dimanche 22 septembre 2019

"Gotham Central" : Tome 1 (Urban Comics ; avril 2014)

"Gotham Central" est une série consacrée au quotidien des forces de police du commissariat central de Gotham City. Publiée dans la collection "DC Classiques" d'Urban Comics, elle compte quatre tomes publiés entre avril 2014 et juillet 2015. Le premier volume, un bel album cartonné qui contient deux cent vingt planches (sans inclure les bonus), comprend les versions françaises des "Gotham Central" #1 à 10 (en VO, de février à octobre 2003).
Ed Brubaker et Greg Rucka cosignent les deux premiers numéros, puis Brubaker écrit les #3-5, et Rucka les #6-10. Michael Lark dessine et encre tous les épisodes. La mise en couleur est répartie entre Noelle Giddings, le studio Digital Chameleon, Lee Loughridge (et son studio Zylonol) ou encore Matt Hollingsworth.

Gotham City, le 24 juin, six heures du matin, dans un quartier sensible de la ville. Les inspecteurs Marcus Driver et Charlie Fields entrent dans un hôtel (de passe ?) miteux, où ils viennent vérifier le tuyau d'un indicateur qui avait des informations au sujet de l'enlèvement de la petite Bonnie Lewis. Fields estime qu'ils perdent leur temps ; quelles sont les chances que le toxicomane qui les a rencardés leur ait donné un renseignement sérieux ? Driver reconnaît qu'elles ne pèsent pas bien lourd. Fields rétorque que la probabilité est même négative, et ajoute qu'au lieu de faire des heures supplémentaires, il pourrait être au lit avec sa femme, et profiter de ces rares moments qu'ils parviennent à passer ensemble. Driver lui propose de se charger seul de l'affaire, mais son partenaire réplique que si leur tuyau est bon, il va passer pour un véritable abruti ; il imagine déjà les gros titres dans la presse ! Driver précise que l'enfant n'a toujours pas été retrouvée, et que leur contact a mentionné que cela faisait une semaine que des types au comportement étrange étaient en planque dans cet établissement. En tout cas, ça colle avec le timing du kidnapping. Après une dernière blague de Fields, ils arrivent devant le nº309...

Voici Gotham City observée autrement que par le prisme du héros ou du vilain : Rucka et Brubaker adoptent une approche naturaliste pour la présenter sous l'angle du quotidien des inspecteurs de police (de la section des crimes majeurs) du commissariat central de l'ère post-Gordon (le vétéran a pris sa retraite après les événements de "No Man's Land"), dont les scénaristes nous dévoilent les doutes, les espoirs, les peurs, et les rivalités, en parallèle à leurs enquêtes. Rucka et Brubaker écrivent des épisodes inspirés et réalistes, divisés en trois arcs de longueur variable : "Dans l'exercice de ces fonctions", "Le Mobile", et "Pour moitié". Chacun se concentre sur une intrigue dans laquelle un policier est soumis à une épreuve. Dans le premier, Driver perd un collègue. Dans le deuxième, le lecteur est témoin de la relation naissante entre Driver et Chandler. Dans le troisième, Montoya voit sa vie privée exposée et ses liens familiaux se détériorer, avant d'être enlevée par un maniaque bien connu. L'atmosphère au sein du bureau est palpable et le lecteur s'y projette aisément grâce aux multiples références visuelles : les voitures pie sur l'aire de stationnement, les casiers métalliques, la distribution de beignets, le vestiaire, les tasses à café, le tableau noir, etc. Les super-vilains, contrairement à Batman, sont bien présents, comme pour préciser que ce dernier n'est pas seul dans sa croisade contre le crime. Néanmoins, la relation du détective avec les policiers est tendue ; pour beaucoup, Batman est une entorse à leur amour-propre, un rappel de sa supériorité sur le terrain, et pourtant une évidence qui s'impose lorsqu'ils sont dépassés par la situation. Cette défiance à l'égard du Chevalier noir apporte du piquant aux (rares) scènes dans lesquels il intervient, plus marmoréen que jamais. Enfin, la qualité des dialogues est exceptionnelle. La partie graphique de Lark parachève ce succès. L'artiste présente un trait réaliste brut avec un encrage marqué. Il varie les physionomies de ses personnages à l'aide d'attributs (chevelure rousse, embonpoint) ou d'accessoires (kippa, pipe) afin qu'ils soient aisément identifiables. Ses vignettes sont cadrées dans un découpage classique (avec, ici et là, quelques inserts) en trois ou quatre bandes.
La maquette est soignée. La traduction d'Alex Nikolavitch est exceptionnelle. Le professionnel a effectué un véritable travail sur le vocabulaire et le texte est exempt de fautes ou coquilles ; c'est assez rare pour le préciser, surtout chez Urban Comics.

Ces épisodes nommés quatre fois aux Eisner de 2003 forment une indéniable réussite. Voici une réédition exemplaire de ces numéros déjà sortis chez SEMIC en 2004. Elle pourra désarçonner le lectorat habitué aux récits super-héroïques traditionnels.

Mon verdict : ★★★★★

Barbuz

2 commentaires:

  1. J'avais également été conquis par cette série. Concernant Michael Lark, les pages en fin de volume montrent qu'il a conceptualisé la salle de travail du commissariat avant de dessiner la série. Effectivement au bout d'une ou deux scènes dans cette pièce, elle apparaît familière et cohérente d'un plan à l'autre ce qui fait beaucoup pour le réalisme de la série.

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    1. Ma seule réserve est une mise en couleur pas tout à fait réussie ; on dirait que bon nombre de protagonistes ont un début de jaunisse.

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