"Notre mère la guerre" est une série complète en quatre tomes publiés entre 2009 et 2012 aux éditions Futuropolis, au rythme d'un album par an. Les quatre parties ont été regroupées en une intégrale en un volume unique disponible depuis 2014. Il y a eu un hors-série, "Chroniques" (en novembre 2014).
Le scénario est écrit par le Brestois Kris (Christophe Goret), révélé par "Un homme est mort" (Futuropolis, 2006) ou "Les Brigades du temps", entre autres. Les dessins et la mise en couleurs sont réalisés par l'Isérois Maël (Martin Leclerc), surtout connu pour "Les Rêves de Milton" ou "L'Encre du passé".
À l'issue du tome précédent, les Allemands donnent l'assaut à la tranchée. Peyrac reste aux côtés de ses hommes, dans un corps-à-corps rageur, violent. Vialatte emporte Janvier blessé.
Mai 1917, à Laffaux, dans l'Aisne. Il est 05h45. Des fusées éclairantes déchirent le ciel gris et nuageux. Dans la tranchée française, les soldats attendent, fusil à la main. Un officier scrute l'horizon de ses jumelles. Le lieutenant prévient ses hommes : voici leurs "amies de cœur". Il informe Hennebaut qu'Églantine est en tête, comme prévu, et que c'est à lui que revient l'honneur de l'accompagner, puis il lui souhaite bonne chance. L'un des contreforts de l'abri fortifié s'effondre. Au-dessus des soldats jaillit un monstre de métal, dont la carapace blindée est hérissée de mitrailleuses et de canons ; c'est Églantine, un char d'assaut français. À bord, l'un des opérateurs prévient l'officier du risque de verser dans la tranchée. Un autre suggère d'essayer de zigzaguer entre les obus massivement tirés par l'artillerie allemande. Leur chef rejette l'idée ; ils ne peuvent pas perdre de temps, il leur faut donc continuer à avancer tout droit. Le monstre d'acier poursuit sans tomber dans la tranchée ; ils sont passés ! Le lieutenant demande à son second, Berthier, de vérifier que les fantassins suivent. Celui-ci répond par l'affirmative, ils sont derrière eux...
Ce troisième tome commence plus de deux ans après "Deuxième Complainte", qu'il est nécessaire de relire afin de ne pas oublier le fil de l'enquête. Un peu de contexte : en 1917, l'offensive Nivelle (du Chemin des Dames) tourne à la catastrophe et s'enlise ; selon les sources, les pertes françaises sont estimées à 187.000 morts ou blessés, parfois plus. C'est cette année-là que les Américains entrent en guerre, en avril. Le lecteur est ravi de retrouver le lieutenant Vialatte dans le feu de l'action, et pas de n'importe quelle manière, puisque le voilà chef de char. Vialatte doit quitter le front un moment et voyager ; pour le lecteur, bien que l'atmosphère ne soit pas plus légère, c'est l'occasion d'avoir un aperçu de la vie "à l'arrière" et de suivre l'officier jusqu'à Arras pour y découvrir le front côté britannique. L'évolution de l'armement est bien représentée ; outre les blindés, les avions apparaissent à de multiples reprises. Comme les albums précédents, celui-ci est riche en émotions, notamment grâce aux soliloques profonds de Vialatte et à des dialogues qui sonnent juste. Parmi les scènes marquantes, il y a la rencontre entre poilus chantant l'Internationale et civils sur la voie de chemin de fer, qui sous-entend qu'un peu de reconnaissance, de partage, de générosité peuvent avoir raison des idéologies les plus vindicatives, ou celle de l'attaque au gaz et du sacrifice touchant de Desloches. Kris, en multipliant les rebondissements, a pris des risques. Certains ont avancé que le parcours d'Eugénie Varlot alias Planchard, par exemple, était invraisemblable. Pourtant, en 1915, l'Anglaise Dorothy Lawrence se fit passer pour un homme afin d'intégrer l'armée britannique. Il est probable que les auteurs aient eu connaissance de l'anecdote, à peine moins rocambolesque que celle de Planchard. Lawrence ne subira néanmoins pas l'étape - critique, certes - de l'officier médecin et de la visite médicale. Autre point : les gendarmes pendus par les poilus (page 25) ne seraient qu'un mythe selon de nombreux articles ; il est dès lors curieux que les Kris et Mäel aient représenté ce fait, alors que leur travail de recherche pour la série est exemplaire. Graphiquement, c'est admirable. Véhicules (ces chars titanesques !), visages, ou paysages (la plage et les dunes de Berck !)... ; le trait nerveux de Maël fait des merveilles, et le découpage classique permet des enchaînements cristallins.
"Troisième Complainte", malgré quelques défauts qui frôlent l'invraisemblance, est un album passionnant. La guerre change de forme. Les monstres de métal font leur apparition, et le gaz continue ses ravages. Le lecteur découvre Vialatte un peu plus.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbuz
Les dunes de Berck : j'écris ces mots juste à côté, pour quelques jours de vacances.
RépondreSupprimerJe ne l'avais pas relevé pour les 2 premiers tomes, mais il s'agit d'une BD également publiée par Futuropolis. Tu as bien fait de mentionner la nécessité de consulter le tome précédent, car j'avais publié qu'il s'agit d'une enquête. Je suis allé lire l'article sur Dorothy Lawrence et c'est très étonnant.
Si jamais tu croises le lieutenant Vialatte, son esprit, son fantôme, ou ses créateurs, salue-les bien bas de ma part :-) .
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