"Red Son" est un album cartonné de près de cent quatre-vingts planches (en comptant la vingtaine de pages de bonus : études, esquisses, couvertures originales, etc.), paru dans la collection DC Deluxe d'Urban Comics en septembre 2013. C'est l'adaptation française de la mini-série éponyme en trois parties sortie chez DC Comics entre juin et août 2003. Ce titre en est à sa troisième édition (deux chez Panini Comics : novembre 2005, et avril 2010).
"Red Son" est un "Elseworlds", une histoire qui s'inscrit hors continuité et qui propose une version alternative des personnages DC Comics. C'est le prolifique et rentable Écossais Mark Millar ("The Ultimates", etc.) qui écrit le scénario. Dave Johnson dessine le premier épisode, et collabore avec Killian Plunkett pour les deux autres. Le travail d'encrage est divisé entre Andrew Robinson et Walden Wong ; celui de mise en couleur est confié à Paul Mounts.
États-Unis, 06h00 du matin, vers 1953. Le téléphone sonne. Une main se tend pour le dérocher, celle de Lois Luthor. C'est Perry White, qui informe sa journaliste que Washington DC a appelé la rédaction pour ce qui s'annonce déjà comme le scoop du siècle. À midi, le président Dwight Eisenhower sera en direct pour une allocution d'importance nationale ; les Russes auraient développé une nouvelle super-arme. À l'heure dite, Eisenhower, dans un souci de transparence, déclare effectivement à ses concitoyens que les Soviétiques viennent de diffuser les clichés d'un individu costumé plus efficace que les bombes à hydrogène américaines. Ce surhomme d'origine extraterrestre et converti à l'idéal communiste menace la position de superpuissance mondiale des USA. Eisenhower partira donc pour Helsinki afin d'en discuter avec l'OTAN, et de décider d'une riposte appropriée. Le chef de l'État conclut par un appel au calme et à la prière. Puis, son allocution télévisée terminée, il écoute le rapport de Jimmy Olsen, des services secrets. L'agent mentionne une super-ouïe, une peau invulnérable, des yeux qui voient à travers les murs, ou encore des rafales laser. Ce colosse aurait grandi dans un kolkhoze ukrainien...
"Red Son" est captivant, remarquable, mais iconoclaste, sombre et violent. L'intrigue démarre dans les années cinquante, celles de la guerre froide et des débuts de la course à l'armement. Elle fait naître Superman "au pays des Soviets" et aboutit au lointain futur de l'humanité, au quatrième millénaire. Son thème majeur, plus que la nature de Superman, est l'opposition entre libéralisme à l'américaine et communisme. Pour Millar, seul le premier peut parvenir à libérer les masses et à les mener aux plus grands accomplissements, tandis que les bonnes intentions du second conduisent à l'enfer, au contrôle et à la répression des populations, cette idéologie étant incompatible avec le désir de liberté de l'homme. Autre affirmation, celle que Superman et communisme (et fascisme) ne sont pas antinomiques, au contraire ; le pouvoir absolu (ici, la combinaison entre super-capacités et politique) corrompt tout, même les sentiments les plus nobles. Superman est plus inhumain que jamais ; normal, dans un régime dont la doctrine repose sur l'anéantissement de l'individualité. L'auteur n'a donc pas à insister sur le côté surhomme déconnecté du quotidien des Terriens. Le héros, écrasé par une inéluctable solitude, sert l'idéologie d'abord, et devient un monstre. En conclusion, le Superman profondément bon comme nous le connaissons ne pourra l'être hors d'une société qui place la liberté avant tout. Bien que la narration, entre événements et grandes évolutions, génère longueurs et questions à l'égard de la chronologie, elle reste puissante. La conclusion sous-entend que l'Histoire est destinée à se répéter. Une touche plus optimiste et un lien avec le Superman tel qu'il existe dans l'esprit collectif auraient été bienvenus. La partie graphique, étudiée, retranscrit l'iconographie, les aspects visuels et scripturaux de la propagande soviétique. Les deux artistes présentent un style réaliste qui tend à exagérer l'expressivité. Dommage que Plunkett n'ait pas tout illustré, son trait étant mieux fini, et plus riche que celui de Johnson, mais la transition opère sans friction.
