jeudi 6 juin 2019

I.R.$. (tome 1) : "La Voie fiscale" (Le Lombard ; avril 1999)

"La Voie fiscale" est le premier tome de la série "I.R.$.", en cours à ce jour. Cet album cartonné de quarante-six planches est sorti en avril 1999 dans la collection "Troisième Vague" de Le Lombard, qui réunit des thrillers contemporains, des intrigues nourries à l'action et au suspense. Il s'agit d'un scénario à suite.
"I.R.$." est une série créée et réalisée par les Bruxellois Stephen Desberg (scénario) et Bernard Vrancken (dessin). La mise en couleur est signée Coquelicot. Desberg est un auteur à succès, connu pour "Le Scorpion", "Black Op", "Empire USA", etc. Vrancken et lui ont déjà travaillé ensemble (cf. "Le Sang noir").

Une chambre moderne, équipée de meubles de créateurs. Sur l'armoire de la chaîne HI-FI, un enregistrement CD de "La colomba ferita", opéra de Francesco Provenzale, sorti sur le label Opus 111. Le lit est fait. Au-dessus, sur le mur, une toile abstraite. Sur un autre pan, un masque tribal africain. Sur le matelas, quelques magazines ; l'un d'eux est ouvert sur une page publicitaire pour une ligne de téléphone rose. Un homme d'une trentaine d'années, physiquement entretenu, bronzé, les cheveux blancs, s'essuie en émergeant de la douche, et compose le numéro indiqué. Une voix lui confirme qu'il vient de joindre Gloria Paradise et l'informe qu'il doit encoder son numéro de carte de crédit pour poursuivre la discussion. L'inconnu s'exécute, tout en ouvrant sa penderie sur une série de costumes, de chemises, et de chaussures de ville de marques. Son interlocutrice lui demande s'il est prêt pour le grand jeu et s'enquiert de ce qui lui ferait plaisir. Il lui répond qu'elle a une voix délicieuse et qu'il aimerait simplement parler un peu. Elle le prévient : la conversation risque de lui coûter cher ! Se sent-il si seul ? Évasif, il rétorque que payer lui évite d'avoir des comptes à rendre à qui que ce soit. Gloria, de plus en plus intime, l'appelle "chéri" et cherche à savoir s'il craint les attaches ou les sentiments forts. Il répond qu'il se prénomme Larry et qu'elle raccrocherait assurément s'il lui dévoilait son métier...

Un ex-banquier suisse émigré aux États-Unis est assassiné. Son profil attire l'attention de l'IRS, l'Internal Revenue Service, l'agence fédérale qui collecte l'impôt sur le revenu. Aux commandes de l'enquête, Larry B. Max. Nom évocateur ! Max est un investigateur au sang froid et à l'humour pince-sans-rire qui semble être un grand solitaire. Le jeune homme cultive son apparence physique plutôt que les amitiés. Il aime les jolies choses, les produits de luxe, l'art en véritable connaisseur, et apprécie la gent féminine. Cet agent est aussi doué au pistolet qu'à l'examen de déclarations d'impôts, sans oublier le golf. Desberg présente un profil analytique, discret, pas réellement introverti, sûr de lui, archétype du personnage masculin élégant, magnétique, mystérieux, séduisant, mais interchangeable avec beaucoup d'autres héros de fiction tels que James Bond ou XIII, au fond. Son caractère secret et le peu d'informations révélées (rien n'est dit sur son passé ou l'origine de sa fortune apparente) ne suscitent pas l'empathie spontanée du lecteur, qui n'aura pas le loisir de se rabattre sur des rôles secondaires, car il n'y en a pas. L'histoire est classique : un assassinat qui dissimule un complot d'ampleur. Mais Desberg a une approche cinématographique de la narration et une faculté à doser action, rythme et suspense qui fonctionnent à merveille. À l'issue de ce tome, il est difficile de ne pas ressentir une vive envie de connaître la suite. Enfin, le scénariste émaille son récit de références culturelles, telles que Alberto Giacometti (1901-1966) et son "Nez" (1949), Keith Haring (1958-1990) et son "Crucifix inversé" (1984), ou Francesco Provenzale (1624-1704) et son opéra "La clomba ferita" (1670), ainsi qu'au monde du luxe (Dior, Rolex, Porsche, etc.), car cet univers est celui de l'argent. Vrancken produit un trait réaliste, fin, à la ligne claire. Les couleurs choisies par Coquelicot sont riches, organiques et variées. Si le style de Vrancken ne retranscrit guère le mouvement ou l'expressivité, le sens du détail du dessinateur subjugue : reproduction d'une pochette de CD à l'identique (en tout petit), inscriptions des marques à l'intérieur des chaussures (idem), représentations aussi fidèles que possible des œuvres d'art utilisées ici.  Il opte pour un découpage standard et reste en dessous des dix cases par planche. Ses vues plongeantes sur New York la nuit sont merveilleuses.

Ce premier album est écrit par un scénariste qui a le métier et l'inspiration nécessaires pour créer un nouveau concept à partir de classiques. Ce n'est pas parfait, mais le lecteur amateur sent qu'il tient un titre aux ingrédients solides avec du potentiel.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

6 commentaires:

  1. Celui-là, je me souviens l'avoir lu. Ton résumé m'a bien remis en tête cette séquence d'ouverture qui sort de l'ordinaire. Je m'étais tout de suite désintéressé de ce personnage masculin élégant, magnétique, mystérieux, séduisant, et interchangeable, comme tu le décris si bien. Par contre, je n'avais pas été assez attentif aux dessins pour relever la marque à l'intérieur des chaussures. J'ai dû bien vite interrompre la lecture de cette série que j'empruntais à la bibliothèque municipale. J'ai dû lire une demi-douzaine de tomes du Scorpion et un ou deux de Black Op, du même scénariste.

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    1. Pour tout te dire, Izneo me le proposait en téléchargement gratuit. Je ne connaissais pas la série ; j'en aurai au mois lu le premier tome. Je n'ai pas l'intention d'aller plus loin pour le moment. Ça me rappellerait sans doute un peu trop "XIII" ou "Largo Winch".

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  2. Avec Izneo, tu lis sur tablette ? Comment ça se passe ? Tu lis la page à taille réduite, ou tu fais du case par case ?

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    1. Je lis sur tablette, oui. On peut lire aussi sur PC ou sur téléphone, mais je ne fais ni l'un ni l'autre (le premier parce que je n'aime pas l'aspect statique, le second parce que c'est trop petit et qu'il faut quasiment lire case par case).
      Je lis donc à page réduite ; pour les comics ou certaines séries franco-belges, c'est parfait. Mais pour "Blueberry", par exemple, ça ne convient pas car les paysages sont souvent détaillés. Et là, la frustration est réelle. Mais c'est le seul exemple que j'aie en tête.
      Je fais rarement du case par case. Avec cet album-ci, la fonction zoom m'a permis de lire le logo "Dior" à l'intérieur des chaussures ou la pochette du disque d'opéra.

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    2. Merci pour ces précisions techniques. La taille de l'écran reste pour moi rédhibitoire, à la fois pour apprécier les dessins, à la fois du fait d'un ressenti de tassage allant à l'encontre de l'envie d'évasion que je cherche dans la lecture.

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    3. Il m'a fallu un moment pour m'y faire. Mais là, a priori je ne reviendrai pas en arrière.

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