vendredi 23 août 2019

Batman (tome 3) : "Le Deuil de la famille" (Urban Comics ; février 2014)

"Le Deuil de la famille" est un album cartonné d'approximativement cent soixante planches (hors bonus), sorti dans la collection "DC Renaissance" d'Urban Comics en février 2014. C'est le troisième volume du "Batman" de la "Renaissance DC" ("New 52"), une démarche de DC Comics pour rafraîchir son univers et relancer au numéro un une gamme de cinquante-deux séries. Ce volume comprend les "Batman" #13 à 17, de décembre 2012 à avril 2013.
Scott Snyder conçoit le scénario principal, que Greg Capullo illustre. Le travail de celui-ci est encré par Jonathan Glapion, et mis en couleur par le Mexicain "Fco" ou "FCO" (Francisco) Plascencia. Snyder coécrit les "Interludes" (des récits de compléments d'une demi-douzaine de pages qui sont insérés dans chaque numéro à la suite des épisodes principaux) avec James Tynion IV. Jock (Mark Simpson) en signe les dessins et David Baron, la mise en couleur.

À l'issue du tome précédent, Batman vient au secours d'Harper Row, une jeune électricienne qui est employée à la municipalité de Gotham City (à la voirie). Elle fait alors vœu de l'aider en retour. 
Gotham City, un soir. La ville est noyée sous des trombes d'eau. La camionnette de Forget Me Not, un traiteur, emprunte un pont et se dirige vers le centre de la mégalopole. Au même moment, le commissaire James Gordon et Harvey Bullock, son lieutenant, discutent sur le toit du commissariat central, où ils s'offrent une pause tabac. Gordon revient sur quelques événements récents et particulièrement étranges : des pluies torrentielles, des neiges précoces, qui ont forcé le fleuve à inverser son flux pendant trois jours, et un lionceau à deux têtes, né au zoo de Gotham City. Bullock, lui, redoute que la prochaine vague de crimes inspire les superstitieux et que le citoyen ordinaire, influencé par la presse, finisse par pointer la police du doigt. Gordon ne semble pas s'en inquiéter outre mesure ; il ne veut pas céder à des superstitions...

Snyder rebondit ici sur un épisode signé Tony Daniel (le "Detective Comics" #1, novembre 2011), dans lequel le Clown prince du crime se fait ôter la peau du visage par le Taxidermiste. L'auteur utilise ce registre de l'horreur, de l'épouvante pour sa lecture du Joker, affublé d'un uniforme de technicien qui rappelle le Michael Myers de "La Nuit des masques" (John Carpenter, 1978). L'ennemi juré de Batman, qui agrafe désormais la peau de son visage à sa tête comme signe de folie ultime, (re)devient un maniaque homicide, le mutisme en moins, la verve en plus. Il est physiquement plus fort, brutal, vicieux que les versions précédentes. Il commence par un cache-cache morbide dans le commissariat de Gotham City, au cours duquel il tue cinq policiers à mains nues en leur brisant le cou. Le déferlement de violence est continu. Harley Quinn, dépassée, affirme que "ce n'est plus" son "Monsieur J", et les autres vilains ne sont que pantins dans le plan qu'il a orchestré. Après la police, c'est la Bat-Famille qui fera les frais de ce retour ; car le Joker veut l'exclusivité dans sa relation passionnelle avec Batman, et estime que Robin & Cie amollissent son Batounet. Snyder remet le Joker au centre de la croisade de Batman et lui rend la première place. Le suspense de cette guerre des nerfs est géré avec maestria. Hélas, Snyder donne dans l'exagération au détriment de la vraisemblance (voir l'asile). Ce Joker est omniprésent, omniscient, d'essence presque surnaturelle. Vu ce déferlement de violence, l'approche du dénouement laisse présager le pire, mais il n'en est rien : l'impact, surtout psychologique, donne l'impression d'une fin contenue. Le scénariste la justifie par des explications passionnantes concernant les motivations du Joker. Dommage que les réparties de ce dernier soient banales. Côté graphique, le travail de Capullo et son trait semi-réaliste sont enthousiasmants. Bien que le visage de Bruce Wayne ne soit pas convaincant, le Batman du dessinateur, silhouette longiligne et musculeuse drapée dans sa cape, est remarquable. L'artiste nous offre des séquences limpides, des cases léchées, et impressionne par son sens du détail. Jock, lui, illustre les Interludes dans un style tranché, plus brut, plus anguleux et plus sombre.
La traduction de Jérôme Wicky, l'un des meilleurs professionnels du circuit, est très satisfaisante ; le texte est impeccable. En revanche, celui du rédacteur Yann Graf comporte une faute de conjugaison. Soignée, la maquette comprend une pagination.

Malgré une idée principale brillante et une gestion du suspense sensationnelle, Snyder pèche par exagération et néglige la vraisemblance de certains passages. Mais le Joker revient sur le devant de la scène, et les illustrations de Capullo sont superbes.

Mon verdict : ★★★☆☆ 

Barbuz

2 commentaires:

  1. Je me retrouve bien dans ton commentaire, à commencer par la négligence de la vraisemblance. La blessure à l'épée dans le labyrinthe du premier épisode m'avait déjà fait tiquer : visiblement Bruce Wayne n'en souffre pas plus que ça. J'ai retenté quelques histoires de Snyder depuis : ses récits de superhéros me tombent des mains (il a fallu que je me force à finir Dark Knights Metal, alors que j'aime beaucoup sa série indépendante Wytches avec Jock. Je trouve Greg Capullo bien assorti à ce scénariste : capable d'être flamboyant et enthousiasmant, mais faisant ressortir toutes les invraisemblances du scénario avec force. Je trouve l'encrage de Jonathan Glapion d'une finesse extraordinaire. Je suis content de pouvoir ainsi découvrir ce tome 3 par ta critique, car j'ai abandonné la série à la fin du tome 2.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je vois Snyder comme un scénariste réellement talentueux, mais qui, par défi ou par provoc, que sais-je, ne peut s'empêcher d'éviter l'écueil de l'exagération et de faire fi de la vraisemblance, qu'il perçoit peut-être comme un carcan académique, à moins que ça réponde à une espère de code culturel. À moins que ce soit une authentique marque de fabrique, qui sait ? Je me permettrai, toutes proportions gardées, une analogie avec Tarentino ; des éclairs de génie, qui font suite à des dérapages délirants.

      Supprimer