lundi 31 décembre 2018

Alix (tome 14) : "Les Proies du volcan" (Casterman ; janvier 1978)

"Les Proies du volcan" est le quatorzième tome de la série créée par Jacques Martin (1921-2010) en 1948. L'histoire est publiée dans l'édition belge du "Journal de Tintin", du numéro 43 d'octobre 1977 au nº6 de février 1978. En 1978, Casterman l'édite en un album cartonné (au total, quarante-six planches).
Martin est également célèbre pour d'autres titres, tels que "Lefranc", ou "Jhen". En 1991, il est, hélas, diagnostiqué d'une dégénérescence maculaire qui le rend quasiment aveugle et l'éloigne des tables de dessin dès l'année suivante. Il délègue alors le dessin à d'autres artistes et se fait assister à l'écriture.

À l'issue du tome précédent, après la catastrophe du port, Alix et Enak, pour leur sécurité et à la demande du gouverneur, quittent Carthage sans attendre et embarquent sur une galère.
Une mutinerie brutale et violente s'est déclarée sur leur navire, l'Amphitryon. Alix et Enak ont échappé à la mort de peu, et ne doivent leur salut qu'à un matelot qui a rappelé à ses camarades que ces deux-là n'avaient rien à avoir avec les affaires du bateau. L'équipage leur laisse la vie sauve. Cependant, afin d'empêcher que ces rescapés ne les dénoncent aux autorités romaines, ils seront abandonnés sur une côte déserte avec quelques vivres et des armes. Les deux compagnons s'enfoncent dans la forêt et commencent par chercher l'endroit idéal pour se bâtir un abri. Pour y parvenir, ils doivent parfois affronter ou chasser les représentants de la faune locale. Après plusieurs jours, ils réussissent à ériger un refuge entouré d'une palissade de rondins. Vient ensuite la prochaine étape, la construction d'un radeau : il leur faudra abattre des arbres, puis les élaguer, les tailler... un travail colossal. Alix, entre deux efforts, laisse libre cours à une sombre introspection ; il pense aux Indes, où Jules César les avait envoyés négocier, et où ils n'iront sans doute jamais. Il se dit qu'ils vont mourir sur l'île, abandonnés, et finiront pas se détester à force de promiscuité...

Depuis "Le Fils de Spartacus", la guerre civile entre César et Pompée semble loin. Pour ses scénarios, Martin ne recourt plus au prétexte de missions spéciales (bien que cela soit évoqué ici), mais à des événements dus au hasard. Il est probable qu'il se soit rappelé les grands classiques d'aventure, "Robinson Crusoé" (1719) ou des fictions inspirées de la mutinerie du Bounty (1789). L'album est construit autour de trois aspects. D'abord, l'isolement d'Alix et Enak. Loin de Rome et de sa civilisation, comment vont-ils survivre ? Le lecteur sera surpris de voir Alix perdre l'enthousiasme et l'optimiste qui le caractérisent, en tout cas dans les premières pages, car c'est un jeune Gaulois toujours lucide, mais décidément sombre qui se révèle. Curieusement, Enak se montre moins maladroit et plus dynamique que d'habitude, comme pour pallier le passage à vide de son ami. Puis l'île, ses habitants, et le volcan. Alix fait chavirer le cœur de la jolie Malua, des rivalités se formeront et une incompréhension totale finira par naître, donnant lieu à des cases émouvantes. Enfin, les Phéniciens ; Martin revient sur l'esclavage, un sujet récurrent du titre. De jeunes hommes sont enlevés pour être vendus ailleurs, loin de chez eux et de ceux qu'ils aiment. En dépit de la richesse des thèmes, la naïveté et le caractère enfantin des indigènes pourront agacer, bien que Martin prenne garde à ne pas franchir la limite de la caricature ; il semblerait au contraire qu'il ait voulu les présenter comme les victimes du commerce des civilisations. Il y a donc un certain manichéisme qui émerge de ce récit. Malgré son originalité, "Les Proies du volcan" manque des éléments qui ont fait la réussite des grands albums de la série : des personnages profondément tragiques et de vrais "méchants". Le lecteur ne parvient pas à se défaire d'une distanciation gênante avec l'œuvre et la parcourt sans passion. Graphiquement, Martin est au sommet de son art. Son découpage présente trois à quatre bandes, qui comprennent un maximum de quatre cases, et chaque planche compte, en moyenne, neuf vignettes. Martin, qui voulait davantage de nudité, a dû lutter contre l'éditeur pour l'imposer (y compris par l'astuce du travail livré en retard). La mise en couleurs est perfectible, Alix ayant parfois un teint de peau trop jaunâtre. La scène de l'éruption du volcan et des coulées de lave est spectaculaire.

"Les Proies du volcan" est un album moyen, empli d'une certaine naïveté, mais qui n'est pas déplaisant à lire. L'intrigue sur lequel il est construit manque néanmoins de tragédie, d'ampleur et d'un enjeu de taille par rapport aux sommets de cette série.

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. La galère pour Alix et Enak = tout un programme annonciateur d'ennuis corsés. :)

    Ton commentaire souffle le chaud et le froid, entre une intrigue différente provoquant un comportement inhabituel chez Alix (l'abattement et l'introspection négative), et une difficulté à s'impliquer émotionnellement, malgré la présence de cases émouvantes. Je note la diminution du nombre de cases par page pour arriver à 9, soit une densité plus habituelle en BD et en comics, ce qui laisse sûrement la possibilité à Jacques Martin de réaliser des dessins plus grands, plus spectaculaires.

    J'aime beaucoup la stratégie consistant à rendre son travail en retard car elle permet d'éviter des atermoiements et des tergiversations de la part de ses responsables, en les mettant devant le fait accompli. Il m'arrive de l'utiliser, mais avec modération parce que cela provoque un rapport de force de type quitte ou double, ça passe ou ça casse.

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    1. J'ai essayé, objectivement, de trouver des points positifs à cet album. Le seul moment vraiment émouvant est l'adieu d'Alix à Malua. En dehors de cela...
      Pendant les premières pages, je me suis même demandé si Martin ne procédait pas ici à une satire, un exercice d'auto-dérision.

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