"Red Son" est un "Elseworlds", une histoire qui s'inscrit hors continuité et qui propose une version alternative des personnages DC Comics. C'est le prolifique et rentable Écossais Mark Millar ("The Ultimates", etc.) qui écrit le scénario. Dave Johnson dessine le premier épisode, et collabore avec Killian Plunkett pour les deux autres. Le travail d'encrage est divisé entre Andrew Robinson et Walden Wong ; celui de mise en couleur est confié à Paul Mounts.
États-Unis, 06h00 du matin, vers 1953. Le téléphone sonne. Une main se tend pour le dérocher, celle de Lois Luthor. C'est Perry White, qui informe sa journaliste que Washington DC a appelé la rédaction pour ce qui s'annonce déjà comme le scoop du siècle. À midi, le président Dwight Eisenhower sera en direct pour une allocution d'importance nationale ; les Russes auraient développé une nouvelle super-arme. À l'heure dite, Eisenhower, dans un souci de transparence, déclare effectivement à ses concitoyens que les Soviétiques viennent de diffuser les clichés d'un individu costumé plus efficace que les bombes à hydrogène américaines. Ce surhomme d'origine extraterrestre et converti à l'idéal communiste menace la position de superpuissance mondiale des USA. Eisenhower partira donc pour Helsinki afin d'en discuter avec l'OTAN, et de décider d'une riposte appropriée. Le chef de l'État conclut par un appel au calme et à la prière. Puis, son allocution télévisée terminée, il écoute le rapport de Jimmy Olsen, des services secrets. L'agent mentionne une super-ouïe, une peau invulnérable, des yeux qui voient à travers les murs, ou encore des rafales laser. Ce colosse aurait grandi dans un kolkhoze ukrainien...
"Red Son" est captivant, remarquable, mais iconoclaste, sombre et violent. L'intrigue démarre dans les années cinquante, celles de la guerre froide et des débuts de la course à l'armement. Elle fait naître Superman "au pays des Soviets" et aboutit au lointain futur de l'humanité, au quatrième millénaire. Son thème majeur, plus que la nature de Superman, est l'opposition entre libéralisme à l'américaine et communisme. Pour Millar, seul le premier peut parvenir à libérer les masses et à les mener aux plus grands accomplissements, tandis que les bonnes intentions du second conduisent à l'enfer, au contrôle et à la répression des populations, cette idéologie étant incompatible avec le désir de liberté de l'homme. Autre affirmation, celle que Superman et communisme (et fascisme) ne sont pas antinomiques, au contraire ; le pouvoir absolu (ici, la combinaison entre super-capacités et politique) corrompt tout, même les sentiments les plus nobles. Superman est plus inhumain que jamais ; normal, dans un régime dont la doctrine repose sur l'anéantissement de l'individualité. L'auteur n'a donc pas à insister sur le côté surhomme déconnecté du quotidien des Terriens. Le héros, écrasé par une inéluctable solitude, sert l'idéologie d'abord, et devient un monstre. En conclusion, le Superman profondément bon comme nous le connaissons ne pourra l'être hors d'une société qui place la liberté avant tout. Bien que la narration, entre événements et grandes évolutions, génère longueurs et questions à l'égard de la chronologie, elle reste puissante. La conclusion sous-entend que l'Histoire est destinée à se répéter. Une touche plus optimiste et un lien avec le Superman tel qu'il existe dans l'esprit collectif auraient été bienvenus. La partie graphique, étudiée, retranscrit l'iconographie, les aspects visuels et scripturaux de la propagande soviétique. Les deux artistes présentent un style réaliste qui tend à exagérer l'expressivité. Dommage que Plunkett n'ait pas tout illustré, son trait étant mieux fini, et plus riche que celui de Johnson, mais la transition opère sans friction.
