dimanche 30 juin 2019

Soleil froid (tome 3) : "L'Armée verte" (Delcourt ; mars 2019)

"Soleil froid" est une série en trois tomes, publiée dans la collection Neopolis de Delcourt, décrite comme une "fusion" entre science et fiction où "une nouvelle génération de pionniers" explore les "voies de futurs à haut risque". "L'Armée verte" date de mars 2019 et clôt le triptyque (cinquante-quatre planches).
L'intrigue est signée Jean-Pierre Pécau. Ce scénariste et auteur français prolifique est connu notamment pour ses séries de bandes dessinées, "1940 : Et si la France avait continué la guerre", "Nevada", "Luftballons", "M.O.R.I.A.R.T.Y.", "Nash", "Le Testament du Docteur M", ou encore "USA über alles". Illustrations, encrage et mise en couleur sont réalisés par Damien Jacob, dit Damien ("Jour J" et "Les Fées noires", entre autres).

À l'issue du tome précédent, Jan, après avoir abattu deux femmes, sent la panique monter. Il quitte l'hôpital avec LN et la fourgonnette ; le viaduc est écroulé, empêchant tout passage.
Tout en avançant avec LN et Marguerite, Jan songe aux étapes de la pandémie. Devant l'inefficacité des vaccins et donc de la science, une partie de la population chercha le salut dans les religions, quelles qu'elles fussent. Processions et sacrifices (humains) n'y changèrent rien. L'homme se tourna alors vers le feu. Ce fut la période des grands incendies. Mais ceux-ci devinrent incontrôlables à l'arrivée de l'été, les corps de pompiers ayant été dissous dans la fin de la civilisation. Des communautés entières disparurent dans les flammes... Le petit groupe traverse un village cévenol en ruines, sans âme qui vive. Marguerite les informe qu'elle vient de localiser une présence biologique : un âne. Après quelques plaisanteries, Jan ordonne à LN de transférer son barda sur l'animal, afin que sa mule robotique soit allégée en cas de mauvaise rencontre. Ils repartent. Le sentier est de plus en plus rocailleux. LN note que Marguerite a un comportement étrange. Jan demande un rapport. La machine détecte des objets inconnus en approche...

"L'Armée verte" est la conclusion de cet original triptyque d'anticipation. Après s'être arrêté devant un viaduc de Millau effondré à l'issue du second tome (un symbole de fin de civilisation et de disparition de savoir-faire), notre petit groupe traverse les Cévennes ; il est probable que l'âne fasse écho au récit de voyage de Robert Louis Stevenson (1850-1894), "Voyage avec un âne dans les Cévennes" ("Travels with a Donkey in the Cévennes", 1879). Pécau dévoile un pan de voile supplémentaire en livrant des informations sur les conséquences de la pandémie ; au bout du compte, c'est la folie des hommes qui est à l'origine de tout. Pendant le périple de ses personnages, le scénariste explique à quel point la chaîne alimentaire a été bouleversée ; l'homme ayant presque disparu et certaines espèces d'oiseaux ayant été décimées, le poisson pullule à nouveau dans les cours d'eau. Les auteurs multipliant les détails et les noms de lieux, le lecteur n'a aucune difficulté à s'immerger de manière naturelle dans cette randonnée particulière à travers des paysages évocateurs. L'humour formé par le trio d'aventuriers, centré sur la mule robotique, fait mouche à chaque trait. Et puis arrive la seconde moitié, qui surprend, car la question de la religion s'y invite de façon brutale et inattendue. Le sujet avait été abordé dans le tome précédent, mais ici, Pécau développe son argumentaire. La civilisation ayant été réduite à néant, il semble avancer que la religion est le fait de personnes savantes (là, des scientifiques loin de tout s'appuyant sur un clergé) entretenant la masse dans l'ignorance afin de pouvoir la guider plus facilement. Le dénouement et les pages finales laisseront le lecteur sur sa faim ; cela paraît précipité, avec des actions et des dialogues sibyllins, et des questions qui restent sans réponse. Pécau, parmi les autres idées qui méritent d'être relevées, laisse encore sous-entendre que l'intelligence artificielle peut développer des émotions de base telles que la peur. Le clin d'œil à Arthur C. Clarke (1917-2008) est appuyé. Damien confirme son talent en réalisant une partie visuelle remarquable. Les paysages sont admirables, et cette voûte céleste ou les satellites en orbite en laisseront pantois plus d'un. Le découpage de l'action est limpide, les plans sont variés. Les villages en ruines sont impressionnants, et évoquent des clichés pris après des bombardements. 

Malgré une première moitié véritablement passionnante, la seconde ainsi que l'épilogue de la série sont développés trop hâtivement. Globalement, "Soleil froid" offre un triptyque original avec un duo peu commun qui est instantanément sympathique.

Mon verdict : ★★★☆☆


Barbuz

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3 commentaires:

  1. Damien confirme son talent en réalisant une partie visuelle remarquable. - J'ai feuilleté le tome 3 à la FNAC et les dessins ne m'ont pas marqué, mais je me suis dit aussi que l'impression n'est pas la même à regarder quelques dessins, ou lire l'histoire.

    Ton commentaire laisse sous-entendre que Jean-Pierre Pécau ait été obligé de terminer plus rapidement que prévu ?

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    1. Personnellement, j'ai beaucoup apprécié cette partie graphique, mais je peux comprendre qu'elle ne soit pas considérée comme marquante par d'autres lecteurs. On est dans une forme de ligne claire assez classique, mais je trouve que l'ensemble a de la personnalité, comme un beau travail d'artisan.

      Pour répondre à ta question concernant Pécau, je dirais que c'est probable. J'ai l'impression que la second partie du troisième tome aurait justifié, à elle seule, trois tomes supplémentaires. Tu as déjà eu l'impression qu'une série dévoilait un élément de l'intrigue dont le traitement ne t'a pas suffi tant tu as eu le sentiment qu'il était compressé, hâté, précipité ? Eh bien c'est ce que j'ai ressenti. Mais il est possible que c'est ce que Pécau, quand même très prolifique, ait voulu afin de ne pas se perdre dans son titre et de passer à un autre travail.

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    2. Vraisemblablement, je dois être un lecteur moins exigeant, en ce sens que j'accepte ce que racontent les auteurs : ce sont eux qui font des choix quant à la place qu'ils ont dévolue à telle ou telle scène, à telle ou telle idée. Je préfère regarder le récit sous l'autre angle : ce qu'il y a dedans.

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