mardi 4 juin 2019

"Luke Cage" : L'Intégrale 1972-1973 (Panini Comics ; novembre 2018)

Le premier volume de l'intégrale consacrée à Luke Cage (il n'est pas encore Power Man) par Panini Comics est sorti en novembre 2018. Ce recueil cartonné avec jaquette amovible de trois cents planches (sans compter les bonus) compile les seize premiers numéros de la série VO "Hero for Hire", du #1 de juin 1972 au #16 de décembre 1973. "Hero for Hire" est d'abord un bimestriel jusqu'en décembre 1972 puis devient un mensuel en janvier 1973.
"Hero for Hire" est lancé en juin 1972 par Archie Goodwin (1937-1998), George Tuska (1916-2009), et Billy Graham (1935-1997). Roy Thomas et John Romita Sr (surtout lui) collaborèrent à la création du personnage de Luke Cage. Tuska est l'artiste principal. Graham dessine les nº4, 6, 13 à 16, et participe aussi à la conception des scénarios. Graham partira travailler sur "Black Panther" dans le courant de l'année 1974. Goodwin écrit les quatre premiers épisodes. Steve Englehart lui succède au nº5. Gerry Conway l'assiste sur le nº6, et Tony Isabella est l'auteur des deux derniers.

Prison de haute sécurité de Seagate, la "Petite Alcatraz", il y a un an. Deux gardiens ouvrent la porte d'un cachot. Le premier reproche à son collègue Quirt d'y avoir enfermé le détenu trois jours de plus que la peine prévue. Il estime qu'aucun être humain ne devrait être isolé au trou si longtemps. Quirt rejette l'argument ; si ce taulard était vraiment humain, il aurait craqué depuis un moment. Matraque en main, il ordonne au prisonnier, Lucas, de sortir avant qu'il ne change d'avis et qu'il claque la porte. Un Afro-Américain massif et musclé émerge de l'obscurité à tâtons. Il déclare qu'avoir été aveuglé à force de rester dans le noir lui évite de voir le visage du maton. Quirt l'insulte et le menace : il ne donne pas cinq minutes à un frimeur comme lui. Et lorsque Lucas reviendra, il l'attendra pour le briser. Le type se maîtrise, mais adresse au gardien un regard qui en dit long. Dans la cour, il rejoint deux autres condamnés afro-américains, Shades et Comanche. Shades voulait organiser une manifestation pour mettre la pression sur leur nouveau directeur et hâter la sortie de Lucas...

Luke Cage fut le premier super-héros afro-américain à avoir son titre. La série ne répond pas entièrement aux poncifs du genre, malgré l'expérience scientifique qui termine mal dont ressort un être avec une force incroyable et doté d'une quasi-invulnérabilité, mais le colosse ne se masquera pour défendre la veuve et l'orphelin. Le génie des créateurs, c'est d'en faire un mercenaire urbain, 50% détective privé, 50% super-héros, et 100% redresseur de torts. Car notre malabar monnaye ses services. Pour lui, être justicier est autant un métier (sinon plus) qu'un devoir moral, bien que sa probité soit incontestable. En cherchant pignon sur rue en ville, il aspire à la respectabilité pour tourner la page de la taule. Autre positionnement réussi : les auteurs n'en font pas l'étendard des droits civiques (cela aura été commercialement hasardeux) au risque de le rendre convenu et ennuyeux. Les X-Men 2.0 le feront mieux que quiconque et avec plus de crédibilité que n'importe qui. Cage se place donc en dehors de ce débat, évoluant dans un milieu qui n'a pas de couleur, celui de ceux dont les tous lendemains ne chantent pas. C'est avant tout un héros "populaire" au premier sens du terme. Le gaillard sait réfléchir, mais est impulsif, têtu, prompt à la colère, et n'a pas sa langue dans sa poche. Fort en gueule, fier, il ne craint rien, et - lui qui a été condamné à tort - exige des autres qu'ils soient aussi honnêtes que lui ; l'histoire avec le Dr Fatalis, malgré son intrigue poussive, est révélatrice de cette mentalité. Cage est un dur à cuire à qui personne ne dicte sa conduite ; et c'est ça qui fait mouche dans cette première salve d'épisodes pleins de punch à la qualité parfois inattendue. La partie graphique, avec son expressionnisme qui génère une atmosphère sombre et urbaine, est l'autre élément-clé de cette réussite, bien que le trait de Tuska soit plus abouti que celui de Graham. Les deux artistes mettent la plastique et le physique avantageux de Cage régulièrement en valeur, et la gent féminine n'est pas insensible au charme de ce colosse noir fruste et rugueux.
La traduction et le texte de Nick Meylaender sont exemplaires ; c'est rare, dans le microcosme français des comics. L'éditeur ne change pas sa maquette et groupe les couvertures originales en fin du recueil, plutôt que de les insérer entre les épisodes.

Dans ces premiers épisodes souvent jouissifs, Cage veut oublier la case taule. Indomptable, il est prêt à cogner sur tout ce qui bouge, du petit criminel au super-vilain (quelle que soit sa catégorie), dans des aventures courtes où l'action est à l'honneur.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. Ton commentaire change du point de vue généralement exprimé sur la série. D'habitude, il est plutôt question de la manière dont les responsables éditoriaux Marvel ont souhaité mettre à profit l'engouement de la Blaxpolitation, et les retombées du film Shaft. J'aime beaucoup comment tu mets en lumière les originalités de cette série par rapport aux conventions de superhéros : faire un métier d'être superhéros, faire monnayer ses services, un héros populaire, impulsif et têtu, et même prompt à la colère. C'est vrai qu'il ne se fait pas le champion des droits civiques, mais il me semble me souvenir qu'il évolue majoritairement dans un milieu d'afro-américains (il est aussi possible que mes souvenirs soient imprécis ?).

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    1. J'ai souhaité m'éloigner de ces remarques sur "Shaft" et la Blaxploitation, car elles me semblaient évidentes, d'autant que l'éditeur évoque déjà ces deux points dans sa préface.
      Tes souvenirs ne sont pas imprécis, non. Cage évolue dans un milieu majoritairement afro-américain, mais son ami DW est Blanc, ses alliés sont Blancs ou Afro-Américains, ses clients sont Blancs ou Noirs, et ses ennemis sont Blancs, Afro-Américains ou Hispaniques. C'est donc une partie de la diversité new yorkaise qui est représentée, en quelque sorte. Il ne manque que les Asiatiques ; c'est peut-être ça le point surprenant, en fin de compte.

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