vendredi 7 décembre 2018

Alix (tome 13) : "Le Spectre de Carthage" (Casterman ; janvier 1977)

"Le Spectre de Carthage" est le treizième tome de la série créée par Jacques Martin (1921-2010) en 1948. L'histoire est publiée dans l'édition belge du "Journal de Tintin", du numéro 41 d'octobre 1976 au 3 de janvier 1977. En 1977, Casterman l'édite en un album cartonné (au total, quarante-six planches).
Martin est également célèbre pour d'autres titres, tels que "Lefranc", ou "Jhen". En 1991, il est, hélas, diagnostiqué d'une dégénérescence maculaire qui le rend quasiment aveugle et l'éloigne des tables de dessin dès l'année suivante. Il délègue alors le dessin à d'autres artistes et se fait assister à l'écriture.

À l'issue du tome précédent, Alix escorte Spartaculus jusqu'à la frontière. Des montagnards le ramèneront en Thrace, où il sera libre. Maia meurt empoisonnée sans avoir révélé la vérité.
Alix et Enak séjournent à Carthage. C'est le soir. Sur une terrasse, ils prennent la pose, presque nus, tandis qu'un sculpteur s'affaire sur la statue des deux amis, qui est loin d'être terminée. Le Gaulois demande combien de temps encore ils devront rester ainsi ; l'artiste sait qu'ils sont fatigués. Il va donc s'arrêter ; de toute façon, la nuit arrive, et l'heure du repas aussi. Nos jeunes héros remettent leurs vêtements. Scoras, leur hôte, a fait dresser une table et préparer des plats froids. Il invite Alix et Enak à s'installer confortablement, car l'air frais va monter de la mer. Alix remercie le sculpteur pour tous ces égards, mais celui-ci lui retourne la politesse, en ajoutant même que c'est lui qui devrait leur exprimer de la gratitude. En effet, les édiles de la cité lui ont offert une somme importante pour cette commande. Alix se souvient des événements qui sont à l'origine de sa popularité dans la ville. Bah, ils avaient fait si peu ; ils ne méritent guère cet honneur. Tandis qu'il demande à Scoras qui a eu l'idée de ce monument, l'autre hésite, puis affirme qu'il a oublié. Leur attention est alors attirée par l'apparition d'une étrange et lointaine lueur, suivie d'un cri...

Alix est de retour à Carthage. Pour saisir toutes les références de cette histoire, il est recommandé de relire "L'Île maudite" (1957), "La Griffe noire" (1959), et "Le Tombeau étrusque" (1968). Parler d'une "tétralogie carthaginoise" étalée au fil des tomes a du sens. L'auteur, pour pouvoir continuer à créer, regarde donc derrière lui et pioche des éléments dans plusieurs aventures (elles couvrent plus de dix ans de publications) afin d'alimenter une nouvelle intrigue. "Le Spectre de Carthage" reprend les ingrédients qui ont fait le succès du titre : une cité vaincue, victime d'un quasi-génocide culturel (Rome est ainsi à nouveau présentée comme une fossoyeuse de civilisations), et les adversaires, des nostalgiques de ces temps perdus qui fomentent un complot contre Rome ou ses représentants dans l'espoir de renouer avec une grandeur passée et de retourner au pouvoir. Martin, comme dans la plupart des albums de la série, revient sur une page de l'histoire de l'antiquité, celle de la Troisième Guerre punique (149 à 146 av. J.-C.) et de la destruction de Carthage par Scipion Émilien (185-129 av. J.-C.). Quant à Alix - c'était déjà le cas du tome précédent, il est de moins en moins au cœur de l'action. Désormais, le Gaulois enquête en solo et ne dirige plus les opérations militaires ; là, c'est au charismatique, mais autoritaire Corus Maler qu'échoit cette responsabilité. Le personnage de Samthô et son destin rappellent d'autres figures féminines d'intrigues passées, notamment celle de Saïs dans "Le Prince du Nil". Ici, cette séquence se déroule de façon trop compressée pour être vraisemblable et susciter de l'émotion. Celui d'Hannon est une tentative d'humour qui tombe à plat. Enfin, le scénariste évoque l'orichalque ; difficile de savoir s'il s'est inspiré ou souvenu de "L'Énigme de l'Atlantide", réalisé vingt ans (1957) plus tôt par Edgar P. Jacobs (1904-1987). Graphiquement, Martin (il a alors plus de cinquante-cinq ans) est au sommet de son art, qui a atteint sa pleine maturité. Le trait n'évolue plus. Le travail, rigoureux, expose un découpage maîtrisé, limpide, qui compte entre huit et dix cases par planche, toutes de dimensions différentes, et qui offrent une belle variété de plans. Si les détails des ruelles, les vues de la ville ou les bateaux sont remarquables, le lecteur sera bouche bée devant cette éblouissante représentation du palais du gouverneur.

"Le Spectre de Carthage" recycle beaucoup, jusqu'ici un fait unique dans "Alix". Un besoin de pallier un manque d'inspiration ? Une volonté d'exploiter une continuité sur le tard ? L'album n'est pas mauvais, mais est assez loin des sommets de la série.

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. Tu es à nouveau dans la moyenne des commentaires que je suis allé consulter sur Babelio : beaucoup de recyclage dans la structure du scénario et les rebondissements, des dessins extraordinaires. D'un autre côté, tu indiques que Jacques Martin écarte Alix de l'action, ce qui semble aussi vouloir dire qu'il essaye d'autres choses.

    Je suppose que tu poursuivras ta lecture jusqu'au tome 19, le dernier réalisé entièrement par J. Martin ?

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    1. C'est vrai, oui ; on dirait qu'il métamorphose Alix en témoin plutôt qu'en acteur des événements. Pour moi, ça ne marche pas. Mais soit.
      Oui ; je m'arrêterai en effet au 19. Même si j'ai récemment lu un commentaire qui affirmait que c'est à partir du treizième tome (celui-ci) que la série commençait à décliner.

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