mardi 15 octobre 2019

Verdun (tome 1) : "Avant l'orage" (Grand Angle ; février 2016)

"Verdun" est une série française sur la Première Guerre mondiale, qui a été lancée en 2016 par Jean-Yves Le Naour, Marc Armspach, dit Marko, l'Espagnol Iñaki Holgado, et Sébastien Bouët. Elle est publiée dans la collection Grand Angle de la maison Bamboo Édition ; à ce jour, elle compte trois numéros.
"Avant l'orage", le premier tome, est un album cartonné grand format de quarante-six planches. Le Naour écrit le scénario. Docteur en histoire, spécialiste de la Première Guerre mondiale, enseignant et essayiste, il dirige la collection "L'Histoire comme un roman" chez Larousse et est l'auteur de documentaires sur la Grande Guerre. "Verdun" n'est pas sa première bande dessinée. Marko, graphiste et un professionnel de l'animation, se charge de la mise en scène. Holgado produit les illustrations ; après avoir travaillé dans l'animation, le jeu vidéo et la publicité, il a décidé de se consacrer exclusivement à la bande dessinée. Pour finir, Bouët réalise la mise en couleur.

Paris, 1er décembre 1915. Le lieutenant-colonel et député de Nancy Émile Driant, en uniforme, gravit d'un pas rythmé les marches de la Chambre des députés en jurant. Un greffier chargé de documents le salue et veut engager la conversation, mais Driant le bouscule sans prêter attention et envoie ses papiers voleter. Il interrompt la réunion de la Commission de l'Armée, et demande aux membres à leur parler de toute urgence. Il est vite reconnu par le président de la Commission, le général Gustave Pédoya. Driant les informe alors que les défenses du secteur de Verdun sont insuffisantes ; si les premières lignes font l'affaire, les secondes sont mal organisées, et les troisièmes, inexistantes. Pédoya veut savoir pourquoi il vient les trouver. Driant se lâche ; il en a parlé au général Herr, qui commande la région fortifiée, mais ce dernier n'a ni moyens, ni hommes, ni matériel. Il faudrait contacter Joffre lui-même...

"Avant l'orage" conte les jours qui ont précédé Verdun, une bataille de trois cents jours qui a coûté la vie à 362 000 soldats français. Le front est immobile depuis la fin 1914. La stratégie de l'état-major français étant celle de l'offensive à outrance, les fantassins sont envoyés au casse-pipe dans des assauts inutiles et très meurtriers ; 320 000 soldats français sont fauchés rien qu'en 1915. Côté allemand, les Russes ont été vaincus en septembre 1915 lors de la bataille de Varsovie (la Grande Retraite). Falkenhayn veut en profiter pour relancer la guerre à l'Ouest et accélérer la fin de ce conflit. Son plan : un déluge d'artillerie sur la place de Verdun (1 200 canons), afin d'épargner les hommes et d'opérer une saignée dans le camp adverse. Les objectifs pédagogiques de l'album sont évidents, Le Naour propose un scénario captivant et documenté, dans lequel il prend soin de lutter contre quelques contrevérités et clichés éculés. Joffre ne croyait pas à l'offensive allemande sur Verdun, et Pétain, que Le Naour n'hésite pas à qualifier d'imposteur de Verdun dans un article publié dans Historia sorti en même temps que ce tome, fut cloué au lit par la maladie. À l'exception de Castelnau (surtout), Gallieni, Driant, et peut-être Herr, les généraux français ne sont pas à la fête, les politiciens non plus. Comme pour rappeler que pouvoirs politique et militaire peuvent mal cohabiter, gagner à Verdun devient subitement une nécessité publique, indispensable pour éviter une crise. Le Naour met alors en scène la pression que Joffre et Castelnau subirent de la part d'Aristide Briand, le président du Conseil, qui évoqua une "catastrophe parlementaire" si la place tombait aux mains des Allemands. Ces derniers affichent une confiance surprenante en eux-mêmes, leur plan, leur matériel, ainsi qu'une conviction inébranlable que l'adversaire pliera ; ils semblent avoir sous-estimé celui-ci, même si le climat s'en mêla. Le scénario est équilibré : images de guerre, pourparlers politiques, réflexions et décisions stratégiques, dans un souci de vérité historique. Une objectivité qui n'exclut pas l'émotion du récit, en témoigne le destin de Driant. La partie graphique est impeccable. Holgado soigne la représentation des physionomies des différents protagonistes, que ce soit du côté français ou allemand. Il le fait d'un trait réaliste qui affiche quelques rondeurs. La richesse des arrière-plans est très satisfaisante. Le découpage classique est limpide, sans surcharge dans la densité des cases. Bouët adapte sa mise en couleur en fonction des scènes et offre une belle variété de tons.

"Avant l'orage" est un album remarquable de par son approche pédagogique (il va "à l'essentiel") et sa volonté de vérité historique. Il évoque cette terrible tragédie sous trois angles : le pouvoir politique, l'état-major, et, enfin, le champ de bataille.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. Houla ! Rien que la lecture de ton article m'impressionne. Je te remercie d'avoir mis des liens vers wikipedia car c'est indispensable pour un lecteur comme moi, incapable de retenir 2 dates en Histoire, quelques soient les efforts que je fasse (mes commentaires sur des BD historiques sont ceux qui me demandent le plus de temps de recherche pour ne pas sortir d'énormité).

    A mes yeux, ton commentaire est indispensable pour les néophytes comme moi, incapables de distinguer une œuvre d'aventure très approximative, une œuvre rigoureuse d'historien. Je m'interroge sur les 4 étoiles. Est-ce que c'est l'approche délibérément pédagogique qui a valu l'absence de la 5ème étoile ?

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    1. Je te confirme que cet article m'a pris beaucoup de temps, à moi aussi. Je pense que j'y ai passé deux à trois fois plus de temps que d'habitude. J'ai dû faire des recherches ; je n'avais jamais entendu parlé de Gustave Pédoya, par exemple. J'ai lu des articles, et regardé une émission sur Verdun à laquelle Le Naour a participé et dont je me suis inspiré pour mon article.
      Je n'ai pas été suffisamment bouleversé pour attribuer une cinquième étoile. Effectivement, cela est peut-être dû à l'approche pédagogique, qui requiert un effort de synthèse plutôt que purement créatif.

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