mercredi 29 mai 2019

Blueberry (tome 20) : "La Tribu fantôme" (Dargaud ; mars 1982)

"La Tribu fantôme" est le vingtième tome de "Blueberry". Cet album à couverture cartonnée de quarante-six planches est sorti chez Dargaud en mars 1982. C'est le troisième et dernier volet de ce que la maison d'édition va appeler le "Cycle de Blueberry fugitif", triptyque qui fut produit entre 1980 et 1982.
"Blueberry" (anciennement "Lieutenant Blueberry") est une série franco-belge créée par le scénariste Jean-Michel Charlier (1924-1989) et par Gir, le dessinateur Jean Giraud (1938-2012).

À l'issue du tome précédent, tandis que la cavalerie US les cherche plein sud, vers la frontière mexicaine, Blueberry et les Najavos foncent vers le nord-est, vers la réserve de San Carlos.
Le camp de San Carlos est situé aux confins de l'Arizona et du Nouveau-Mexique. C'est un désert immense et sauvage qui est entouré par les sierras. Pour les Indiens, c'est un mouroir : Cochise, les squaws les papooses et les vieillards navajos, sous l’étroite surveillance d'un escadron du 2e de cavalerie, y souffrent terriblement de la faim et du froid. Ce matin-là, tandis qu'un messager galope à bride abattue vers le fort, le commandant de la place reçoit justement le chef indien, qui vient l'informer qu'une femme et son nourrisson sont décédés pas plus tard que la nuit dernière. Les siens manquent de couvertures, et n'ont pour seul repas que quelques poignées de maïs et de haricots. Buvant son café, fumant son cigare, assis derrière on bureau, l'officier, plein de morgue, fait mine d'être indigné ; ses hommes à lui souffrent aussi, à cause des Indiens. L'intendance ne peut plus les ravitailler, car toute l'armée est sur le pied de guerre, aux trousses des guerriers navajos. Que Cochise leur ordonne de se rendre, et tout ira mieux. Ou que les Apaches fassent comme les visages pâles : qu'ils chassent. L'un des représentants de clan venus accompagner Cochise réplique que l'hiver est mauvais, que le gibier est rare et qu'ils n'ont pas de fusils comme les tuniques bleues...

"La Tribu fantôme", c'est l'histoire d'une traque complètement ratée. Les officiers de la cavalerie US planifient de capturer les guerriers indiens qu'ils n'ont pas réussi à enfermer dans la réserve, afin de juguler cette menace de façon définitive. Les Apaches, eux, ont décidé d'accorder toute leur confiance à Blueberry et ont accepté de renoncer à l'affrontement armé et direct avec les "visages pâles" ; ils souhaitent passer la frontière mexicaine pour jouir d'une existence plus sereine, loin des risques d'extermination ou d'internement. Le chat veut ainsi jouer avec une souris qui s'avère introuvable. Blueberry est à la manœuvre, et se révèle un véritable ténor de la tactique, de la désinformation et de la manipulation. Face à lui, une brochette d'officiers et de généraux qui seront tournés en ridicule. Charlier conçoit un scénario linéaire qui mène l'exode indien d'un point à un autre, tout en se rapprochant de ce qui deviendra leur nouvelle terre d'accueil. Ce mode narratif pourra susciter une certaine lassitude, d'autant que les scènes d'action sont peu nombreuses et brèves, à l'exception de la pétarade finale, et que Blueberry commet un sans-faute, donnant l'impression qu'il lit dans l'esprit de ces balourds de tuniques bleues, dont il se joue avec une facilité presque écœurante (une constante depuis le premier volet de ce cycle qui atteint ici son paroxysme). L'émotion est absente de cette conclusion ; Charlier ne fait qu'évoquer la misère des Apaches au début, sans qu'elle soit représentée - peut-être par pudeur, et la mort de Cochise (elle est romancée, le sachem ayant succombé à la maladie dans une réserve) est réduite au rang d'anecdote. Autre regret : le sort réservé à O'Bannion. Mais l'auteur connaît bien son métier, et le dernier tome de ce cycle, malgré ses défauts, se lit sans réel déplaisir - juste avec un petit goût de déception. Giraud propose une partie graphique très satisfaisante. Certains portraits sont saisissants, tels que celui de Cochise, qui exprime toute la volonté farouche du chef. Son découpage cède moins à l'envie de sophistication, il est mieux maîtrisé et les phylactères de Charlier s'intègrent plus facilement dans l'ensemble. Les quatre planches finales sont absolument admirables, et offrent une alternance entre plans moyens et éloignés. Enfin, la mise en couleurs reste fade, terne, mais l'éditeur a depuis proposé des albums remastérisés.

"La Tribu fantôme" pourra laisser le lecteur sceptique. L'album clôt un cycle dans lequel un Blueberry omniscient prend une dimension messianique chez les Apaches, tout en réussissant à empêcher le sang des ex-camarades tuniques bleues de couler.

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbuz

4 commentaires:

  1. Je ne m'attendais pas à une fin en demi teinte à la saveur de déception. Quand je me plonge dans des albums patrimoniaux à la réputation légendaire, je ne sais jamais sur quel pied danser. Tel monument de la bande dessinée va-t-il s'avérer illisible avec le passage du temps ? Le lecteur d'aujourd'hui que je suis saura-t-il percevoir en quoi cet album était révolutionnaire à l'époque ? Les innovations d'alors ont-elles été tellement utilisées par la suite qu'elles sont devenues de clichés insipides ? En lisant tes commentaires de chaque tome, j'en viens à me demander pour quelle raison cette série est passée à la postérité, à part pour la renommée de Jean Giraud sous son pseudonyme de Moebius.

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    1. Cet album-là est une déception pour moi, c'est vrai. J'avais lu que les meilleurs étaient derrière. Mais cette série compte des moments fabuleux. On met souvent en avant l'art de Giraud, mais je me demande si l'on n'oublie pas le talent de conteur de Charlier. Les deux ensemble, c'était l'alchimie. Et puis, c'est peut-être la seule BD de western qui place la question indienne en son centre. Pour moi, "Blueberry", c'est surtout cela.

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  2. Je n'aurais jamais pensé au thème de la question indienne comme caractéristique majeure de la série, mais c'est lié à mon inculture en matière de BD western franco-belges. Je n'ai jamais lu de séries comme Jerry Spring, Buddy Longway ou Jonathan Cartland.

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    1. Je lirai quelques volumes de "Jerry Spring" et je parle de "Cartland" dans ces pages. Mais aucune série de western ne met cette question au cœur de ces intrigues comme le fait "Blueberry".

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