jeudi 4 juillet 2019

"Les Seigneurs de Bagdad" (Urban Comics ; mars 2012)

"Les Seigneurs de Bagdad" est un album cartonné de presque cent quarante planches, paru dans la collection Vertigo Deluxe d'Urban Comics en mars 2012. C'est l'adaptation française de "Pride of Baghdad" (septembre 2006), un "graphic novel" que Panini Comics avait déjà proposé (sous son titre VO), en novembre 2006.
Le scénario est écrit par l'Américain Brian K. Vaughan, qui est notamment connu pour "Y: The Last Man", "Ex Machina", mais aussi pour "Saga". Les dessins, l'encrage et la mise en couleur sont réalisés par le Canadien Niko Henrichon. Henrichon a travaillé sur "Fables", "New X-Men", "Sandman", ou "Spider-Man" - entre autres.

Le zoo de Bagdad, début 2003. Perché sur l'une des branches d'un arbre, un oiseau ne cesse de piailler que le ciel s'effondre. En bas, Zill, un lion, menace de le dévorer s'il insiste. Le volatile n'est nullement impressionné ou ne prête guère attention au félin. Il continue sa litanie, imperturbable. Sur le ton de la mise en garde, le fauve ajoute que les siens sont d'excellents grimpeurs. Perdant patience, il a l'intention d'affirmer avec agacement que non, le ciel ne s'effondre pas, lorsque trois chasseurs à réaction de l'armée de l'air américaine survolent leur enclos à basse altitude. Il réalise que quelque chose est en train de se produire. L'oiseau finit par s'envoler, toujours avec la même litanie au bec. Safa, une lionne borgne et plus âgée, s'approche et entame la conversation. Bien qu'elle soit son aînée de plusieurs hivers, elle estime qu'elle voit plus clairement ce qui est sur le point de se passer avec un unique œil que lui avec deux, et ajoute que tout ce qu'ils ont connu est sur le point de disparaître. Le mâle est certain qu'elle exagère ; les gardiens ne vaquent-ils pas toujours à leurs affaires ? Ils sont interrompus par Ali, le lionceau, excité et plein d'enthousiasme. Il veut savoir s'ils "les" ont vus, eux aussi. Zill, exacerbé, se bouche les oreilles et implore le silence. Le petit espère une réponse de Safa ; elle le rabroue et l'envoie poser la question à sa mère, censée être le cerveau du groupe. Ali lui dit qu'elle est dans sa tanière et discute avec une "nampilote"... 

Cet album, inspiré d'une histoire vraie, fut accueilli avec enthousiasme par la critique et le public. Idées et scènes-chocs s'y télescopent. Il y a ce zoo, soudainement incongru de par sa présence dans Bagdad en guerre. Avec la ville, Vaughan livre une métaphore de notre existence et incite le lecteur à se demander s'il est préférable de vivre en sécurité dans un périmètre restreint et nourri, ou de jouir de la liberté en risquant de mourir à chaque instant. Il y a cette guerre. Le propos est autant pacifiste qu'antimilitariste. Le scénariste nous prête le regard des fauves pour assister à ce déluge de fer et de feu. Il montre des soldats jeunes, inexpérimentés, pour qui la combinaison entre nervosité et gâchette facile peut avoir des conséquences tragiques. Par la bouche de la tortue, il affirme que ce conflit décrié a été déclaré au nom du pétrole, ce "poison". Bien sûr, il y a cette réflexion sur la condition animale. Fauves et autres retrouvent la nature et quittent la torpeur dans lesquelles les hommes les entretenaient en les nourrissant et en limitant leur liberté. Leurs attitudes sont d'abord d'essence politique (la négociation avec l'antilope), puis le côté sauvage reprend le dessus, notamment lors du combat avec l'ours (représente-t-il le parti Baas et l'oppression du peuple par un dictateur féroce ?). L'auteur se garde d'idéaliser le règne animal, en témoigne la scène du viol collectif. Hélas, malgré la richesse de cette palette de thèmes, aucun propos n'est approfondi. Chaque idée est caressée le temps d'une poignée de planches, et Vaughan, au fond, brode surtout quelques réflexions fortes autour d'un fait divers en guerre, laissant une saveur d'inabouti. Henrichon évolue dans un style plutôt réaliste, bien que les grands yeux de ses lions tendent légèrement à les infantiliser. L'artiste conçoit des compositions spectaculaires (l'arche des Mains de la victoire, le palais - de Saddam Hussein ?) et saisissantes (le combat, la fusillade), invitant le lecteur à parcourir une ville en guerre à ses risques et périls. La mise en couleur recouvre le dessin d'un voile terne.
La traduction de Benjamin Rivière est remarquable. Son texte - et c'est malheureusement assez rare dans le microcosme français des comics pour le souligner - a été soigné et ne contient ni faute ni coquille. Quant à la maquette, elle est impeccable.

"Les Seigneurs de Bagdad" a rapidement été élevé au rang de chef-d'œuvre par un lectorat sans recul. Les nombreux thèmes, malgré les réflexions qu'ils suscitent, sont traités sans profondeur, et la partie graphique est solide, mais sans être inoubliable.

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbuz

3 commentaires:

  1. J'avais feuilleté ce tome à 2 ou 3 reprises, mais les dessins en m'attiraient pas et à l'époque je n'étais pas très client de l'écriture de Brian K. Vaughan. Mon appréciation pour cet auteur a changé avec la lecture de Ex Machina. Ton article me conforte dans l'idée de concentrer mes efforts sur sa série Saga.

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    1. "Ex Machina", j'en garde un bon souvenir, bien que je n'aie pas continué la série par volonté de me recentrer. Il faudrait que je la relise.
      En revanche, je ne lis pas "Saga" pour la même raison. Peut-être y viendrai-je dans quelques années.

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  2. J'avais lu Ex Machina après la fin de la série, ce qui fait que j'ai pu la lire assez rapidement. Par contre, j'ai commencé Saga avec le tome 1, et j'ai arrêté avec le tome 2, redoutant de perdre le fil des intrigues entremêlées avec le délai de parution. Pour l'instant, les 2 auteurs ont mis la série en pause pour une durée indéterminée. J'en reprendrais peut-être la lecture d'ici la fin de l'année sachant qu'il y a déjà 9 tomes de parus... Entre-temps j'ai lu Y le dernier homme, ainsi que Paper Girls (une série plus courte).

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