La traduction de Nicole Duclos procure satisfaction ; son texte, soigné, ne contient ni faute ni coquille. La maquette est pro, mais intercaler les couvertures originales entre les chapitres aurait été apprécié. La préface de T. DeSanto n'est que verbiage.
"Red Son" est une œuvre qui propose un visage terrifiant de Superman, dont les bonnes intentions finissent par asservir et robotiser l'humanité. Le véritable héros, ici, c'est Lex Luthor. Un "comic book" essentiel malgré une partie graphique perfectible.
"Red Son" est une œuvre qui propose un visage terrifiant de Superman, dont les bonnes intentions finissent par asservir et robotiser l'humanité. Le véritable héros, ici, c'est Lex Luthor. Un "comic book" essentiel malgré une partie graphique perfectible.
Mon verdict : ★★★★★
Celui-là, je ne l'ai jamais lu. Je reconnais bien là la capacité de Mark Millar à imaginer un point de départ simple et percutant, Superman au pays des soviets, comme tu le formules. J'aime beaucoup les partis pris graphiques marqués de Dave Johnson d'une manière générale (ses couvertures pour la série 100 bullets, par exemple), et j'aurais cru que cette approche se marierait bien avec un jeu sur l'iconographie, les aspects visuels et scripturaux de la propagande soviétique.
RépondreSupprimerDu coup, me voilà bien embêté à la fin de ton article, tiraillé par l'envie de finalement laisser sa chance à cette histoire au vu de ta conclusion...
Ah, là, tu me surprends ! Tout comme j'étais convaincu que tu avais lu "Les Seigneurs de Bagdad".
SupprimerCet album est surtout une ode à la liberté et au libéralisme. J'ai l'impression que c'est un leitmotiv, chez Millar, cette lutte contre l'État oppresseur ; on retrouve ce thème dans "Civil War", notamment, avec le clan d'Iron Man qui accepte de travailler pour l'État au détriment des libertés individuelles.
Johnson fait un travail satisfaisant, mais je préfère ce que propose Plunkett.
Je t'avouerai que j'ai eu des difficultés à écrire cet article ; je m'impose un cadre, une limite de mots, de lignes à ne pas dépasser. Là, j'aurai pu faire deux, trois fois plus long, mais ici je n'ai dû retenir que l'essentiel, c'est-à-dire les idées, sans pouvoir évoquer la façon dont il avait remodelé les icônes DC pour les besoins de son œuvre.
J'ai parfois un peu de mal avec le discours sous-jacent de Mark Millar : sa démagogie, sa manière d'orienter son discours en fonction de son public (ta remarque sur l'état oppresseur me fait penser que c'est de l'opportunisme à l'état pur pour flatter le lecteur américain), une forme d'hypocrisie mercantile éhontée. C'est ce qui me retient de lire cette histoire : l'a priori que ce sera trop flagrant pour que je m'investisse dans l'histoire au premier degré.
RépondreSupprimerBien que ça ait du sens, voir que seuls les USA (ou une partie) résistent au triomphe soviétique finit par être agaçant, en effet. Ça fait partie des éléments qui m'empêchent de voir un chef-d'œuvre en "Red Son". On peut aussi lire "Red Son" sous l'angle de la confrontation entre Lex Luthor et Superman. Finalement, pour moi, c'est ce face-à-face qui l'emporte sur l'affrontement entre deux idéologies ou deux pays. Luthor atteint son but ; débarrassé de son épine dans le pied, il mène enfin l'humanité vers des sommets. D'où ma conclusion que le vrai héros, c'est lui.
SupprimerPersonnellement, je ne vois pas "Red Son" comme opportuniste ou outrancièrement commercial, mais peut-être péché-je par naïveté et que cet angle-là mérite effectivement d'être considéré.
Mon ressenti pour les œuvres de Mark Millar fluctue fortement. J'aime énormément ses 2 saisons d'Ultimates, malgré à nouveau une mise en scène des Etats-Unis comme un état puissant et fort. Je n'ai pas apprécié le récit Huck (dessiné par Rafael Albuquerque) du fait de son américanisme primaire couplé à une fausse naïveté de circonstance.
RépondreSupprimer