samedi 22 juin 2019

Soleil froid (tome 1) : "H5N4" (Delcourt ; mai 2016)

"Soleil froid" est une série en trois tomes, publiée dans la collection Neopolis de Delcourt, décrite comme une "fusion" entre science et fiction où "une nouvelle génération de pionniers" explore les "voies de futurs à haut risque". "H5N4", le premier album, date de mai 2016 ; il compte cinquante-trois planches.
L'intrigue est signée Jean-Pierre Pécau. Ce scénariste et auteur prolifique français est connu notamment pour ses séries de bandes dessinées, "1940 : Et si la France avait continué la guerre", "Nevada", "Luftballons", "M.O.R.I.A.R.T.Y.", "Nash", "Le Testament du Docteur M", ou encore "USA über alles". Illustrations, encrage et mise en couleur sont réalisés par Damien Jacob, dit Damien ("Jour J" et "Les Fées noires", entre autres).

2030, vallée de Chamonix, à la frontière suisse. Un baroudeur, équipé de vêtements pratiques, d'un sac à dos, armé, et accompagné d'une mule robotique, parcourt les derniers mètres d'une route asphaltée défoncée et recouverte de mauvaises herbes. Il contemple le spectacle majestueux et paisible d'une vallée inondée ; d'après certaines rumeurs, le Sanctuaire a fait sauter les barrages. Pour en rejoindre les membres, l'homme sait qu'il devra passer par la montagne, dont les chemins, après toutes ces années, n'ont certainement pas été entretenus. Cela ne sera pas facile. Dans son dos, un corbeau se pose sur un panneau indicateur ; l'inconnu pousse un juron, dégaine son fusil à pompe et abat l'oiseau, dont il ne reste plus que des plumes et du sang. Furieux, il se retourne vers Marguerite, sa mule robotique ; n'est-elle pas censée détecter tout objet volant non identifié ? Celle-ci lui répond que les cibles étaient statiques. Renfrogné, son propriétaire réplique que c'est probablement pour cela que l'on parle "d'intelligence artificielle". Il dégoupille une grenade incendiaire et la lâche sur la carcasse du volatile, puis reprend sa route. Il encourage Marguerite à l'effort alors qu'ils entament un chemin difficile ; il est préférable d'atteindre le refuge avant le coucher du soleil...

"H5N4" fait référence au virus H5N1, la grippe aviaire qui affecte les oiseaux, et évoque, en remplaçant le type 1 de l'antigène par un "4", une souche plus dangereuse. "Soleil froid", c'est une histoire d'anticipation dans une France et une Europe dévastées par le microbe que véhiculent les volatiles. Dès lors, le public peut s'attendre à une aventure dans un monde post-apocalyptique à la "Walking Dead" (sans morts-vivants), avec un relent des "Oiseaux" ("The Birds", 1963 ) d'Alfred Hitchcock (1899-1980). Le résultat est prenant ; Pécaud propose un univers original et maîtrise suffisamment les clés de la narration pour insuffler suspense et tension lors d'instants choisis. Il évite la linéarité en intercalant des analepses à des moments charnières. En mettant en scène un hôpital incendié, ou l'exécution de blessés, il évoque les dilemmes auxquels sont confrontés les survivants. Il ne détaille pas le contexte sociopolitique, encourageant le lecteur à formuler ses propres hypothèses. Des bribes d'informations connotent un désastre biologique qui a évolué le long de la chaîne alimentaire (oiseaux, chats), obligeant les scientifiques à générer des hybrides entre animaux (loups) et machines, les chimères, elles-mêmes devenues un danger. Les rescapés, sursautant dès qu'un volatile approche, sont répartis en plusieurs factions : réfugiés, armée verte, militaires, clans mafieux et les autres, laissant entrevoir une réorganisation collective où la méfiance totale est la seule garantie de s'en sortir. Le personnage que le scénariste a créé pour traverser cet univers de désolation s'appelle Jan. Cet ex-fusilier marin ayant craqué sous le danger apparaît comme un antihéros entre deux âges, fatigué, renfrogné, hanté par sa faute et par les scènes auxquelles il a assisté. Prudent, expérimenté, il s'impose une véritable hygiène de survie et sait se défendre, notamment grâce à son arsenal technologique. C'est l'archétype du vagabond sans attaches, voyageant avec un animal de compagnie symbolisé par sa mule robotique, Marguerite. Le trait de Damien évolue dans un registre qui pourra être qualité de réaliste, avec un travail sur le visage et le regard qui est remarquable. Son découpage est classique, bien qu'il utilise l'insert à plusieurs reprises. Ses planches comptent jusqu'à dix vignettes dans des formats variés, à l'horizontale comme à la verticale. Enfin, sa mise en couleur est une réussite réelle.

"H5N4" est le premier tome d'une mini-série qui s'annonce prometteuse. "Soleil froid" présente un univers original qui fourmille d'idées remarquables de la part de Pécau, le scénariste. Les dessins de Damien conviennent parfaitement à cet univers.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. Voilà une bande dessinée à laquelle je n'aurais même pas jeté un coup d’œil si tu n'y avais pas consacré cet article. Étonnante coïncidence, pendant cette semaine, je me suis également surpris à faire une comparaison avec l'état du monde décrit dans The Walking Dead, visiblement cette série s'est imposée comme une référence incontournable. Si cet ouvrage est encore disponible à la FNAC, je jetterai un coup d’œil aux dessins, car ce que tu en dis m'intrigue.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Puisque cette série ne fait que trois tomes (c'est l'un des reproches qu'on lui fait, d'ailleurs), je me suis décidé à la lire en entier.

      Supprimer