"Les Tours de Bois-Maury" est une série créée par le Belge Hermann Huppen et dont le titre a évolué en "Bois-Maury" à partir de ce onzième volet, intitulé "Assunta" ; cet album cartonné de quarante-quatre planches est sorti dans la collection "Vécu" de Glénat en mars 1998. À ce jour, il y en a eu deux rééditions.
C'est le dernier tome qu'Hermann réalise entièrement seul (intrigue, dessin, encrage et mise en couleur) ; son fils Yves H. le rejoint comme scénariste au douzième tome ("Rodrigo" : 1991).
Sicile, 1280. Sous un ciel incertain, des hommes en armes, certains à pied, d'autres sur un destrier, avancent à travers des paysages montagneux. À leur tête, un chevalier brandit fièrement la bannière de la maison d'Anjou. Un soldat, Vicolo, vient parler à Simon, celui qui dirige ce détachement. Malgré l'agacement que lui témoigne le noble, il insiste : non, il ne faut pas suivre ce chemin, ou alors au moins accepter qu'il parte en reconnaissance. Simon, surpris, jette un œil au paysage escarpé. Il acquiesce, mais ordonne au Sicilien de faire vite ; il n'aime point attendre. Tandis que Vicolo et un fantassin s'éloignent et qu'il enlève son heaume, les autres chevaliers demandent à leur commandant ce qu'il redoute donc ; car ceci n'est pas dans leurs habitudes, et ce ne sont pas quelques cailloux pouvant tomber sur eux qui les feront reculer. À ces paroles, et devant l'attitude du détachement, Simon réajuste son casque. Plus haut, Vicolo et son camarade, étonnés, voient que leur cohorte se remet en route. À peine quelques mètres plus loin, une main tranche la corde qui retenait un amas de pierres ; c'est un déluge de roches qui s'abat sur la colonne française, suivi d'une grêle de flèches, à laquelle succèdent les cris des partisans siciliens déchaînés qui sonnent l'hallali et se ruent sur les Français et leurs alliés sous les yeux des deux éclaireurs médusés. Le massacre des Anjou est sans merci ; il n'y a aucun survivant...
À partir de ce numéro, place à la descendance d'Aymar de Bois-Maury avec le premier album lui étant consacré, "Assunta", un récit complexe qui représente l'un des sommets de cette série. L'action se déroule en Sicile, de fin 1280 (ou début 1281) à fin mars 1282. L'île vit alors sous le règne de Charles d'Anjou (1227-1285), frère de saint Louis. En 1266, Charles devient roi de Sicile par investiture pontificale après avoir soutenu la papauté dans un conflit avec les Hohenstaufen. Il ne tardera pas à provoquer le mécontentement des Siciliens : ignorance (délibérée ?) des institutions locales, installation à Naples, distribution de fiefs à des Français, etc. Hermann revient sur la lutte qui opposa les deux camps et qui aboutit à la révolte des Vêpres siciliennes fin mars 1282. Parmi les chevaliers chargés de maintenir l'ordre, Aymar de Bois-Maury, descendant du héros des dix premiers volumes. Comme son aïeul, Aymar est courageux, noble, pieux, miséricordieux, et représente une forme d'idéal chevaleresque. Il se retrouve au milieu d'un tourbillon d'événements apportant le changement, pour la maison d'Anjou, la Sicile, et lui. Au centre de manipulations et de tensions, écœuré par les crimes de guerre, victime de sa franchise et de sa compassion, il doit répondre de son honneur par l'épée à deux reprises. Hermann en fait le témoin forcé d'exactions en temps de conflit, ici celles des chevaliers français, qui brûlent les villages et en massacrent ou en pendent les habitants masculins. Il conte aussi ce terrible drame d'amour-haine entre Enguerrand et Concetta ; à cette passion consumée par les deux extrémités et ne pouvant mener qu'à la mort, et à la fin d'un monde vient s'opposer l'idylle naissante entre le Français et la belle Assunta, une jeune Sicilienne. En arrière-plan, le volcan Etna, éternel, indomptable, qui ne peut que gronder devant la folie meurtrière des hommes dont il est témoin. Lorsqu'il produit cet album, Hermann a soixante ans ; nul besoin de dire que son style est arrivé à maturité depuis un moment. Mais ici, l'artiste change néanmoins de technique et utilise l'acrylique, dans un volume qui, somptueusement illustré et mis en couleur (quelle amélioration !), est un véritable régal pour l'œil. Le lecteur sera envoûté par les paysages de Sicile, les forteresses haut perchées, les costumes ou les armures, par le travail sur l'ombre et la lumière. Le séquençage est d'une grande limpidité. Les familiers de la série et des albums précédents reconnaîtront sans mal Aymar de Bois-Maury ; le personnage est plus jeune, mais la physionomie, identique.
"Assunta" montre des scènes terribles. Cet album prégnant, captivant, n'est pas seulement l'évocation d'une page méconnue, sanglante de l'Histoire, c'est aussi un récit d'amour, et une réflexion sur le patriotisme, l'attachement à la terre, et le sacrifice.
Mon verdict : ★★★★★
Barbuz
Hermann utilise l'acrylique : est-ce à dire que c'est à partir de cet album qu'il réalise lui-même la colorisation, ou est-ce que j'ai raté une marche ?
RépondreSupprimerCurieux du rythme de travail d'Hermann, je suis allé consulter sa bibliographie : en 1998 sortent ce tome, une histoire courte dans les Sales petits contes (de Yann), et le tome 21 de la série Jeremiah. Impressionnant.
J'ai l'impression que l'approche de l'évocation de l'Histoire semble assez similaire à celle de Choc, avec des personnages modelés par les événements historiques.
Fraymond met en couleurs les trois premiers tomes seulement ; cette tâche sera ensuite reprise par Hermann jusqu'à la fin de la série.
SupprimerMerci pour cette précision.
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