vendredi 27 septembre 2019

"Les Tourments de Double-Face" (Urban Comics ; mai 2014)

"Les Tourments de Double-Face" est un recueil cartonné d'un peu moins de cent quarante planches (sans les maigres bonus : une préface, une biographie des auteurs), sorti en mai 2014 dans la collection "DC Nemesis" d'Urban Comics, qui réunit des récits dont les vilains de DC Comics sont les personnages principaux. L'album comprend l'intégralité (six numéros) de la mini-série VO "Batman: Jekyll and Hyde", publiée entre juin et novembre 2005.
"Les Tourments de Double-Face" est écrit par Paul Jenkins. Le scénariste britannique est notamment connu pour avoir travaillé sur "Hellblazer" (Vertigo), mais surtout sur plusieurs titres Marvel, dont, entre autres, "The Incredible Hulk", "Spectacular Spider-Man", ou encore "Inhumans". Le Coréen Jae Lee dessine et encre les trois premières parties de ce recueil, et Sean Phillips, les trois dernières. June Chung, enfin, procède à la mise en couleur. 

Au 34 Willow Drive, un robinet goutte. Autour, dans la pièce, des traces de sang ; les mouches sont déjà là. À l'extérieur, deux policiers, Jerry et Phil, examinent l'entrée. Jerry note qu'il n'y a aucun signe d'effraction, et que la porte n'est pas verrouillée. Phil, qui se tient à côté, est soudainement écœuré par l'odeur. Jerry allume sa lampe torche, pénètre dans la bâtisse, et formule l'espoir, sceptique, que cela vient du frigo. Partout, du sang : sur les murs, les ustensiles, les papiers... Au sol, le cadavre d'une femme, une cavité béante au milieu de l'abdomen. Phil contacte la centrale, rapporte qu'il y a un homicide possible, et demande que l'équipe judiciaire soit prévenue et que des renforts soient envoyés sur place ; cet endroit est une boucherie. Un appel aux unités est lancé. Les deux policiers continuent à avancer prudemment, quand des clameurs leur parviennent. Pistolets au poing, ils remontent à la source des voix, et trouvent un homme couvert d'hémoglobine, un couteau de chasse à la main, assis dans le salon en train de s'esclaffer devant le poste de télévision allumé...

Jenkins construit "Les Tourments de Double-Face" sur deux intrigues connectées. La première fait directement écho, comme l'indique le titre VO, à "L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde" ("Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde", 1886), l'œuvre de Robert Louis Stevenson (1850-1894). Jenkins met en scène les conséquences d'une désinhibition de notre part d'ombre, de notre moitié violente. Si le quidam ordinaire finit par être victime d'un plan d'ampleur de Double-Face qui est calqué sur le mode opératoire du Joker, le Britannique fait de Batman le sujet d'une expérience lorsque le criminel lui injecte le sérum qu'il s'est approprié, et va faire subir une véritable descente aux enfers au Chevalier noir. Dans un deuxième temps, l'auteur s'interroge ; si l'une des moitiés de l'esprit de Double-Face est habitée par Harvey Dent ou par ce qu'il reste de sa psyché, qui est l'hôte de la seconde, celui qui lui dispute le contrôle du cerveau du super-vilain ? Il en résulte une trame boursouflée qui ne parvient ni à captiver ni à déclencher un quelconque enthousiasme ; le propos n'apporte pas grand-chose à la relation entre Batman et les criminels costumés. La narration est lente, poussive, sans rythme. Le scénariste émaille l'intrigue d'analepses sous forme de souvenirs d'enfance de Dent. Surtout, il encombre l'action de dialogues longuets, sans lyrisme, peu enivrants, et pollués par des poncifs. Jenkins n'évite pas l'écueil des invraisemblances ou des faux rebondissements. Malgré tout le talent de Lee et de Phillips, la partie graphique n'est pas mieux lotie. Lee a un don pour traduire la sordidité et l'horreur des scènes de meurtres. Il produit un trait réaliste, fin, détaillé, mais statique, voire hypnotique (la cape de Batman), suscitant presque un sentiment dépressif ; transposer le mouvement n'est pas son point fort. Il rehausse son encrage d'aplats de noir. Phillips propose un coup de crayon en rupture, plus proche des canons classiques, qui est moins contemplatif, bien plus dynamique (contrairement à Lee, par exemple, il représente les impacts lors des affrontements physiques), et plus expressif. Leur travail a des aspects communs, tels que les contrastes entre ombre et lumière. La mise en couleur de Chung est pâlotte.
La traduction est de Mathieu Auverdin (MAKMA). Il produit un résultat satisfaisant dans le respect du texte, malgré une incohérence vouvoiement-tutoiement et une coquille. Les couvertures originales ont été intercalées entre les différentes parties. 

Pâtissant d'un verbiage lassant, d'une linéarité trop marquée, d'un sentiment de déjà-vu trop prononcé, et d'une rupture dans la partie graphique, malgré ces talents, il s'en faut de peu pour que "Les Tourments de Double-Face" soit un véritable ratage.

Mon verdict : ★★☆☆☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. Cette histoire figure dans ma liste potentielle de lecture, et ton article m'a permis de l'en retirer. J'aime bien Paul Jenkins surtout pour sa minisérie Sentry, et un peu pour Inhumains. Ses épisodes pour Hellblazer étaient originaux, mais laborieux pour certains passages. C'est d'ailleurs Sean Phillips qui en avait illustré la majeure partie. Ce dernier a vraiment trouvé sa voie avec Ed Brubaker. Quant à Jae Lee, c'est un peu quitte ou double dans l'épure : soit très élégant et incisif, soit un peu creux.

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    1. À l'origine (2006), j'avais lu ce récit dans le périodique "Batman" de Panini Comics. L'arc commençait dans le nº13. Déjà, je n'avais pas été convaincu, mais je me suis dit à la sortie de l'album Urban Comics que le relire en cartonné lui donnerait plus d'impact. Ça s'est avéré, mais dans le mauvais sens, hélas.

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