samedi 9 février 2019

Alix (tome 17) : "L'Empereur de Chine" (Casterman ; avril 1983)

"L'Empereur de Chine" est le dix-septième tome de la série créée par Jacques Martin (1921-2010) en 1948. L'histoire est publiée dans la version belge du "Journal de Tintin" de début novembre à fin décembre 1982. L'année d'après, Casterman l'édite en un album cartonné (au total, quarante-six planches).
Martin est également célèbre pour d'autres titres, tels que "Lefranc", ou "Jhen". En 1991, il est, hélas, diagnostiqué d'une dégénérescence maculaire qui le rend quasiment aveugle et l'éloigne des tables de dessin dès l'année suivante. Il délègue alors le travail à d'autres artistes et se fait assister à l'écriture.

À l'issue du tome précédent, Marah meurt d'une morsure de serpent. Hiram, abattu, repart pour Babylone. Alix fait malgré tout ses adieux à Adroclès, avant de quitter le pays avec Enak.
Alix et Enak arrivent par bateau en Inde, à la cité d'Elephanta. À bord, leur ami grec Mardokios leur chante les louanges de la ville et rend grâce aux dieux d'avoir convaincu Alix et Enak de se joindre à lui, alors que les deux compagnons avaient l'intention de rentrer à Rome. Mardokios les informe qu'il leur faut changer de navire avant de repartir pour la Chine. Ils pourront procéder à quelques achats, mais ils doivent d'abord porter leurs bagages ; ils sont accompagnés par Tchandra, un marin indien. Alix demande au Grec pourquoi son père a eu l’idée de s'installer en Chine. L'autre répond que la Chine est une contrée fantastique dirigée par une dynastie puissante et cultivée. L'empereur actuel désirait un précepteur grec pour l'éducation du prince héritier, Lou Kien. Le père de Mardokios, flatté, a accepté le poste ; il est d’ailleurs vraiment bien rémunéré. Cependant, il s'ennuie un peu. C'est pourquoi il a écrit à son fils pour lui demander de le rejoindre avec qui il voulait. Mais les amis corinthiens de Mardokios sont plutôt casaniers et n'ont pas souhaité partir. Au fond, tant mieux, cela lui a permis de faire la connaissance des deux jeunes hommes...

"L'Empereur de Chine" est une intrigue de palais dans laquelle nos deux héros courent de grands dangers. L'introduction, qui dure un peu, compte près d'une dizaine de planches. Martin prend le temps de développer le contexte. Lors de l'attaque des pirates, le lecteur de longue date pourra se faire la remarque qu'Alix tient de moins en moins souvent la poignée d'un glaive. Ces événements mènent Alix et Enak à la cour de l'empereur. S'ensuit une forme de huis clos, dans lequel ils découvriront un univers raffiné, un héritier au trône gravement malade qui dépérit sans espoir, un monarque qui s'est approprié les prouesses au combat de son fils et son héroïsme sur le champ de bataille afin d'asseoir son régime, un prince au comportement étrange, des personnages indéchiffrables, des mœurs incompréhensibles, et des us et coutumes bien différents des leurs. Martin déploie une intrigue de palais captivante, riche en surprises, et le lecteur sent une tension sourde s'installer en lui au fil des pages. Il y a là des scènes tragiques, par exemple l'ascension de la montagne (qui doit être peinte en rouge sur ordre de Han Tsi) et la terrible découverte d'Alix et de Wiong, les ultimes moments de Lou Kien, réellement émouvants, ses obsèques, ou les cinq dernières planches, qui forment une conclusion particulièrement cruelle. Le scénario comporte une seule faiblesse de taille, à savoir le retour, comme deux ex machina, de Wou Tchi ; le lecteur s'interrogera sur ce qui a bien pu se passer depuis son départ. Enak, dans cet épisode, devient à nouveau une charge pour Alix de façon évidente. Il est également à noter que les deux personnages n'ont encore jamais voyagé aussi loin vers l'Est, plus loin qu'Alexandre le Grand ; Alix n'avoue-t-il pas dans "Les Proies du volcan" que les traces du conquérant sont difficiles à suivre ? Graphiquement, c'est une réussite. Cet univers ici inédit offre à Martin l'opportunité de mettre en scène de nouveaux individus, décors, bâtiments, véhicules (les navires), costumes (ceux des dignitaires chinois), etc. La vue sur la ville de Lo Yang est admirable, comme les cases consacrées au palais impérial d'été. Le spectacle du bateau de Han Tsi émergeant des brumes, gigantesque par rapport à la barque d'Alix et Wiong, est impressionnant, comme le sont les obsèques de Lou Kien. Enfin, la mise en couleur, irrégulière dans l'utilisation de certaines teintes, est imparfaite.

Avec ce dix-septième tome, Martin confirme le retour de sa série à niveau de qualité très satisfaisant pour le lecteur fidèle. Scénario et partie graphique sont réussis. Le passage à vide de la période 1975-1980 n'est qu'un mauvais souvenir, espérons-le. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. Alix tient de moins en moins souvent la poignée d'un glaive. - Peut-on y voir le souhait de Jacques Martin d'écrire des histoires d'une autre nature que des exploits physiques au combat, une évolution de ses centres d'intérêt ? C'est aussi la possibilité de faire d'ALix une autre sorte de héros, moins violent, moins enclin à résoudre les conflits en les passant par le fil de son épée.

    La remarque sur l'opportunité de dessiner de nouvelles choses laisse à penser que la dimension touristique constitue un attrait important de cette série, et que la qualité descriptive des dessins tient cette promesse de découvrir des civilisations disparues.

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    1. Je pense en effet que Martin, au fil des albums, métamorphose Alix en un témoin de son temps plutôt qu'un acteur véritable avec glaive au poing. Cette nature de témoin s'associe en effet parfaitement avec cette dimension touristique que tu cites souvent et que tu évoquais notamment dans "Alix Senator".

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