samedi 21 septembre 2019

"La Cible de Deadshot" (Urban Comics ; avril 2014)

"La Cible de Deadshot" est un recueil cartonné d'un peu moins de cent quarante planches (hors bonus), sorti en avril 2014 dans la collection "DC Nemesis" d'Urban Comics ; celle-ci réunit des récits dont les vilains de DC Comics sont les personnages principaux. Cet album comprend l'intégralité de la mini-série "Deadshot" (#1-4, novembre 1988 à janvier 1989), "Batman: Legends of the Dark Knight" #214 (de mars 2007) et "Secret Six" #15 (de janvier 2010).
"La Cible de Deadshot" est coécrit par John Ostrander et Kim Yale, dessiné et encré par Luke McDonnell, et mis en couleur par Julianna Ferriter. Christos N. Gage scénarise le "Batman: Legends of the Dark Knight" #214, qui est illustré et encré par Phil Winslade, et mis en couleur par Michael Atiyeh. L'intrigue du "Secret Six" #15 est signée Ostrander ; Jim Calafiore en produit les dessins et l'encrage, Jason Wright s'occupe de la mise en couleur. 

Un quartier lugubre de New York City, en soirée. Une jeune femme assez élégamment habillée pénètre dans un bâtiment dont la porte d'entrée est peu engageante. À l'intérieur, les murs sont fissurés, les couleurs sont dépareillées, nombreux sont les recoins sombres, le revêtement est abîmé en plusieurs endroits, les craquelures le disputent aux coulées de peinture. Un ours en peluche traîne dans les escaliers. Elle se dirige vers une porte crasseuse sur laquelle est collée une étiquette portant la mention "Super". Elle y frappe. Un homme obèse, peu soigné, et en chaussettes (trouées) lui ouvre. Tout en se décapsulant une canette de bière, il lui demande ce qu'elle veut, d'un ton peu amène et dans un langage peu châtié. Elle l'informe qu'elle cherche Floyd Lawton. Il lui répond qu'il n'est pas là. Elle souhaite savoir quand il sera de retour ; l'autre, affichant surprise et moquerie envers la politesse de son interlocutrice, ajoute que Lawton n'habite pas ici, mais qu'il se sert de sa chambre comme d'une boîte aux lettres. Notre type assure le service de poste restante, il fait suivre le courrier...

Avec "La Cible de Deadshot", la première histoire, Ostrander et Yale nous présentent une intrigue fascinante scindée en deux lignes narratives. Dans la première, Floyd Lawton est contacté par son épouse, car leur fils, leur enfant unique, a été enlevé. Dans la seconde, Marnie Herrs, la psychologue qui suit Lawton en thérapie (enfin, qui essaye), enquête sur le passé de son patient et plus particulièrement sur les relations au sein de sa famille. Les deux fils finissent bien entendu par se rejoindre de manière inattendue et intelligente. "La Cible de Deadshot" est une histoire magistrale, un véritable petit bijou de noirceur. C'est violent, désespéré, sans pardon, sans possibilité de rédemption, sans concession. Si la psychose, les tendances suicidaires, le nihilisme de Deadshot sont abondamment utilisés par les officiers de l'Escadron Suicide, l'anti-héros applique le même modèle dans la quête de son fils Eddie et flingue quiconque se met en travers du chemin ; avocats véreux, mafieux, pédophiles, tueurs à gages, tout le monde y passe. Car Lawton, en plus d'être naturellement doué avec les armes à feu, est une bombe à retardement alimentée par un sentiment de culpabilité. Les histoires suivantes, la deuxième (un face-à-face avec Batman) et la troisième (en mode confession ou divan) sont plus prévisibles, plus lisses, plus commerciales, et resteront anecdotiques ; leur présence dans l'album pourra soulever des questions, leur qualité inférieure réduisant l'impact de la mini. Ces deux compléments tournent autour de l'idée de rédemption, peut-être pour rendre le personnage plus exploitable. Ils sont arrangés dans l'ordre chronologique de parution, pas dans celui de la vie de Lawton. Pour sa partie graphique, McDonnell utilise un trait économe, voire minimaliste, représentatif d'une certaine tendance des années quatre-vingt, mais expressif ; les arrière-plans ne sont reproduits que lorsque cela se justifie. Son encrage, léger, consiste en de petits aplats de noir et de fines hachures parallèles. Les couleurs vives ajoutent un côté "pop" à l'ensemble. Winslade et Calafiore présentent un trait moderne et réaliste ; si leur style n'a vraiment rien de spécial ou d'original, le premier a un sens aigu du détail et de la perspective. 
La traduction de Jean-Marc Lainé est satisfaisante et le texte a été soigné, bien qu'une coquille ait survécu. Il est regrettable que l'éditeur ait gardé l'introduction de ce Bob Greenberger, de la logorrhée infantile et flatteuse qui s'étale sur deux pages. 

"La Cible de Deadshot" est un album anthologique qui présente un certain déséquilibre dans la qualité du contenu. Au fond, publier l'arc-titre en recueil cartonné était largement suffisant ; le reste est plutôt du remplissage et ne méritait pas ce format.

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbuz

3 commentaires:

  1. J'avais également beaucoup apprécié de pouvoir relire cette minisérie de Ostrander/Yale/McDonnell. Je serais un peu moins satisfait que toi par McDonnell : à la fois il sait s'éloigner de l'aspect encore joli des superhéros, à la fois, il donne l'impression d'être très limité en ce qui concerne les décors. Je suis en train de relire les épisodes de Batman dessinés par Norm Breyfogle (écrits par Alan Grant) et il y a le même manque de consistance dans les décors, alors que les personnages sont en train de flirter avec l'expressionnisme. Par comparaison, j'ai trouvé que le scénario tient beaucoup mieux la route, avec une belle mise à profit de la psychose, des tendances suicidaires, du nihilisme de Deadshot, comme tu l'écris.

    Pour une raison non explicitée, Urban Comics a choisi d'autres épisodes complémentaires pour étoffer la pagination, ne reprenant pas ceux de la VO.

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    1. Tiens, je ne savais pas que McDonnell avait bossé sur "Iron Man" ; des runs assez longs, en plus. Il a disparu de l'industrie du comics au début des années 90, semble-t-il. Finalement, il n'aura travaillé qu'une grosse décennie dans le milieu. Un itinéraire de carrière assez inhabituel.
      Et effectivement, j'ai vu que le recueil VO proposait des récits de complément différents.

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  2. L'apparence des dessins de Luke McDonnell tranchait beaucoup avec les dessinateurs phares de l'époque. Le ton visuel des épisodes d'Iron Man était assez déprimant. Je dois reconnaître que je n'étais pas enchanté de découvrir que c'est lui que Jim Starlin avait choisi pour lui succéder comme dessinateur sur sa série Dreadstar : le décalage entre les 2 artistes était très important.

    D'après wikipedia, Luke McDonnell travaille comme designer et illustrateur pour les studios Craig Yoe's Yoe!.

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