samedi 9 février 2019

Superman et Batman : "L'Étoffe des héros" (Urban Comics ; juillet 2013)

"L'Étoffe des héros" est une histoire complète consacrée à Superman et Batman, sortie le 5 juillet 2013 dans la collection DC Deluxe d'Urban Comics. Ce volume d'approximativement cent cinquante planches (plus une vingtaine de pages de bonus) compile les "World's Finest" #1-3, publiés entre août et octobre 1990 en VO, et respectivement intitulés "Worlds Apart", "Worlds Collide" et "Worlds at War". En France, ces épisodes avaient déjà été édités entre octobre 1990 et mars 1991 par Comics USA, en trois tomes : "Mondes à part", "Mondes en conflit", et "Mondes mutilés".
Le scénario est de Dave Gibbons, connu pour "Watchmen" (1986-87) avec Alan Moore. Steve Rude (dessins), Karl Kesel (encrage), et Steve Oliff (à la mise en couleur) réalisent la partie graphique.

Une nuit automnale de 1946, dans un cimetière. Sous le regard d'un hibou, un jeune garçon en larmes se recueille devant les tombes de ses parents, les époux Monks. Il s'est décoiffé en guise de respect. Plus haut, une automobile l'attend. Un homme en complet sombre en descend, s'approche, et lui tend un mouchoir brodé à ses initiales, permettant ainsi au gamin de se laisser aller sans retenue. Puis ils repartent tous les deux vers la voiture.
Aujourd'hui, à Gotham City, au crépuscule. Le soleil darde ses derniers rayons sur les flèches de la ville. Batman émerge d'entre deux gargouilles. En bas, un coup de feu retentit ; une agression a mal tourné et la victime a été abattue d'une balle de pistolet automatique. Le malheureux a eu le temps d'arracher son masque de clown à l'un de ses assassins. Les deux auteurs filent sans tarder. Mais Batman les poursuit. Il tombe sur le premier de tout son poids ; le coup suffit à le neutraliser. L'autre précipite sa fuite, mais trébuche en essayant de se frayer un chemin à travers un groupe d'enfants qui viennent de descendre de leur bus scolaire. Voyant le Chevalier noir courir vers lui, le malfrat prend une jeune fille en otage et lui braque son arme sur la tempe. Batman laisse d'abord aux passants le temps de se mettre à l'abri...

"L'Étoffe des héros" est un récit hors Continuité, accessible à un large public. A priori, il se déroule lors des débuts des deux justiciers ; Robin n'est pas mentionné. Bruce Wayne et Clark Kent connaissent leurs identités respectives ; Lois Lane sait que le journaliste et Superman ne sont qu'une seule et même personne. Les deux super-héros s'intéressent ici à un mystérieux orphelinat qui se trouve au centre de machinations ourdies par Lex Luthor et le Joker, et de la rivalité entre les deux criminels. Gibbons construit son scénario sur une mécanique d'opposition permanente ; Bruce Wayne et Clark Kent, Batman et Superman, Gotham City et Metropolis, Lex Luthor et le Joker. Les caractérisations sont réussies, bien que ce Luthor-là - un homme d'affaires dévoyé, et non pas un inventeur génial et sans égal - ait fait date ; il s'agit de réminiscences de la version développée par John Byrne lors de sa période sur le personnage de Superman. L'intrigue est tout sauf un modèle de limpidité ; le lecteur ressentira une certaine confusion s'il ne prête pas attention à tous les détails, certains étant sibyllins et trompeurs (l'emblème "M" de la bâtisse, pour "Midway", pas pour "Monks"). Il y a là quelques scènes qui ne brillent ni par leur clarté, ni par leur logique, ni par leur cohérence ; elles resteront brumeuses. Il faut prendre "L'Étoffe des héros" comme un exercice de style qui rend hommage à l'Âge d'or (plus qu'à l'Âge d'argent) et qui se déroule dans une atmosphère à la fois désuète et intemporelle comme les comics n'en produisent plus. La préface - signée Gibbons - est informative, une fois n'est pas coutume. C'est la partie graphique qui fait l'intérêt du recueil. Rude présente des planches étonnantes, aux perspectives et aux plans variés, dans un trait très inspiré du classicisme des années quarante, cinquante, avec un soupçon de modernité dans la forme qui joue avec les limites du réalisme grâce à une certaine dose d'hyperexpressivité. L'utilisation fréquente du noir dans l'encrage et le choix des couleurs ajoutent (à dessein ?) à l'aspect suranné.
C'est Philippe Touboul qui a effectué la traduction. Le texte de l'introduction comporte une coquille. Assez curieusement, Touboul a transposé les noms de quartiers. Des onomatopées auraient parfois pu être adaptées. La maquette est irréprochable.

"L'Étoffe des héros" établit un parallèle permanent entre Superman et Batman, et montre à quel point les deux héros sont aussi différents que complémentaires. Le scénario de Gibbons pèche par manque de limpidité. Dommage. Reste l'art de Rude.

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. Mon ressenti de lecture est à la fois très proche du tien, et à la fois beaucoup plus enthousiaste. Effectivement, Dave Gibbons joue de manière systématique et mécanique sur la dualité entre le monde Bruce et celui de Clark, comme si tout pouvait s'exprimer de manière dichotomique. Effectivement, son scénario ne semble pas très clair à la première lecture. J'ai trouvé les planches de Steve Rude magnifiques de bout en bout, à la fois très faciles à lecture, vraiment tout public, à la fois très riches méritant qu'on s'attarde sur chaque case pour y observer les détails, que ce soit un rat apeuré dans l'une, ou la jupe d'une jeune femme qui se soulève dans une autre. L'encrage de Karl Kesel est très respectueux du trait de Rude, donnant l'impression que ce dernier s'encre lui-même. Derrière une apparence surannée, les dessins de Rude sont en fait bien plus intemporels et élégants, à la fois plus denses, à la fois lus enjoués et malicieux. Rien que pour la narration graphique, j'ai attribué 5 étoiles au récit. En prime, l'histoire de Gibbons n'est pas si fade que ça, ni si ingénue. Le jeu de l'opposition entre le monde de Clark et celui de Bruce s'effectue avec différents points de vue, enrichis par les dessins. Mon article avait eu les honneurs du site de Bruce, si tu veux la version détaillée.

    http://www.brucetringale.com/intemporel-pour-tous-les-ages/

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    1. Oui, tu es plus enthousiaste que moi.
      C'est ma deuxième lecture de cette BD, et j'ai eu la même impression qu'à la première.

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