"Bretagne" est une histoire complète de cent quatre-vingt-huit planches en noir et blanc, parue dans la collection Tohu Bohu des Humanoïdes associés en février 1999, puis rééditée en recueil grand format à couverture cartonnée en septembre 2006, hors collection, Tohu Bohu ayant été dissoute (mars-avril 2006).
"Bretagne" est entièrement produit par le Suisse Pierre Warem (scénario et dessins). Cette troisième réalisation lui a d'ailleurs valu d'être récompensé du prix Töpffer (prix pour la bande dessinée attribué par la ville de Genève) en 1998. Il est également connu pour avoir réalisé deux numéros des "Scorpions du désert", série créée par Hugo Pratt, et pour "La Fin du monde", qui obtient le prix 2009 du Jury œcuménique de la bande dessinée.
La côte bretonne, de nos jours. Un homme en imperméable, seul, scrute la mer et l'horizon, sans prêter attention aux pluies diluviennes qui s'abattent sur le paysage. Rentré chez lui, il fume une cigarette dans la cuisine, plongé dans ses pensées. Il s'habille et endosse son uniforme de l'Armée de l'air. On le retrouve, plus tard, à une réception militaire. Il y croise plusieurs soldats, mais ne connaît personne. Il ne s'y sent pas à sa place. Le sergent-major Le Cahé (ce sont son grade et son nom) est salué par plusieurs hommes en uniforme. Il aperçoit un autre représentant de l'Armée de l'air : Filasque. Les deux vétérans se rapprochent, sans échanger un mot. Le Cahé serre quelques mains sous de nombreux regards attentifs. Un officier de rang supérieur prend la parole pour annoncer que la France remercie le sergent-major Le Cahé et le major Filasque, et qu'il va les décorer pour leurs états de services. Il entame son discours, rappelant à l'audience qu'une carrière de militaire est dure, et qu'elle ne souffre ni le mensonge ni la médiocrité. Il rend un hommage qui se veut lyrique aux camarades tombés au combat pour la France. Distrait, Le Cahé rêvasse au fait qu'il est vivant...
"Bretagne" est une histoire construite sur deux lignes temporelles : une cérémonie de remise de médailles en l'honneur de deux anciens combattants, et le souvenir d'une mission de bombardement des troupes italiennes en Libye à laquelle ils ont participé. "Bretagne" est un faux récit de guerre. Le lecteur qui espère y découvrir une ode au courage des Forces françaises libres en sera pour ses frais et sera invariablement déçu. De fait, rien ne fonctionne, dans cette histoire, comme si l'auteur, par volonté iconoclaste, souhaitait montrer le versant opposé de la gloire qui pare le front de ces soldats dans l'inconscient collectif. C'est en effet une brochette de personnages aussi improbable que réaliste, dont aucun ne semble à sa place : le Breton Le Cahé et Mourt, deux lieutenants qui manquent d'assurance, Wiazemsky, un Polonais prêt à "mourir pour la bonne cause", Bouillot, un paysan complexé par sa condition, très sensible à la notion de classe sociale, dont c'est là le premier vol, le colérique Filasque, agressif et plein de haine, et Saléma, un navigateur myope, optimiste, et candide. Une météo capricieuse et des tempêtes de sable les offrent en pâture à un désert qui va devenir un huis clos dans lequel ces hommes sans atomes crochus, forcés à la promiscuité, vont craquer et finir par dévoiler ce qu'il y a de pire en eux. Au fil des pages, Wazem montre, non sans causticité, comment l'armée falsifie la vérité ou la contourne pour créer des héros et construire des mythes. Il raille des discours qui sonnent faux dans une mascarade montée de toutes pièces ; les survivants restent seuls avec leurs regrets et leurs remords. La partie graphique est remarquable. Les illustrations de la première ligne temporelle sont vagues, allégées ; il s'agit là d'esquisses plutôt que de dessins, comme si l'artiste souhaitait mettre en scène le monde à travers le regard trouble d'un homme vieillissant et solitaire. Le deuxième propos est plus détaillé, plus limpide, plus travaillé. Le style utilisé ici - on a déjà dit qu'il reflétait l'influence d'Hugo Pratt (1927-1995) - pourra être qualifié de réaliste, malgré une netteté aléatoire, des postures pas toujours naturelles, des proportions parfois peu soignées, et des visages aux traits souvent exagérés (nez, dentition, cernes, etc.). Le lecteur notera l'effort de diversité des physionomies (les personnages sont immédiatement reconnaissables), et ces contrastes entre ombre et lumière. Les amateurs se délecteront des lignes du Blenheim (la centième planche est admirable). Certains passages-clés manquent de limpidité.
"Bretagne" est une œuvre qui peut sans doute être perçue comme anti-héroïque, mais qui est néanmoins singulière et intéressante ; elle place les hommes face à une situation insane dans laquelle leur raison, leur humanité sont mises à rude épreuve.
Barbuz
Voilà une BD d'ont je n'avais jamais entendu parler. Je suis allé consulter quelques pages sur internet : outre Pratt, les dessins m'évoquent également Alex Toth dans ses histoires d'avion. Le propos a l'air encore plus noir que celui des récits de guerre de Garth Ennis !
RépondreSupprimerJe l’ai achetée au hasard, sur une impulsion. Izneo la proposait en promotion à 1,99 €.
RépondreSupprimerJ’ai eu du mal à m’y mettre, car elle compte près de deux cents planches et que le noir et blanc me rebute systématiquement.