute sensation de lourdeur. Les mâchoires sont carrées, les traits, fins. Batman irradie l'assurance, la confiance en soi ; à la fois puissant et massif (parfois de façon exagérée), il prend souvent la pose. Tout cela est malheureusement dénué de la moindre émotion, et la variété des expressions faciales est réduite au minimum. Malgré des planches spectaculaires (la mise en couleurs y est pour beaucoup, voir notamment la scène de l'opéra) et plutôt soignées, Lee ne dispose pas du trait qui aurait métamorphosé ce "cache-cache policier" à grand spectacle en un récit plus viscéral - ou plus émouvant. Mais sans doute n'était-ce pas là la finalité de "Silence".
La traduction de Jérôme Wicky est très satisfaisante, et le texte est impeccable. Le recueil est généreux en bonus (dessins, explications, photos, etc.). L'interview de Loeb et Lee est un numéro de cabotinage à l'américaine, qui nous coûte neuf pages.

"Silence" propose une intrigue menée de main de maître par Loeb, accompagnée des illustrations explosives, mais peu expressives de Lee. À l'issue de ce succès, DC Comics envisagea une suite par les mêmes ; elle est finalement restée lettre morte.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

4 commentaires:

  1. Superbe analyse des dessins de Jim Lee. J'y ai vu exprimé des idées que je n'avais jamais vues ailleurs, et elle m'a permis de regarder ses planches d'une autre manière que je trouve très pertinente. Comme tu le dis, la finalité de Silence n'est pas la même que celle d'Un long Halloween.

    Concernant le principe de creuser le passé de Bruce Wayne, j'étais moins enthousiaste. D'une part, quelques scénaristes ont déjà fait le coup, ou l'ont refait par la suite, par exemple en intégrant Zatanna dans le passé de Bruce, ou plus récemment Kate Kane dans Detective Comics. Ensuite, ce genre d'ajout est généralement voué (dans 99% des cas) à un oubli dès que le scénariste est parti. Enfin il est toujours difficile de croire qu'on a jamais entendu parler auparavant d'un personnage aussi important que Tommy Elliot.

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    1. Je te remercie !
      Je supposais bien - puisque nous en avions déjà parlé dans le cadre de "La Nuit des Hiboux", que ce développement de la jeunesse de Bruce Wayne allait te déplaire. Comme tu le dis, ce genre d'ajout est voué à l'oubli ; même si le personnage semble encore exploité aujourd'hui, j'ai l'impression qu'il a été relégué au range de troisième, voire de quatrième couteau.

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    2. C'est vrai que c'est exactement le même principe narratif que pour la Cour des Hiboux, et le frère potentiel de Bruce Wayne. J'avais été assez curieux de voir comment Paul Dini pouvait donner plus de consistance à Tommy Elliot, dans Cœur de silence, et quelques épisodes avant. Le résultat ne m'avait pas convaincu.

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    3. J'avais lu ces épisodes de Dini à l'époque de leur sortie chez Panini Comics, et j'avais adoré. Je les relirai d'ici un moment ; je verrai si l'enthousiasme est intact.

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