"Traquenard au Havre" est le premier tome de "Ric Hochet", série policière culte créée par le Belge André-Paul Duchâteau et le Français Gilbert Gascard (1931-2010) alias Tibet. À ce jour, le titre compte soixante-dix-huit numéros, le dernier en date étant sorti en 2010, et s'étale ainsi sur presque un demi-siècle.
L'album a été publié aux éditions Le Lombard en septembre 1963. Il comprend deux histoires indépendantes l'une de l'autre, de trente planches chacune : "Signé Caméléon" et "Traquenard au Havre". Duchâteau écrit les deux scénarios. Tibet réalise la partie graphique (dessin, encrage, et mise en couleur). Les décors du premier épisode (et peut-être que ceux du second avec) ont été délégués à Jean Mariette (1932-2001), dit Mittéï.
Paris, un soir. Ric Hochet reconduit le commissaire Bourdon chez lui et le dépose devant l'immeuble où il habite. Le policier le remercie, sans oublier de glisser une remarque sur le train d'enfer auquel le journaliste a piloté son cabriolet MG de type A. Les deux hommes se saluent, et Bourdon traverse. Ni l'un ni l'autre n'aperçoivent encore la Citroën DS noire qui avance et se met à foncer brusquement en direction de Bourdon. Ric Hochet la voit un peu tard et tente d'avertir le commissaire, qui, heurté par le véhicule, est projeté au sol. Ric se précipite vers son ami, dont quelques passants s'occupent déjà. Il n'a pas été blessé et reprend ses esprits rapidement. Il y a bien eu quelques témoins, mais aucun qui n'a réussi à relever la plaque d'immatriculation de la Citroën. Ric raccompagne le policier chez lui, et glisse qu'il a mémorisé le numéro du chauffard : 26 X 76. Ils le retrouveront facilement. Arrivant à son étage, Bourdon se dit qu'un cognac lui fera du bien. Ric aperçoit un rai de lumière sous la porte de son appartement ; il y a quelqu'un chez le commissaire. Mais pour Bourdon, cela est impossible, car il porte toujours sur lui la seule et unique clef de son domicile...
Dûchateau livre ici deux histoires intemporelles dont l'intérêt repose exclusivement sur les intrigues, le contexte de l'époque étant totalement occulté par ces récits ; "Ric Hochet" est effectivement une série qui date des années soixante, mais qui ne parle guère les changements sociétaux de cette période. Ric Hochet, au fond, est un héros assez représentatif des productions de sa génération. Certaines sources évoquent les influences de Rouletabille, le détective de Gaston Leroux (1868-1927), ou de Jean Valhardi, l'aventurier créé par Jean Doisy (1900-1955) et Jijé (1914-1980). Notre reporter, âgé d'une petite trentaine, est intrépide, perspicace, adroit et sportif (voir la scène de natation dans "Traquenard au Havre"). Forcément, il est célibataire, comme la plupart de ses "pairs". Bourdon, sans pour autant ne servir que de faire-valoir, ne montre pas les mêmes qualités analytiques que le jeune journaliste. Représentant certains stéréotypes bien français, parfois victime d'une naïveté évidente, le commissaire est également assez prompt à l'autosatisfaction. D'ailleurs, c'est essentiellement lui qui fait office de principal vecteur d'humour dans "Ric Hochet". Le personnage de Nadine, absent de ces pages, ne sera créé que plus tard, dans le cinquième numéro de la série. Les deux intrigues de cet album - c'est l'une des marques de fabrique du titre - reposent surtout sur des histoires de famille qui dégénèrent en conflits. Les motivations et la psychologie des criminels restent relativement simples ; ainsi, dans "Signé Caméléon", l'antagoniste est mû par le désir de vengeance, tandis que "Traquenard au Havre" met en scène un enlèvement qui tourne mal, et dont l'organisateur est animé par l'appât du gain. Duchâteau, qui écrivait des romans policiers dans son adolescence, exhibe déjà une remarquable maîtrise narrative ; l'action est rythmée et les retournements de situations sont choisis avec soin. Ce succès doit également beaucoup au travail sur la partie graphique de Tibet. L'une des marques de fabrique du titre est cette représentation de l'angoisse, avec des portraits en bichromie, où les protagonistes, en gros plans, affichent leur contrariété, les visages ruisselant sous les sueurs froides ; cet élément parvient à susciter une montée immédiate de la tension chez le lecteur. Le trait de Tibet n'est pas encore arrivé à maturité. Son découpage est classique ; approximativement douze vignettes en moyenne, réparties en trois à quatre bandes horizontales. L'artiste, qui ne néglige ni les détails ni les arrière-plans, sert une belle ligne claire.
"Signé Caméléon" et "Traquenard au Havre" procurent un véritable petit bonheur de (re)lecture, même si la première intrigue est supérieure à la deuxième, dont le dénouement est assez prévisible. Après toutes ces décennies, ce plaisir reste intact.
Retour aux sources après les 3 albums des nouvelles enquêtes.
RépondreSupprimerJe suis allé voir la page wikipedia (dont tu fournis gentiment le lien) de André-Paul Duchâteau : 94 ans et à peine à la retraite !!!
Mazette, quelle série ! 78 tomes, tous réalisés par le même tandem !
J'apprends le terme de décoriste. Le seul que j'avais en tête d'une telle association était Gerhard réalisant les décors de la série Cerebus de Dave Sim, leurs noms apparaissant à égalité sur les couvertures.
"Ric Hochet" est une série que je connais mal ; je n'en ai lu que quelques tomes épars lorsque j'étais gamin, mais ils m'avaient marqué.
SupprimerDe ce que je sais, Mittéï n'intervient que dans le premier tome.
Je ne sais pas si je ferai les 78 tomes ; j'aimerais bien... Après, cela dépendra de la qualité.