lundi 23 septembre 2019

Durango (tome 1) : "Les chiens meurent en hiver" (Soleil ; janvier 1981)

"Durango" est une série de western "spaghetti", créée en 1981 par le Belge Yves Swolfs, connu également pour "Dampierre", "Légende", "Le Prince de la nuit", etc. "Durango" est d'abord publié par Les Archers, puis par Dargaud, Alpen Publishers, Les Humanoïdes associés, et enfin, par Soleil (aujourd'hui Delcourt) depuis 2003. La maison continue la publication, et a réédité toute la somme. Si Swolfs réalise les treize premiers volumes en solo, parfois avec un coloriste, il se fait remplacer au dessin à partir du quatorzième album, "Un pas vers l'enfer" (en 2006). 
"Les chiens meurent en hiver", le premier tome de "Durango", est un recueil cartonné grand format qui compte quarante-six planches. Il est d'abord sorti aux Archers en janvier 1981, et sans prépublication. Swolfs, pour son premier album, écrit le scénario et produit les dessins, l'encrage et la mise en couleur.

État du Wyoming, en février 1896. Les montagnes sont recouvertes d'une neige épaisse, et les branches dénudées des arbres morts se tendent vers un ciel bleu clair, comme des mains tordues adressant une supplique. Une nuée d'oiseaux continue son vol. Une silhouette émerge des brumes qui nimbent la vallée ; c'est un cavalier solitaire, dont la monture avance au pas. En plus de ses vêtements de voyage, l'inconnu porte une écharpe autour de la tête et un col de fourrure afin de le protéger de l'hiver. La quiétude du paysage est brusquement interrompue par un cri de douleur, puis par un second, captant l'attention du voyageur. Plus loin, quatre hommes armés en pendent un cinquième par les pieds, sous les yeux de sa femme. Le type se plaint du froid ; l'un de ses bourreaux lui rétorque qu'il n'aurait pas dû s'en prendre aux troupeaux de leur patron. Son épouse implore leur clémence : il s'agit certainement d'une erreur. Mais Frank, le meneur de la bande, interrompt son argumentaire, et révèle qu'ils n'ont pas l'intention de faire le travail à moitié...

"Durango" est une déclaration d'amour au western "spaghetti", ce genre cinématographique culte des années soixante et soixante-dix, principalement. Cela a été écrit ailleurs, mais pour créer sa série, Swolfs s'inspire particulièrement d'un film de Sergio Corbucci sorti en 1968, "Le Grand Silence" ("Il grande silenzio"), avec Jean-Louis Trintignant et Klaus Kinski, entre autres. L'action se déroule à la même période, c'est-à-dire une poignée d'années avant 1900. "Les chiens meurent en hiver" utilise la plupart des codes du genre : la loi du plus fort (le sénateur Howlett désire éliminer les petits éleveurs et dispose d'une armée privée pour décourager ou descendre les plus tenaces), une vengeance personnelle (Durango et son frère Harry), ou encore la violence envers les femmes (la prostituée Rosie). Durango répond aux stéréotypes de ce cinéma-là : mal rasé, solitaire, peu bavard, fumeur, et, bien entendu, c'est un véritable as de la gâchette. En face de lui, des tueurs sans foi ni loi, si ce n'est celle de l'argent ; à leur tête, Reno, un pistolero qui ne recule devant aucun assassinat et dont la ressemblance avec Klaus Kinski (qui a joué dans "Il grande silenzio") est flagrante. La violence est omniprésente : lynchages, pendaisons, exécutions, ou encore scènes de torture. Swolfs souligne la lâcheté des citoyens de White Valley, cette bourgade sous la coupe de Howlett ; le clin d'œil au village de Lago dans "L'Homme des hautes plaines" ("High Plains Drifter", de et avec Clint Eastwood, 1973), lui-même inspiré d'un fait divers (le meurtre de Kitty Genovese), est évident, bien que la trame soit moins tordue. Contrairement au western "à l'italienne", Swolfs, pour renforcer la noirceur et la sauvagerie de son propos, n'y ajoute aucune tentative d'humour. De plus, le dénouement est exempt d'optimisme, de triomphalisme ou de satisfecit. À vingt-six ans seulement, Swolfs démontre une maîtrise impressionnante de l'intrigue, de la gestion du rythme du scénario, et des dialogues. La partie graphique est épatante, elle aussi ; bien que les postures soient un peu raides et que certaines proportions laissent à désirer, le dessinateur a un sens du détail acéré. Son trait est réaliste et il a un style déjà affirmé caractérisé par un travail sur le regard ; l'influence de Michel Blanc-Dumont transparaît. Les vignettes sont disposées dans un découpage classique, généralement en trois ou quatre bandes horizontales. L'artiste, à l'occasion, utilise la technique de l'insert. Les bulles de pensée sont absentes de la narration. La mise en couleur enduit les planches d'une surface terne.

Assez loin de "Blueberry" ou de "Jerry Spring", "Les chiens meurent en hiver" invite le lecteur à découvrir un univers violent, cruel, et son héros solitaire et itinérant, Durango (car c'est son nom), qui rend une justice sans concession avec son six coups.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. Je n'ai lu aucune bande dessinée d'Yves Swolfs, même si j'ai souvent été tenté par le Prince de la Nuit. J'aime bien ta conclusion qui met en lumière que l'auteur complet défriche des territoires encore vierges pour la BD franco-belge, en dehors de l'ombre tutélaire des références comme Blueberry et Jerry Spring.

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    1. De toutes les BD de western que j'ai lues, je pense "Durango" est celle dans laquelle l'influence du cinéma est la plus évidente. Dans ce premier tome, j'ai l'impression que Swolfs a une importante culture cinématographique derrière lui.

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