vendredi 28 juin 2019

Soleil froid (tome 2) : "L. N." (Delcourt ; septembre 2017)

"Soleil froid" est une série en trois tomes, publiée dans la collection Neopolis de Delcourt, décrite comme une "fusion" entre science et fiction où "une nouvelle génération de pionniers" explore les "voies de futurs à haut risque". "L. N.", le second numéro, cinquante-quatre planches, date de septembre 2017.
L'intrigue est signée Jean-Pierre Pécau. Ce scénariste et auteur français prolifique est connu notamment pour ses séries de bandes dessinées, "1940 : Et si la France avait continué la guerre", "Nevada", "Luftballons", "M.O.R.I.A.R.T.Y.", "Nash", "Le Testament du Docteur M", ou encore "USA über alles". Illustrations, encrage et mise en couleur sont réalisés par Damien Jacob, dit Damien ("Jour J" et "Les Fées noires", entre autres).

À l'issue du tome précédent, Jan refuse la proposition de Stirner de se rendre à Google X. Il quitte le refuge, puis il échappe à une embuscade de nomades en s'engouffrant dans le tunnel.
Les bandits de la route ayant décidé de ne pas le poursuivre, Jan finit par arriver à Lyon. Une partie importante de la ville est recouverte de végétation. Dix ans après la Grande Peste, la nature reprend ses droits sans attendre. Jan, toujours suivi par Marguerite, remonte le long des boulevards principaux. Il se rafraîchit avec l'eau des flaques. Il entre dans une boutique à la vitre brisée. L'espace d'un instant, il en contemple l'intérieur, qui est en décrépitude totale et qui n'a que des rats pour visiteurs. Il ramasse quelques livres et les range dans sa besace. Il pense alors entendre un bruit et met immédiatement son fusil en joue. Il demande à sa mule robotique si elle n'a pas perçu un bruit ; elle répond que ce n'est que le vent. Comme il insiste, elle confirme qu'elle n'a détecté aucune présence animale. Prudent, l'arme à la main, il se souvient des débuts de la Grande Peste, ce virus transmis par les oiseaux, et la tentative des humains d'annihiler les espèces volantes ; un échec, les corbeaux ayant survécu. Ils repartent vers la sortie de la ville...

Pécau propose une suite riche en révélations, avec une action plus dense et un rythme plus soutenu, tout en laissant toute leur place à des moments plus inquiétants au suspense marqué. L'intrigue avance ; il est ainsi dévoilé que l'origine du virus ne serait pas naturelle. En revanche, l'oiseau ne serait pas le meilleur vecteur pour répandre une pandémie. Pécau oblige le lecteur à spéculer sur ces informations qui amènent autant de questions. Et enfin, qui sont ces soldats des forces spéciales, disposant d'un arsenal particulièrement puissant ? Le scénariste décrit aussi le quotidien de Jan, celui des hommes, qui reflète une civilisation à la dérive et promise à une décadence rapide assurée. Il traverse une mégapole de la taille de Lyon à pied, laissant sous-entendre que le temps n'a plus qu'une importance très relative. L'approvisionnement en alimentation reste difficile, et la gastronomie n'est plus qu'un lointain souvenir ; Jan se nourrit de serpents, et des pêches au sirop en boîte deviennent un mets succulent et recherché. Les livres servent à faire du feu ; la culture a donc régressé en un concept complètement dénué de sens. Les plus jeunes générations d'adultes ne savent d'ailleurs pas écrire, comme en témoigne "L. N." (Hélène). Les survivants sont prêts à troquer et sont à la recherche de la bonne affaire, mais l'esprit d'entraide et de fraternité semble s'être fortement étiolé à cause de la méfiance due au virus. L'exemple flagrant de ce pragmatisme poussé à l'extrême est la scène de l'hôpital ; Jan n'hésite pas à faire parler la poudre pour éviter tout risque d'être infecté. L'humour reste présent, et les échanges parfois vifs entre notre homme et sa mule robotique apporte leur petite touche de légèreté au scénario. Damien produit des illustrations pleines de talent, toujours dans un style réaliste avec une pointe de personnalité satisfaisante. L'artiste ne dépasse pas la densité d'une dizaine de cases par planche, et affiche la maîtrise d'un découpage varié, où il emploie souvent la technique d'incrustation. Certaines scènes de paysages sont magnifiques (la vue sur Lyon, les dirigeables au crépuscule, l'abri rocheux où Jan et Aline établissent leur campement, ou le lever de soleil du lendemain...), embellies par un encrage exemplaire et une utilisation remarquable de la couleur. D'aucuns penseront que la physionomie de Klimt et celle de Jan sont ressemblantes.

"L. N." confirme les promesses du premier tome. Le lecteur, en plus des dessins soignés, appréciera le dosage réussi d'action et de passages à l'atmosphère étouffante, et l'intrigue, construite à partir d'un complot qui reste décidément bien mystérieux.

Mon verdict : ★★★★☆


Barbuz

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3 commentaires:

  1. La gastronomie n'est plus qu'un lointain souvenir. - J'aime bien quand les auteurs de monde post-apocalyptique sont capables de faire ainsi apparaître les plaisirs de la vie quotidienne actuelle auxquels on ne prête plus forcément attention et qui constituent la preuve d'un confort matériel.

    Certaines scènes de paysages sont magnifiques. - Je vois que toi aussi tu prends goût au tourisme. :)

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    1. C'est surtout en écrivant mon troisième commentaire (le suivant) que j'ai pensé aux articles dans lesquels tu en parles. J'espère que tu te retrouveras dans le paragraphe en question :-) ...
      Il y a là l'aspect randonnée, mais il y a aussi cette scène (dans le troisième volet, donc) où LN ajoute une petite pierre à un cairn, à côté d'une croix occitane (enfin, je pense que c'en est une). Et soudain, il y a eu une espèce d'effet de déjà-vu... Je me suis dit qu'on était en plein "tourisme", ou que ça faisait remonter certains souvenirs de vacances, et j'ai instantanément fait le lien avec tes articles et nos discussions.

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    2. L'espèce de déjà-vu : c'est ce que j'ai éprouvé lorsque Caroline Baldwin se trouve à Tadoussac et observe le cimetière à peu près du même endroit que j'avais pu le faire lors de mon séjour là-bas. Du coup, ça a ajouté pour moi, un effet reportage pour tous les endroits représentés dans le tome 7... et pour le reste de la série. Cet effet se trouve encore accentué par les l'inclusion de photographies prises par l'auteur André Taymans lors de ses voyages, et incluses dans l'introduction de chacun des recueils de la réédition de 2017.

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